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2. LA DREPANOCYTOSE

2.1. Généralités

a. Histoire de la maladie

En 1910, Walter Clement Noel, originaire des Caraïbes, emménagea à Chicago pour étudier la médecine dentaire dans l‟une des meilleures écoles du pays. Lors de sa formation, il fut hospitalisé pour un souffle court, des palpitations cardiaques, ainsi que des douleurs abdominales et musculaires. Le patient rapporta également une fatigue chronique, des maux de tête et des ulcères sur les jambes. Une analyse de son sang fut effectuée et le Dr J.B. Herrick utilisa pour la première fois le terme « faucille » (de l‟anglais « sickle ») pour décrire les globules rouges particulièrement allongés chez ce « nègre intelligent de 20 ans » (1910). Trois ans plus tard, W.

Noel termina ses études et retourna dans les Caraïbes où il travailla comme dentiste et décéda à l‟âge de 32 ans à la suite d‟une pneumonie. Le terme « faucille » utilisé par le Dr Herrick allait en 1922 officiellement donner le nom d‟ « anémie falciforme » (« sickle cell anemia ») à cette maladie après que trois nouveaux cas eurent été décrits.

Viennent ensuite quelques dates importantes dans l‟évolution de la compréhension de cette maladie. En 1949, Pauling (prix Nobel de chimie en 1954 et prix Nobel de la paix en 1962) mit en évidence le caractère anormal de l‟hémoglobine par l‟électrophorèse, décrivant ainsi la première « maladie moléculaire ». En 1956, Ingram détermina l‟anomalie biochimique responsable par la méthode de « finger-prints » ou « peptide-maping ». Dans les années 1950, Diggs contribua à la description clinique des complications dues à la maladie. En 1966, Robinson (5) mit en évidence la susceptibilité des drépanocytaires vis-à-vis du pneumocoque et Barrett-Connor souligna la fréquence des infections en 1971. A partir de 1972, le diagnostic prénatal de la maladie fut envisagé par Kan et Valenti (Beauvais, 1982).

La prise en charge de la drépanocytose ne se développa véritablement que dans les années 1960 avec l‟émancipation de la population afro-américaine aux Etats-Unis. En 1972 dans ce pays, le président Nixon promit des crédits pour la recherche et la prise en charge de la drépanocytose:

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«Notre indifférence quant à la recherche sur cette maladie est une histoire triste et honteuse que nous ne pouvons pas réécrire. Mais nous pouvons modifier notre politique : c’est pour cette raison que notre administration va augmenter le budget alloué pour la recherche et la prise en charge de la drépanocytose.» (Tchernia, 2004).

Suite à cette décision politique, la prise en charge de la drépanocytose connaîtra des progrès considérables aux Etats-Unis, notamment en matière de dépistage précoce et de prévention de certaines complications. D‟autres auteurs (Fullwiley, 2004) considèrent que, même si l‟intention était louable, cette décision allait avoir des conséquences néfastes car les efforts étaient concentrés sur le dépistage de la maladie (83% du budget total) chez les Noirs Américains, alors que peu de moyens étaient alloués à l‟amélioration de la prise en charge. Cela laissait également présager des discriminations des individus identifiés « SS », biologiquement inférieurs, ainsi que l‟angoisse que le dépistage du trait ne devienne un moyen de contrôler la reproduction des afro-américains. Linus Pauling, qui avait mis en évidence le caractère anormal de l‟Hb par l‟électrophorèse, avait même fait cette déclaration publique :

« Je suggère qu’on appose un symbole tatoué sur le front de chaque jeune personne porteuse du gène…Si cela était fait, deux jeunes gens portant le même gène réellement délétère, seraient informés de la situation au premier coup d’œil et se retiendraient de tomber amoureux l’un de l’autre…. La législation dans ce domaine, le dépistage obligatoire avant le mariage, quelque forme de marque publique ou semi-publique de ce caractère, doit être adoptée (1969 : 269) » (Lainé, 2004).

Les drépanocytaires seront longtemps marginalisés, rencontrant des refus d‟emploi, de prêt bancaire, ou d‟assurance. Le fait que la maladie touche principalement les couches sociales les plus défavorisées et peu solvables, tant en Occident qu‟en Afrique, explique probablement en partie le manque d‟intérêt dont souffre encore la drépanocytose. Ainsi, selon Lainé (2004), ce sont principalement les associations de drépanocytaires qui ont permis de développer la connaissance et la prise en charge de cette maladie.

