• Aucun résultat trouvé

6. DISCUSSION

6.1. Discussion article 1

Ce premier article a été publié dans l‟ouvrage collectif « Identité et spécificité de la psychologie différentielle » faisant suite au congrès « XVIIIè Journées Internationales de Psychologie Différentielle ». Cet article a été écrit en 2008, alors que nous ne disposions pas encore de toutes les données bio-médicales concernant la cohorte de patients examinés en 2007. Ce premier bref rapport descriptif contient les bases des résultats qui seront analysés plus en détail dans les articles suivants.

Nous souhaitons reprendre ici les résultats de l‟analyse factorielle, qui a été réalisée sur les données des 125 participants du groupe contrôle. Un modèle à quatre facteurs expliquant 69% de la variance totale a été retenu. Le premier facteur, appelé fonctions exécutives, regroupe les mesures évaluant le fonctionnement cognitif de haut niveau. La valeur propre de ce premier facteur est nettement plus élevée que celle des trois autres (apprentissage verbal, vigilance et dextérité manuelle), qui sont représentés par les variables tirées de chacun des tests (i.e. le facteur dextérité manuelle est représenté par les quatre variables de l'épreuve "Purdue Pegboard"). La mise en évidence de ces trois facteurs était attendue, puisque nous n‟avions qu‟une épreuve pour chacune de ces fonctions. Idéalement, il aurait fallu administrer au moins deux tests évaluant le même processus cognitif pour pouvoir interpréter les facteurs de cette analyse avec plus d‟arguments, mais ceci n‟était pas l‟objet de notre projet.

145 Relevons quelques éléments de cette première analyse factorielle. Tout d'abord, parmi les variables des tests représentés sur les trois derniers facteurs, seule la variable CPT commissions est représentée sur le premier facteur. Ce résultat s‟explique probablement par le fait que cette variable évalue les capacités d‟inhibition de réponse automatique dans le test du CPT, alors que les autres variables de cette épreuve évaluent des aspects plus attentionnels. D'autre part, nous pensions que la variable Pegboard-Assemblage saturerait sur le premier facteur, puisqu‟elle fait principalement appel aux processus de planification. Cela n'a pas été le cas, peut-être en raison du caractère trop répétitif de la tâche. Relevons cependant que cette variable obtient le score factoriel le plus faible de ce quatrième facteur. Notons encore que les épreuves Fluence phonémique et Cubes, qui obtiennent des scores factoriels très élevés sur le premier facteur, n‟ont pas pu être conservées dans la suite des analyses (pour les explications, voir l‟article 2).

Finalement, le test des cloches, qui est un des tests les plus sensibles de la batterie (voir article 3), n‟a pas été retenu dans cette analyse car il obtient un score factoriel en-dessous de 0.35.

Le seul élément quelque peu surprenant de cette analyse factorielle est le fait que tous les tests exécutifs soient représentés sur un seul facteur. Sur le plan théorique, la question de la structure des fonctions exécutives reste controversée (Roy, 2007). Les études et les observations cliniques actuelles réalisées chez l‟adulte vont dans le sens d‟une diversité au sein des fonctions exécutives (e.g. Baddeley, 1996; Miyake et al., 2000), plutôt que d‟une structure unitaire (Duncan, Emslie, Williams, Johnson, & Freer, 1996; Engle, Kane, & Tuholski, 1999). Chez l‟enfant, les connaissances actuelles sur le développement des fonctions exécutives sont relativement floues et contradictoires (Zesiger, 2009). La plupart des études vont dans le sens d‟une diversité au sein des fonctions exécutives (Hughes & Bryan, 2002; Lehto & Elorinne, 2003), avec notamment des travaux montrant que les différentes fonctions exécutives ont des trajectoires développementales différentes (Garon, Bryson, & Smith, 2008; Huizinga, Dolan, & van der Molen, 2006; Senn, Espy, & Kaufmann, 2004). Sevino (1998) a obtenu des résultats divergents par rapport à cette littérature: cet auteur a administré six épreuves exécutives à 204 enfants âgés de 8 à 12 ans et a observé que les variables des six épreuves administrées correspondaient à six facteurs représentant directement chaque test. Ces résultats suggèrent une organisation des fonctions exécutives spécifique aux contenus, plutôt que l‟existence sous-jacente de fonctions exécutives indépendantes (Brocki & Bohlin, 2004; Lehto & Elorinne, 2003). Le tableau annexe 4, tiré de

146 Roy (2007), résume les principaux résultats des études factorielles sur les fonctions exécutives chez l‟enfant.

Afin d‟étudier cette question, nous avons effectué une analyse factorielle exploratoire limitée aux variables représentées sur le facteur Fonctions exécutives (annexe 5). Les résultats montrent que ces variables sont regroupées sur un seul facteur. Ils vont dans le sens d‟un facteur général indépendant du contenu qui sous-tendrait l‟ensemble des performances exécutives, qui serait à rapprocher du facteur général d‟intelligence g de Spearman (1904). Cette structure unitaire des fonctions exécutives n‟a selon nos connaissances jamais été rapportée chez l‟enfant. L‟analyse suivante nous oblige cependant à nuancer ce résultat.

