• Aucun résultat trouvé

7. SYNTHESE

7.1. Discussion des hypothèses

Dans le but de synthétiser les résultats présentés dans ces quatre articles, reprenons les principales hypothèses opérationnelles formulées en fin de partie introductive:

1. Les drépanocytaires camerounais obtiendront de moins bonnes performances cognitives que le groupe contrôle.

Cette hypothèse est largement confirmée. La prévalence des déficits cognitifs dans cette population est extrêmement élevée : 15.6 % des patients de notre cohorte présentent des déficits cognitifs modérés et 21.9% des patients présentent des déficits cognitifs sévères. Ces deux catégories réunies, 37.5% des drépanocytaires de la cohorte présentent des déficits cognitifs.

Cette prévalence est nettement plus élevée que ce qui est généralement observé chez les drépanocytaires vivant dans des pays occidentaux. Rappelons que si la même méthodologie est appliquée au groupe contrôle, moins de 5% des enfants sont classés comme ayant des performances cognitives déficitaires. Ces résultats indiquent que la drépanocytose a un impact négatif sévère sur le fonctionnement cognitif au Cameroun.

2. a) Les drépanocytaires avec antécédents d’AVC obtiendront de moins bonnes performances que les drépanocytaires sans antécédent d’AVC.

b) Les drépanocytaires sans antécédent d’AVC obtiendront de moins bonnes performances que les enfants du groupe contrôle.

Nos résultats vont dans le sens de ces deux hypothèses. L‟intensité des déficits cognitifs chez les drépanocytaires camerounais peut être schématisée ainsi : les enfants non drépanocytaires ont moins de déficits cognitifs que les enfants drépanocytaires avec infarctus silencieux/sans AVC, qui, à leur tour, présentent moins de déficits cognitifs que les drépanocytaires avec antécédents d'AVC (Figure 9).

162 Figure 9. Intensité des déficits cognitifs dans les trois groupes de participants

3. Les déficits seront plus marqués dans les épreuves évaluant les fonctions exécutives et attentionnelles.

Lorsque tous les drépanocytaires sont pris en compte, les analyses montrent que la maladie a un effet négatif spécifique sur le fonctionnement exécutif et attentionnel, alors que la mémoire et la dextérité manuelle sont relativement préservées. Le profil des déficits cognitifs diffère dans les deux groupes de patients : les drépanocytaires avec antécédents d‟AVC ont des déficits dans tous les domaines cognitifs, alors que les drépanocytaires sans antécédent d‟AVC présentent des déficits limités au niveau des fonctions exécutives et attentionnelles. En l‟absence d‟IRM cérébrale, nous ne pouvons pas déterminer si la baisse des performances dans ces deux domaines chez les patients sans antécédent d‟AVC est liée à des infarctus silencieux.

4. Nous attendons une corrélation positive entre l’âge et les déficits cognitifs : plus les enfants seront âgés plus ils présenteront de déficits cognitifs.

Les drépanocytaires les plus âgés de notre cohorte (17-20 ans) présentent effectivement une prévalence de déficits cognitifs nettement plus élevée que les autres groupes d‟âge. Relevons cependant que cette augmentation des déficits avec l‟âge n‟est pas linéaire: le groupe des enfants

Enfants non drépanocytaires

Drépanocytaires avec infarctus silencieux/sans

AVC

Drépanocytaires avec antécédents d'AVC

163 les plus jeunes (6-11 ans) et le groupe des enfants d‟âge intermédiaire (12-16 ans) présentent en effet les mêmes prévalences de déficits. En outre, les résultats montrent que l‟augmentation des déficits chez les patients les plus âgés est principalement due à une aggravation des déficits dans le domaine des fonctions exécutives.

5. Les drépanocytaires répéteront significativement plus d’années scolaires et obtiendront de moins bonnes notes que le groupe contrôle.

Cette hypothèse est en partie confirmée, les drépanocytaires camerounais ayant tendance à répéter plus de classes et à obtenir de moins bonnes performances scolaires que le groupe normatif. Nous n‟observons cependant pas de différence massive entre les deux groupes, ce qui pourrait être expliqué par le manque de fiabilité de nos mesures (nombre de redoublements et bulletin scolaire).

6. Une proportion significative des drépanocytaires présentant des déficits cognitifs à l’examen neuropsychologique auront un examen neurologique normal.

Cette hypothèse est largement confirmée, puisque seulement 6 des 26 patients ayant des déficits cognitifs présentent un examen neurologique pathologique. Ces résultats montrent qu‟une proportion importante de drépanocytaires ayant des déficits cognitifs significatifs n‟est pas détectée à l‟examen neurologique, ce qui renforce l‟importance du bilan neuropsychologique pour ces patients.

7. L'épreuve du CPT sera le test le plus sensible de la batterie pour la détection des troubles cognitifs.

Les drépanocytaires ont effectivement des scores significativement moins élevés au CPT. La sensibilité de cette épreuve n‟est cependant pas plus élevée que celle des tests évaluant les fonctions exécutives. Cette épreuve ne semble pas suffisante à elle seule pour détecter les déficits cognitifs légers, comme pouvait le suggérer l‟étude de DeBaun et al. (1998).

164 8. Les drépanocytaires ayant une anémie sévère (taux d’hémoglobine inférieur à 7g/dl) présenteront plus de déficits cognitifs que les patients souffrant d'une anémie modérée/légère (taux d’hémoglobine supérieur à 7g/dl).

Les patients de notre cohorte ont globalement des taux très bas d‟hémoglobine, 67% des malades présentant une anémie sévère et 33% des malades présentant une anémie modérée. Le groupe des drépanocytaires avec une anémie sévère présente plus de déficits cognitifs. L‟effet négatif de l‟anémie sur les fonctions cognitives est cependant limité au domaine des fonctions exécutives.