12 b. Description de la maladie

Les syndromes drépanocytaires (du grec « drepanon », faucille) sont des maladies génétiques définies par la présence dans les globules rouges d‟une hémoglobine anormale, appelée hémoglobine S (HbS). La mutation responsable se situe au niveau du 6e codon de la chaîne β-globine et se traduit sur le plan protéique par la substitution d‟une valine à un aide glutamique, entraînant la production d‟une hémoglobine altérée (Girot, Bégué, & Galacteros, 2003).

L'hémoglobine, principal constituant du globule rouge, est une protéine dont la fonction prioritaire est le transport de l‟oxygène des poumons jusqu‟aux tissus de l‟organisme. L‟HbS a la propriété de polymériser lorsque la saturation en oxygène baisse, déformant le globule rouge et lui donnant la forme d‟une faucille (Girot, Bégué, & Galacteros, 2003) (Figure 1). La polymérisation de l‟HbS est au centre du processus physiopathologique de la maladie drépanocytaire et est à l‟origine des principales complications liées à la maladie (Girot, Bégué, &

Galacteros, 2003) (voir chapitre 2.2).

Il existe plusieurs types de syndromes drépanocytaires, l‟HbS pouvant être associée à une autre anomalie de l‟Hb (Tableau 1). Nous nous concentrerons dans ce travail sur la forme la plus courante (65% des cas) et la plus sévère: la drépanocytose homozygote (dite forme « SS »). Dans l‟ensemble de ce travail, le terme « drépanocytose » sera utilisé en faisant référence à ce syndrome drépanocytaire particulier.

Figure 1. Comparaison d‟un globule rouge de drépanocytaire (à gauche) et d‟un globule rouge normal.

13 4. HbS associée à une Hb thalassémique SE

S Lepore

5. HbS associée à une persistance héréditaire de l‟Hb F Mutations délétionnelles Mutation non délétionnelles

6. Cas des mutants « S like » avec double mutation β AS Antilles, SS Antilles, CS Antilles, SC Harlem

Tableau 1. Classification et désignation des principaux syndromes drépanocytaires. Adapté de Girot, Bégué, &

Galacteros (2003).

Le diagnostic de drépanocytose repose sur l‟identification formelle de l‟HbS. Le dépistage est effectué à partir d‟une prise de sang et la mise en évidence de l‟hémoglobine S, la méthode la plus couramment utilisée étant l‟électrophorèse de l‟hémoglobine en pH alcalin (Girot, Bégué, &

Galacteros, 2003). La réalisation d‟un hémogramme et d‟une étude phénotypique complète de l‟Hb permet de préciser le type de syndrome drépanocytaire. Dans les pays en voie de développement, le dépistage systématique n‟est pas couramment pratiqué et le diagnostic est généralement posé lorsque le patient se présente avec une complication grave (OMS, 2006).

c. Transmission génétique

La drépanocytose fait partie des hémoglobinopathies, maladies héréditaires de la formation de l'hémoglobine. L‟atteinte liée à la drépanocytose se situe au niveau du gène qui code la structure de la chaîne bêta de l'hémoglobine. La version mutée de ce gène (allèle S) est responsable de la drépanocytose, alors que les allèles normaux sont appelés A. L‟être humain possède les gènes de

14 son patrimoine génétique en double exemplaire, et donc pour l‟hémoglobine deux gènes bêta qui peuvent être AA, AS ou SS.

La drépanocytose se transmet selon le mode autosomique récessif. Le gène muté étant localisé sur un autosome, la maladie atteint autant les filles que les garçons. Le mode de transmission est récessif : il faut que les deux copies de ce gène anormal soient transmises pour que l'individu soit malade. Quand la drépanocytose est transmise par les deux parents, elle est dite homozygote ou SS. Le sujet est alors à risque de présenter les symptômes de la drépanocytose.

Quand la drépanocytose est transmise par un seul des parents, elle est dite hétérozygote ou AS.

Les individus hétérozygotes, également appelés porteurs sains, ne présentent habituellement pas de symptômes liés à la maladie. Ils possèdent généralement 40% d‟HbS, ainsi que 60% d‟HbA (hémoglobine « normale ») qui exerce un effet protecteur sur l‟organisme. Les hétérozygotes peuvent présenter des complications dans certaines situations particulières : par exemple lors d‟un voyage en avion non pressurisé à haute altitude, d‟une hypoxie par anesthésie mal réglée, ou lors d‟activités physiques intenses et prolongées (Bitanga & Rouillon, 1998). Ces faits sont exceptionnels, les hétérozygotes étant généralement asymptomatiques et leur taux de mortalité aux Etats-Unis n‟étant pas plus élevé que celui de la population générale (Ohene-Frempong, 1991).

