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Cognition chez l‟enfant drépanocytaire sans infarctus cérébral

3. LES TROUBLES COGNITIFS DANS LA DRÉPANOCYTOSE

3.3. Cognition chez l‟enfant drépanocytaire sans infarctus cérébral

Les drépanocytaires sans infarctus cérébral présentent-ils aussi des déficits cognitifs ? Cette question est importante car elle permet d‟évaluer la part des troubles cognitifs qui n‟est pas directement liée aux complications cérébro-vasculaires.

Même si certains travaux suggèrent que les drépanocytaires sans infarctus ne présentent pas de baisse des performances cognitives (Craft, Schatz, Glauser, Lee, & DeBaun, 1993; Fowler et al., 1988; Kugler et al., 1993; Martin-Jackson, Gentry, & Dancer, 2000), la majorité des études récentes met en évidence une altération du fonctionnement cognitif chez ces patients. Ces études indiquent que les drépanocytaires sans anomalies à l‟IRM cérébrale présentent de légers déficits sur les mesures de QI (taille d‟effet d‟environ r = .15, voir Tableau 6), ainsi que des déficits modérés sur les mesures de capacités cognitives spécifiques (taille d‟effet d‟environ r = .34 à .43) (Gold, Johnson, Treadwell, Hans, & Vichinsky, 2008; Schatz, Finke, Kellett, & Kramer, 2002;

Steen et al., 2005; Steen et al., 2003). Steen et al. (2005) observent que ces enfants obtiennent des résultats significativement moins bons que la norme aux QIG, QIP et QIV. Dans cette étude, les drépanocytaires obtenaient en moyenne 12,9 points de moins que le groupe contrôle au score de QIG et les scores standardisés baissaient avec l‟âge. Gold et collaborateurs (2008) relèvent que les drépanocytaires sans anomalies IRM ont des scores dans la norme aux scores d‟intelligence

57 générale, mais 45% d‟entre eux se situent à un écart-type en-dessous de la moyenne aux scores de QIP et QIV (contre 16% dans la population générale) suggérant une baisse des performances sans atteinte massive du fonctionnement cognitif.

Tableau 6. Scores standardisés moyens pour les tests de QI des drépanocytaires sans antécédent d'AVC (n total = 631) par rapport à leur groupe contrôle (n total = 446). La différence est en moyenne de 4.3 points en défaveur du groupe de drépanocytaires (taille d‟effet légère). Tiré de Schatz (2002)

Les mesures des capacités cognitives spécifiques sont deux à trois fois plus sensibles que les mesures de QI pour la mise en évidence de déficits cognitifs chez les drépanocytaires sans infarctus (Schatz & McClellan, 2006). Comme chez les patients avec infarctus silencieux, les domaines les plus touchés sont les capacités de langage, de mémoire de travail, de fonctionnement exécutif et de vitesse de traitement (Bernaudin et al., 2000; Schatz, White, Moinuddin, Armstrong, & DeBaun, 2002; Steen et al., 2003). Les drépanocytaires avec infarctus silencieux et sans infarctus semblent donc différer dans l‟intensité des déficits cognitifs, mais pas dans le type de déficits qu‟ils présentent.

58 Ces études montrent que la maladie peut avoir un effet délétère sur le fonctionnement intellectuel général, même en l‟absence de complications cérébro-vasculaires. Elles soulignent également l‟importance de l‟examen neuropsychologique, qui permet de mettre en évidence des déficits cognitifs qui auraient pu être négligés sur la seule base de l‟imagerie cérébrale.

Comment expliquer ces déficits en l‟absence d‟atteinte cérébro-vasculaire ? L‟étiologie de ces déficits est multifactorielle, complexe et difficile à déterminer (Bernaudin et al., 2000; Steen et al., 2005). Selon Schatz et collaborateurs (2004), les déficits cognitifs et les difficultés scolaires pourraient être dus au moins en partie aux effets indirects des désavantages sociaux et environnementaux liés à la maladie, ainsi qu'aux conséquences de la maladie chronique avec notamment les fréquentes hospitalisations et absences scolaires (Eaton, Haye, Armstrong, Pegelow, & Thomas, 1995). Une étiologie organique a également été évoquée. Selon l‟étude de Baldeweg et al. (2006), les drépanocytaires sans infarctus cérébral présentent une réduction du volume de matière blanche dans les régions diffuses et dorsales qui sous-tendent le fonctionnement des cortex frontaux et pariétaux. Dans cette étude, les drépanocytaires avec infarctus silencieux avaient les mêmes profils que les drépanocytaires sans infarctus cérébral au niveau de la morphométrie cérébrale. Relevant le fait que les drépanocytaires sans infarctus cérébral présentent le même type de déficits cognitifs (déficits exécutifs, attentionnels et langagiers) que les patients avec infarctus silencieux, Schatz (2009) a récemment soutenu l‟idée que les profils de ces deux groupes sont similaires, tant au niveau du fonctionnement cognitif que des déficits tissulaires cérébraux. Ces deux groupes ne différeraient que par l‟intensité de leurs déficits cognitifs et tissulaires.

Le rôle de l‟hypoxie cérébrale chronique a également été évoqué pour expliquer les déficits cognitifs chez les drépanocytaires sans infarctus cérébral. Les drépanocytaires sont à risque de présenter une hypoxie cérébrale chronique, principalement en raison de l‟anémie chronique et des fréquentes apnées du sommeil auxquelles ils sont sujets (Brooks, Koziol, Chiarucci, & Berman, 1996; Hill et al., 2006; Kirkham et al., 2001). Même en l‟absence d‟infarctus cérébral, la sévérité de l‟anémie est associée à une baisse du QIG (Bernaudin et al., 2000; Steen et al., 2003). L‟étude de Hogan (2006), investiguant les liens entre le niveau de saturation du sang en oxygène et les performances intellectuelles générales, suggère que l‟hypoxie cérébrale chronique est un facteur

59 prédictif indépendant de la baisse du fonctionnement cognitif des drépanocytaires sans infarctus cérébral.

Au vu de l‟état actuel de la littérature, on peut supposer qu‟il existe une fragilité de base du fonctionnement cérébral chez les drépanocytaires, à laquelle peuvent se surajouter les infarctus silencieux et les AVC. De façon corollaire, les déficits cognitifs observés dans cette population sont généralement d‟intensité légère pour les drépanocytaires sans infarctus, modérée pour les infarctus silencieux et sévère pour les AVC. En outre, les drépanocytaires avec infarctus silencieux et sans infarctus semblent présenter le même type de déficits cognitifs et tissulaires, mais d‟intensité différente.