Ces résultats sont cohérents avec les effets attendus de l‟hypoxie cérébrale chronique sur le plan cérébral, qui est liée à une baisse de la distribution du sang au niveau des territoires frontières et des régions sous-corticales. Etant donné que ces régions cérébrales sous-tendent le bon fonctionnement des capacités exécutives (Tullberg et al., 2004), il n‟est pas étonnant d‟observer des déficits spécifiquement dans ce domaine chez les drépanocytaires souffrant le plus d‟anémie.

En suivant ce raisonnement, nous aurions cependant dû observer le même effet sur le domaine de l‟attention, qui dépend également du bon fonctionnement de ces structures cérébrales.

L'un des premiers symptômes de l'anémie est la fatigue. L‟anémie pourrait ainsi avoir un effet indirect sur le comportement: la fatigue peut avoir un effet sur les performances cognitives, particulièrement dans les tâches exigeantes en termes de ressources de traitement. Est-ce que l‟impact de l‟anémie sur les fonctions exécutives pourrait être expliqué par la fatigue plutôt que par une atteinte des structures cérébrales? Un élément de réponse provient des résultats montrant une augmentation des déficits exécutifs avec l‟âge. Nous pouvons raisonnablement faire l'hypothèse que cette augmentation est en lien avec un effet cumulatif de l‟hypoxie chronique sur le cerveau, ce qui suggèrerait que l‟impact de l‟anémie sur les performances cognitives n‟est pas uniquement lié à la fatigue.

9. Les drépanocytaires ayant un taux d’hémoglobine fœtale élevé présenteront moins de déficits cognitifs.

Cette hypothèse est confirmée pour les fonctions exécutives et attentionnelles : les drépanocytaires ayant des taux d‟hémoglobine fœtale élevés obtiennent de significativement

165 meilleures performances dans ces deux domaines. A notre connaissance, ce lien entre l‟hémoglobine fœtale et le fonctionnement cognitif n‟a jamais été rapporté dans la littérature. Ces résultats sont intéressants pour le domaine croissant de la thérapie par hydroxyurée, qui augmente la production d‟hémoglobine fœtale. Une question non résolue liée au traitement par l‟hydroxyurée concerne la possibilité que les déficits cognitifs puissent être prévenus, voire réversibles grâce à ce traitement. Dans une étude préliminaire, Puffer et al. (2007) ont comparé les performances cognitives d‟un groupe de patients drépanocytaires traités par hydroxyurée depuis plus d‟un an (n=15) et d‟un groupe de drépanocytaires n‟ayant jamais été traités par hydroxyurée (n=50). Les auteurs ont observé de meilleures performances du groupe de patients sous hydroxyurée pour les domaines de compréhension verbale, de raisonnement fluide et des capacités intellectuelles générales. Ces résultats suggèrent que l‟hydroxyurée a un impact positif sur la cognition en augmentant la production d‟hémoglobine foetale, ce qui corrobore nos résultats montrant un lien entre le taux d‟hémoglobine fœtale et les fonctions cognitives.

10. Les patients ayant un examen Doppler transcrânien pathologique présenteront plus de déficits cognitifs.

Cette hypothèse n‟est vérifiée que pour le domaine de la mémoire, les patients ayant un examen Doppler transcrânien pathologique obtenant de significativement moins bonnes performances au test du CVLT. Notons que le nombre de patients ayant été soumis à un Doppler transcrânien est assez faible (n=32). Si le lien observé spécifiquement avec la mémoire est quelque peu surprenant, ces résultats sont en accord avec la seule étude ayant observé un lien significatif entre le Doppler transcrânien et les fonctions cognitives chez les drépanocytaires (Kral et al., 2006).

Ces auteurs observent également que les résultats de l‟examen Doppler sont uniquement en lien avec les capacités mnésiques. Tout comme ces auteurs, nous n‟avons pas d‟hypothèse qui expliquerait ce lien exclusif entre le Doppler transcrânien et les capacités mnésiques.

166 11. Les performances cognitives des enfants du groupe contrôle présenteront la même

structure générale que celle des enfants occidentaux.

Seuls deux tests de la batterie ont dû être retirés en raison d'effets planchers et d'une importante variabilité interindividuelle indiquant que ces tests n'étaient pas adaptés à la population cible. Les performances des enfants camerounais sur les autres tests étaient comparables aux trajectoires développementales observées chez les enfants occidentaux dans ces tests.

L'analyse factorielle exploratoire réalisée sur les données récoltées auprès du groupe contrôle (cf.

articles 1 et 2) montre un regroupement des variables de la batterie en une structure factorielle très cohérente par rapport à ce que nous aurions attendu si nous avions administré ces tests à des enfants occidentaux. Dans la même lignée, l'analyse factorielle effectuée sur les variables des tests exécutifs et attentionnels conduit à des résultats pratiquement superposables à ce qui a été observé avec les mêmes tests auprès de populations occidentales. Ajoutons que l‟évolution de la structure des fonctions exécutives est cohérente dans notre cohorte, tant chez l'enfant, que chez l‟adolescent et le jeune adulte.

Même si ces résultats sont tirés de mesures indirectes qui impliquent une grande prudence dans leur interprétation, ils suggèrent que les performances des enfants suivent les mêmes trajectoires développementales et que les tests utilisés évaluent les mêmes processus cognitifs dans le contexte camerounais que dans leur contexte d‟origine.

167

7.2. Modèle des principaux mécanismes liés aux déficits cognitifs dans la