La Figure 2 illustre la situation où les parents sont deux porteurs sains (AS). Les ronds rouges représentent les allèles drépanocytaires et les ronds bleus les allèles « normaux ». Ces parents ont un risque sur quatre d‟avoir un enfant non porteur du gène drépanocytaire (AA, dessiné en bleu), deux risques sur quatre d‟avoir un enfant hétérozygote (AS, en violet) et un risque sur quatre d‟avoir un enfant homozygote (SS, en rouge).

15 d. Drépanocytose, paludisme, polygamie, sédentarisation et alimentation

La persistance de cette maladie génétique s‟explique principalement par ses liens avec le paludisme. En effet, un gène aussi défavorable et aussi fréquent ne pourrait subsister s‟il ne conférait pas des avantages compensateurs aux individus concernés. Dans le cas de la drépanocytose, les individus hétérozygotes sont dans une certaine mesure protégés contre les formes pernicieuses mortelles du paludisme à plasmodium falciparum. En effet, les globules rouges des drépanocytaires, plus fragiles, vont se rompre plus rapidement lorsqu‟ils sont infectés par le plasmodium. Comme le plasmodium doit passer une partie de son cycle de vie dans les globules rouges, sa reproduction est interrompue en raison de la rupture précoce de la cellule, ce qui limite le développement d‟une forte parasitémie responsable des paludismes mortels.

Il faut toutefois préciser que les drépanocytaires homozygotes contractent le paludisme comme toute personne exposée à cette maladie infectieuse. La malaria serait même la première cause de crises vaso-occlusives chez les drépanocytaires en Afrique (Konotey-Ahulu, 1991). La protection est surtout favorable aux individus hétérozygotes et est exercée uniquement contre les formes pernicieuses mortelles du paludisme à falciparum, particulièrement avant l‟âge de 4 ans (Konotey-Ahulu, 1991). Sachant que le paludisme cause chaque année entre un et trois millions de morts (Breman, 2001) (maladie la plus répandue en Afrique) et que la grande majorité des

Figure 2. Transmission génétique de la drépanocytose

16 victimes sont des enfants de moins de 5 ans (Greenwood, Bojang, Whitty, & Targett, 2005), on comprend l‟importance de l‟avantage sélectif conféré aux drépanocytaires hétérozygotes qui, ainsi, pérennisent la tare.

En Afrique tropicale, Edelstein (1988) a estimé en utilisant les équations de la génétique des populations appliquées au « polymorphisme équilibré » que pour 10 personnes AS, seulement 9 personnes AA survivent jusqu‟à la maturité sexuelle. L‟auteur explique qu‟il est relativement difficile de quantifier l‟avantage des porteurs sains AS, car cet avantage dépend fortement du milieu dans lequel ils évoluent. La résistance au paludisme serait selon cet auteur faiblement accrue par le gène S, contrairement à ce que l‟on avait pensé suite à l‟expérience d'Allison réalisée en 1954 en Afrique Orientale, qui révélait un énorme accroissement de la résistance au paludisme pour les drépanocytaires hétérozygotes. Dans cette expérience, Allison avait inoculé le parasite du paludisme à des volontaires et constaté que quatorze sujets AA sur quinze avaient contracté le paludisme alors que seulement deux sujets AS sur quinze avaient été atteints. Outre les évidentes critiques sur le plan éthique, la méthodologie de cette étude a été fortement remise en cause.

La Figure 3 montre les cartes de fréquence de la malaria et de la drépanocytose dans le monde.

On observe que les zones de fréquences élevées pour la drépanocytose sont également des zones où la malaria est très présente, suggérant que ces deux maladies sont fortement liées. Une autre preuve du rôle joué par le paludisme vient des analyses en laboratoire, qui ont démontré que le parasite du paludisme ne se multiplie pas aussi bien dans les globules rouges AS que dans les AA, surtout lorsque le milieu est pauvre en oxygène (Edelstein, 1988).

Pour résumer, le gène drépanocytaire, qui est délétère pour les homozygotes, confère un léger avantage sélectif aux hétérozygotes et, par là, favorise le maintien de la tare par un mécanisme de sélection naturelle vis-à-vis du paludisme.

17 Si le paludisme est reconnu comme le facteur principal du maintien du gène drépanocytaire, d‟autres facteurs ont également joué un rôle non négligeable dans la propagation de la maladie.