Une analyse factorielle supplémentaire a été réalisée en ajoutant aux variables du facteur Fonctions exécutives les variables appartenant au facteur Attention (soit les scores du CPT) (annexe 6). Les variables considérées dans cette analyse sont alors très proches de celles utilisées par Brocki et Bohlin (2004) auprès d‟enfants suédois âgés de 6 à 13 ans. Ces auteurs ont mis en évidence une structure des fonctions exécutives à trois facteurs : Mémoire de travail/Fluence, Désinhibition et Vitesse/Vigilance (annexe 7). De manière très intéressante, nous obtenons une structure extrêmement proche de celle observée dans l‟étude de Brocki et Bohlin (2004), avec trois facteurs représentés par les mêmes variables à peu de différences près. On constate donc que la structure unitaire des fonctions exécutives observée précédemment est remise en question si l‟on intègre les variables du CPT. La différence vient de l‟inclusion d‟une variable mesurant les capacités de l‟enfant à interrompre une réponse automatique (i.e. CPT commissions, et dans une moindre mesure CPT persévération). La structure observée est en accord avec les conceptions dualistes des fonctions exécutives (Hughes & Bryan, 2002; Roberts & Pennington, 1996), dans lesquelles l‟inhibition et la mémoire de travail constituent les deux aspects centraux du fonctionnement exécutif. Selon Brocki et Bohlin (2004), le facteur Vitesse/Vigilance serait mis en jeu à un niveau plus basique du fonctionnement cognitif et ne devrait peut-être pas être inclus dans le domaine des fonctions exécutives.

Nous nous sommes ensuite intéressé à l‟évolution de la structure des fonctions exécutives en lien avec l‟âge. Pour cela, les participants ont été divisés en trois groupes d‟âge : 6-9 ans (N = 65), 10-13 ans (N = 63) et 14-20 ans (N = 71). Des analyses factorielles ont été effectuées sur les variables exécutives et attentionnelles pour chaque groupe d‟âge (annexes 8-10). En ce qui

147 concerne le groupe des enfants les plus jeunes (annexe 8), les résultats doivent être interprétés avec prudence en raison des nombreuses données manquantes (qui ont été remplacées par les moyennes pour cette analyse). L‟indice de Kaiser-Meyer-Olkin est d‟ailleurs nettement plus bas que pour les deux groupes d‟âge suivants, indiquant qu‟il est plus difficile de dégager une structure factorielle dans les données. Nous obtenons une structure à six facteurs, avec la même structure des trois facteurs de base (Mémoire de travail/Fluence, Désinhibition et Vitesse/Vigilance), auxquels s'ajoutent trois facteurs plus difficiles à définir. Le deuxième groupe d‟âge (10-13 ans, annexe 9) montre également la même structure factorielle de base, avec en plus un quatrième facteur qui regroupe les variables Color Trails 1 et 2. Enfin, on observe une structure factorielle similaire pour le groupe des participants les plus âgés (14-20 ans, annexe 10), à laquelle vient s‟ajouter un quatrième facteur correspondant au test des "Cloches". Globalement, ces analyses montrent que l‟on retrouve, à peu de différences près, la même structure de base à trois facteurs, tant chez l‟enfant que chez l‟adolescent et le jeune adulte. Ces résultats vont dans le sens du modèle de Roberts et Pennington (1996) qui postule que l‟inhibition et la mémoire de travail sont les deux éléments centraux du fonctionnement exécutif tout au long du développement de l‟enfant.

De manière générale, les résultats de ces analyses factorielles suggèrent que les tests de notre batterie évaluent les mêmes processus dans le contexte camerounais que dans leur contexte d‟origine. Autrement dit, si nous avions administré cette même batterie à une population d‟enfants suisses, nous aurions attendu un regroupement factoriel similaire6. Le regroupement des variables en quatre facteurs correspond en effet à ce qui serait attendu dans le contexte culturel original dans lequel ces tests ont été développés. En outre, les analyses factorielles réalisées sur les variables des tests exécutifs et attentionnels conduisent à des résultats extrêmement proches de ce qui a été observé auprès de populations occidentales. Finalement, l‟évolution de la structure des fonctions exécutives est cohérente, tant chez l'enfant, que chez l‟adolescent et le jeune adulte.

6 Ce point sera repris comme argument du co-constructivisme (article 4).

148