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Prise en charge des troubles cognitifs

8. PERSPECTIVES

8.2. Prise en charge des troubles cognitifs

Cette étude met en avant un certain nombre de pistes pour la prise en charge des troubles cognitifs chez les drépanocytaires. Les efforts devraient en premier lieu concerner la prise en charge des déficits exécutifs et attentionnels, puisque nos résultats démontrent que les drépanocytaires ont des déficits principalement dans ces deux domaines. La problématique est différente pour les drépanocytaires qui ont souffert d‟un AVC, chez qui tous les domaines cognitifs peuvent être touchés. Deuxièmement, il est important de considérer la quantité de ressources cognitives mises en jeu dans les exercices de rééducation, puisque nous avons vu que les drépanocytaires ont des difficultés dans les tâches demandant beaucoup de ressources cognitives. Une variation progressive de la charge attentionnelle dans les tâches permettra au patient de mieux gérer ce facteur. Par ailleurs, les résultats récents convergent pour montrer que les déficits cognitifs augmentent avec l‟âge chez les drépanocytaires. Par conséquent, la prise en

177 charge neuropsychologique ne devrait pas uniquement concerner les jeunes enfants mais devrait aussi s‟adresser aux adolescents et aux adultes drépanocytaires.

Seules deux études ont été réalisées sur la prise en charge cognitive des drépanocytaires ayant présenté un AVC. Ces deux études ont utilisé la même méthodologie et se sont focalisées sur la réhabilitation des capacités mnésiques, avec une intervention courte sur six semaines auprès de six patients (Yerys et al., 2003) et une intervention longue sur deux ans auprès de 11 patients (King, White, McKinstry, Noetzel, & Debaun, 2007). Les patients avec antécédents d‟AVC étaient suivis chaque semaine durant une heure. Durant la séance, la moitié des enfants avait 60 minutes de soutien scolaire (aide pour effectuer les devoirs, groupe contrôle) et l‟autre moitié des enfants avait 40 minutes de soutien scolaire et 20 minutes de réhabilitation spécifique pour la mémoire (groupe intervention). La réhabilitation consistait en l‟apprentissage de deux stratégies mnésiques : la répétition silencieuse pour l‟amélioration de la mémoire à court terme et le regroupement sémantique pour l‟amélioration de la mémoire à long terme. Les résultats sont encourageants, les patients ayant bénéficié d‟un entraînement spécifique améliorant significativement leurs capacités de mémoire à court et long terme par rapport aux patients ayant uniquement bénéficié d‟un soutien scolaire. Les auteurs n‟observent cependant pas de généralisation des progrès puisqu‟ils n‟observent pas d‟amélioration significative des capacités en lecture et en mathématiques pour les patients ayant bénéficié d‟un entraînement spécifique.

Les auteurs sont actuellement en train de reproduire ce projet avec un plus grand nombre de patients dans une étude multicentrique, en incluant également des patients sans AVC et des enfants sans drépanocytose ayant des difficultés scolaires.

Plusieurs études ont démontré l‟efficacité des programmes informatisés de rééducation cognitive pour les enfants souffrant de troubles de l‟attention et d‟hyperactivité (Klingberg et al., 2005;

Shalev, Tsal, & Mevorach, 2007) et de lésions cérébrales acquises (Hooft et al., 2005; van't Hooft, Andersson, Sejersen, Bartfai, & von Wendt, 2003; van 't Hooft et al., 2007). Ces études suggèrent que les progrès liés à l‟entraînement cognitif sont généralisables à d‟autres domaines, tels que les capacités scolaires ou le comportement (pour une revue de la littérature, voir Cicerone et al., 2005; Sitzer, Twamley, & Jeste, 2006).

En utilisant des programmes informatisés de réhabilitation de l‟attention et des fonctions exécutives, Boivin et al. ont montré qu‟il était possible d‟améliorer les capacités dans ces deux

178 domaines cognitifs (Figure 13) chez des enfants ayant souffert de malaria cérébrale (Boivin &

Giordani, 2009) et de VIH (Boivin et al., 2010).

Figure 13. Box-plots décrivant le nombre de mouvements corrects à la tâche Groton Maze pour les patients ayant souffert de malaria cérébrale (box-plot de gauche) et d'enfants souffrant du VIH (box-plot de droite). Les graphiques montrent les performances à cette épreuve avant la rééducation cognitive (en noir) et après la rééducation (en gris).

Les résultats montrent une amélioration significative des performances uniquement pour le groupe de patients ayant bénéficié d'une prise en charge (Boivin & Giordani, 2009).

La première étude a été réalisée en Ouganda auprès de 65 enfants ayant souffert d‟une malaria cérébrale. Durant huit semaines, la moitié des patients bénéficiait de deux sessions hebdomadaires de réhabilitation avec le programme (Sandford, 2007)), alors que l‟autre moitié des patients n'était soumise à aucune intervention. Des tests pré/post interventions étaient réalisés (Darby, Maruff, Collie, & McStephen, 2002) évaluant la vitesse de traitement, la mémoire de travail, les capacités d‟apprentissage, l‟attention, ainsi qu‟un questionnaire d‟évaluation du comportement de l‟enfant. Les résultats montrent que le groupe ayant bénéficié de séances de réhabilitation cognitive a réalisé des progrès significatifs sur les domaines de la vitesse de traitement, de la mémoire de travail, des capacités d‟apprentissage et sur le questionnaire comportemental. Le groupe sans intervention ne présentait pas d‟amélioration des performances dans ces tâches. Précisons que ces malades étaient pris en charge quatre ans après la crise de malaria cérébrale; les auteurs suggèrent que l'intervention serait encore plus efficace si elle était

179 entreprise plus rapidement. Notons dans les limites de cette étude que le groupe contrôle ne recevait aucune intervention et que les effets à long terme de cette intervention n'ont pas été évalués. La deuxième étude de Boivin et al. (2010) a été réalisée auprès d‟enfants en Ouganda souffrant du VIH en utilisant la même méthodologie; les auteurs obtiennent des résultats similaires à l‟étude précédente.

Notre principal objectif pour la suite du projet au Cameroun est d‟adapter la méthodologie utilisée par Boivin et al. à une population d‟enfants drépanocytaires suivis au Cameroun. Notre cadre de travail au Cameroun s‟y prête bien, puisque des psychologues sont déjà formés sur place et devraient assez facilement pouvoir gérer ce programme de rééducation. Nous projetons d‟évaluer l‟efficacité de ce programme de rééducation auprès d'une large cohorte de drépanocytaires présentant des déficits exécutifs et attentionnels. Au vu de la prévalence des déficits cognitifs chez les drépanocytaires camerounais, la mise en place d‟un tel projet nous semble particulièrement indiquée.

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