La propagation de la drépanocytose sur l‟ensemble de la planète est à mettre en lien avec les migrations. La présence de la maladie en Occident résulte en premier lieu du commerce des esclaves, ce qui explique la fréquence élevée du gène aux Etats-Unis par exemple.

La polygamie aurait aussi joué un rôle non négligeable dans la propagation du gène S en Afrique (Edelstein, 1988), notamment parce qu'elle est plus fréquente en cas de décès des enfants du premier lit. Les hommes porteurs du gène S ont donc plus tendance à pratiquer la polygamie, ce qui augmente la propagation du gène anormal.

A

B

Figure 3. Cartes de fréquence de la drépanocytose (A) et de la malaria (B) dans le monde (Piel et al., 2010)

18 La sédentarisation des peuples au moment de l‟apparition de la mutation génétique aurait favorisé son développement. Le passage à l‟agriculture et la plantation de tubercules sont à l‟origine de cultures en brûlis, qui créent des terrains de reproduction propices pour le moustique transmettant le paludisme (Edelstein, 1988).

Edelstein toujours (1988) relève que les hypothèses ci-dessus n‟expliquent pas pourquoi la drépanocytose est absente dans certaines régions de la planète qui sont fortement touchées par la malaria. Cet auteur évoque le rôle de l’alimentation pour l‟expliquer. L‟igname est cultivée en Afrique depuis des millénaires et constitue l‟une des denrées de base de l‟alimentation. Il a été observé que la fréquence du gène S est plus élevée dans les régions où la consommation d‟igname est forte que dans les régions où le riz est l‟aliment de base. Ce tubercule a comme propriété de libérer une substance appelée cyanate, qui atténue la falciformation des globules rouges. Mais si l‟igname était consommée toute l‟année, les individus hétérozygotes AS perdraient leur protection contre le paludisme car leurs globules rouges ne se déformeraient plus et l‟infection du paludisme pourrait se répandre normalement. La combinaison idéale serait donc de ne pas manger d‟igname durant la période d‟activité la plus intense des anophèles (la saison humide). Durant cette période les individus AS seraient alors « protégés » du paludisme en bénéficiant de la déformation des globules rouges. Durant le reste de l‟année, la consommation d‟igname aurait un effet positif sur la santé des individus SS et le trait aurait ainsi le plus de chances de se développer. Il semblerait que les populations africaines aient adopté ce mode de fonctionnement puisque, par exemple dans les ethnies kwas, il est interdit de consommer les ignames nouvelles avant que ne soit passée la première période des pluies. De même, les fêtes de l‟igname, qui comptent parmi les plus importantes de l‟année et qui sont célébrées dans de nombreux pays d‟Afrique, marquent le moment où les ignames nouvelles peuvent être mangées après la première période de pluies (Livingstone, 1973).

e. Epidémiologie

La drépanocytose touche principalement les individus vivant dans les régions tropicales et sous-tropicales, ou ayant des origines dans ces régions (Figure 3, Tableau 2). C‟est en Afrique que l‟on trouve le plus de personnes touchées par la drépanocytose, avec plus de 200 000 cas recensés

19 selon les chiffres de l‟OMS (2006). Ce chiffre sous-évalue probablement le nombre de cas réels, car la maladie n‟est souvent pas diagnostiquée. Il est estimé que 80% des enfants drépanocytaires naissent sur le continent africain (Modell & Darlison, 2008). Une revue de la littérature montre que la prévalence de la maladie varie considérablement d‟une région africaine à l‟autre (Ohene-Frempong, 1991). Le trait drépanocytaire est particulièrement fréquent dans les régions de l‟ouest, du centre et de l‟est africain où 10 à 30% des individus sont porteurs (AS) de la maladie, correspondant à 1-2% d‟enfants naissant avec la drépanocytose (SS)1. En Ouganda, la prévalence des porteurs sains atteindrait même 45 % de la population chez les Baambas de l‟ouest du pays (OMS, 2006). C‟est le Nigéria qui compte le plus grand nombre de malades, avec 24 % de la population porteuse du gène mutant et environ 150'000 naissances drépanocytaires chaque année (Anie, Egunjobi, & Akinyanju, 2010). Le trait est moins fréquent dans les pays du Nord et du Sud du continent (entre 0 et 5% de porteurs).

Pays à prévalence homogène

Tableau 2. Taux de prévalence de la drépanocytose à la naissance dans les principales régions d'Afrique et des îles de France. Adapté de Galacteros, 2000.

1Si l‟on connaît la proportion de personnes porteuses du trait drépanocytaire, il est possible d‟évaluer assez précisément le nombre d‟individus homozygotes SS. Prenons par exemple un taux de porteurs de 25% dans une région donnée, 6% (25/100 x 25/100) de tous les couples seront composés de deux porteurs et un enfant sur quatre de ces couples naîtra homozygote SS, soit 1,5% de toutes les naissances dans cet exemple (6/100 x 25/100).

20 Au Cameroun, la drépanocytose est un problème majeur de santé publique, avec des taux de porteurs du trait allant de 8 à 34% (Weatherall & Clegg, 2001) et une prévalence d‟individus homozygotes d‟environ 2-3%. A Yaoundé, capitale du Cameroun, il y aurait au moins 40'000 personnes souffrant de cette maladie. Le pays a récemment développé un programme national de contrôle de la drépanocytose (Ministry-of-Public-Health, 2005).

En Europe, en raison des migrations, la drépanocytose fait partie des maladies héréditaires les plus communes (Fleming, 1992). En France, on compte environ 220 à 250 naissances drépanocytaires dépistées chaque année et 5000 malades sur le territoire français (dont environ 40% dans les départements d‟Outre-mer) (Galacteros, 2000). En Angleterre, 1.4% des nouveau-nés d‟origine africaine naissent avec la drépanocytose. Il existe également en Europe des régions dans lesquelles la drépanocytose est indigène : dans le sud de l‟Italie, du Portugal et de la Turquie, en Grèce et en Albanie (fréquences de porteurs du trait entre 1 et 5 % de la population).

Contrairement à une idée reçue, la drépanocytose ne touche donc pas uniquement les individus de couleur noire. Par ailleurs, les populations d‟Arabie Saoudite, d‟Inde, du Pakistan, du Bangladesh et de la Chine sont également très touchées (Hickman et al., 1999). En réalité, la prévalence la plus élevée du trait drépanocytaire ne se trouverait pas en Afrique, mais en Inde et en Arabie Saoudite (Konotey-Ahulu, 1991).

Aux Etats-Unis, dans la population afro-américaine, on compte environ une naissance drépanocytaire sur 375 à 600 nouveau-nés et environ 8 à 10% de la population afro-américaine est porteuse du trait drépanocytaire (Michlitsch et al., 2009). La drépanocytose est la maladie génétique la plus fréquente aux Etats-Unis (Charache, Lubin, & Reid, 1992), ce qui explique qu‟elle est bien connue de la population et qu‟elle fait l‟objet d‟un grand nombre d‟études scientifiques.

21 f. Aspects culturels

La prise en charge et le vécu de la drépanocytose sont très différents selon le contexte culturel dans lequel se trouve le malade. Etant donné que l‟essentiel de ce travail a été réalisé au Cameroun, nous avons choisi de présenter dans ce chapitre uniquement les aspects culturels liés au vécu de la drépanocytose en Afrique.

Si la drépanocytose a été identifiée tardivement comme une entité clinique en Occident (voir chapitre Histoire de la maladie), qu‟en est-il dans les régions les plus touchées par la maladie ? La mutation du gène drépanocytaire serait apparue il y a environ 2400 ans (Edelstein, 1988), les habitants de ces régions ont donc été confrontés à cette maladie depuis très longtemps. Avaient-ils identifié la drépanocytose en tant qu‟entité clinique avant le 20e siècle ? Si oui, quels moyens utilisaient-ils pour s‟en prémunir et pour la traiter ? Très peu d‟études se sont directement intéressées à la prise en charge traditionnelle de la drépanocytose en Afrique. Ces questions sont pourtant importantes car elles pourraient apporter des indices pour améliorer la prise en charge de ces malades aujourd‟hui.

Quelle est la place de la drépanocytose dans les nosographies africaines traditionnelles ? Les principaux symptômes qui caractérisent la maladie sont les douleurs violentes et récurrentes. Elle est décrite comme « la maladie des os que l‟on fend, que l‟on brise, la maladie qui tape, qui cogne, qui broie les os, qui pique, qui brûle, qui vrille, qui perfore le corps et les membres » (Lainé, 2004). Selon les ethnies, la maladie est aussi nommée en fonction des circonstances des

Quelle est la place de la drépanocytose dans les nosographies africaines traditionnelles ? Les principaux symptômes qui caractérisent la maladie sont les douleurs violentes et récurrentes. Elle est décrite comme « la maladie des os que l‟on fend, que l‟on brise, la maladie qui tape, qui cogne, qui broie les os, qui pique, qui brûle, qui vrille, qui perfore le corps et les membres » (Lainé, 2004). Selon les ethnies, la maladie est aussi nommée en fonction des circonstances des