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Le principe de la dialectique entre autonomie et interdépendance

Paragraphe II – La dialectique entre autonomie et interdépendance : un même instrument de gestion de

A- Le principe de la dialectique entre autonomie et interdépendance

87. « Un cliché (qui, comme bien des clichés, n’est pas totalement dénué de fondement) veut que le fédéralisme permette de concilier l’unité et la diversité au sein d’une même société »270. Comme le soulève J.-F. Gaudreault-Desbiens, la conciliation de

ces deux idéaux qui apparaissent contradictoires est largement rattachée dans la doctrine aux thèses du fédéralisme.

268 A. GAGNON, J. PALARD, B. GAGNON (dir.), Diversité et identités au Québec et dans les régions

d'Europe, Québec, Presses de l’Université Laval, 2006, p 14.

269 M. DELMAS-MARTY, M.-L. IZORCHE, « Marge nationale d’appréciation et internationalisation du

droit, Réflexions sur la validité formelle d’un droit commun pluraliste », RIDC, vol.52, 4, 2000, pp 764-767.

270 J.-F. GAUDREAULT-DESBIENS, F. GELINAS (dir.), Le Fédéralisme dans tous ses états : gouvernance,

identité et méthodologie – The states and moods of federalism : governance, identity and methodology,

K.C. Wheare définit le principe fédéral comme « la méthode de division des pouvoirs en fonction de laquelle les gouvernements généraux et régionaux sont chacun dans leur sphère de pouvoir, coordonnés et indépendants »271. D.-J. Elazar en propose une définition que F.

Rocher considère comme quasi-universelle et selon laquelle « les principes fédéraux s’intéressent à la combinaison de l’autonomie et de l’interdépendance »272. Selon D.-J.

Elazar, le principe fédéral permet « la perpétuation d’une union et d’une non- centralisation »273. P. J. Proudhon évoque la dualité propre à tout système fédéral, qu’il

décrit avec des termes différents : l’autorité et la liberté.274 G. Burdeau relève également les

principes d’autonomie et de participation comme aspects moraux du fédéralisme.275

88. La doctrine est particulièrement riche au sujet des principes mêmes fondant le fédéralisme : participation, autonomie, union, non centralisation, les concepts ne manquent pas. Mais peu d’auteurs ont fait ressortir explicitement et de façon précise l’ensemble des éléments participant à la tension entre autonomie et interdépendance. De même, les auteurs rattachent généralement directement cette tension au fédéralisme, alors que d’autres formes d’organisations connaissent cette problématique. P. Glenn notamment propose d’établir, pour les régions où cohabitent plusieurs identités juridiques et sans parler de fédéralisme, une sorte de Ius commune, car il a la capacité de préserver l’unité dans la diversité.276

271 K.C. WHEARE, Federal Government, 4ème édition, Londres, Oxford University Press, 1963, p 11. Voy.

également F. ROCHER, « La dynamique Québec-Canada ou le refus de l’idéal fédéral », in A.G. GAGNON,

Le fédéralisme canadien contemporain: fondements, traditions, institutions, Les Presses de l’Université de

Montréal, 2006, p 96.

272 F. ROCHER, op. cit., p 96.

273 « […] the essence of the federal principle : the perpetuation of both union and noncentralization ».

L’auteur complète : « Federalism is the mode of political association and organization that unites separate polities within a more comprehensive political system in such a way as to allow each to maintain its own fundamental political integrity ». Voy. D.-J. ELAZAR, Federalism Theory and Application, vol. 1, HSRC Press, 1995, pp 1 & s.

274 P.-J. PROUDHON, Du principe Fédératif et de la Nécessité de Reconstituer le Parti de la Révolution,

E.Dentu, Paris, 1863, pp 19 & s.

275 F. ROCHER, op. cit, p 102.

276 « […] ability to preserve unity in diversity ». Voy. P.H. GLENN, P.M. LAING, On Common Laws,

F. Rocher propose une lecture plus complète de cette tension en utilisant la métaphore du triptyque. Deux principes sont au centre de ce triptyque : l’autonomie et l’interdépendance. Chacun de ces principes implique d’autres principes corolaires, participant à la tension permanente entre les deux.277

L’auteur relève comme postulat de départ l’existence du pluralisme, de l’hétérogénéité dans une société. Selon lui, peu importe l’origine et la façon dont le pluralisme social s’est politiquement constitué, l’important est qu’il y ait de nombreuses et profondes divergences de vues entre groupes sociaux territorialement constitués.278 Nous avons établi l’existence

de ce pluralisme au Canada et dans l’Union.279

Selon F. Rocher, les minorités doivent gouverner conjointement et leur autonomie doit être aussi large que possible. C’est la première branche du triptyque : le principe d’autonomie. L’auteur précise qu’une coexistence du pouvoir de la structure centrale avec une marge d’autonomie des groupes hétérogènes est nécessaire. Ces groupes doivent avoir le pouvoir de gérer leurs propres affaires, disposer d’un ordre juridique et de compétences propres. Cette autonomie se réalise grâce à l’octroi de moyens financiers, administratifs et législatifs à chaque groupe. Le principe d’autonomie s’applique dans les mêmes termes à la structure centrale.280 L’autonomie permet de respecter l’hétérogénéité sociale et la diversité

notamment juridique et politique de la société.

La seconde branche du triptyque de F. Rocher est le principe d’interdépendance. L’auteur affirme que l’interdépendance part de la nécessité d’établir des contacts réciproques. L’objectif est de créer un « espace pluriforme » où doit s’exprimer la solidarité entre les groupes hétérogènes.281 C’est ce que Brugmans appelle « un régime de

mutualités »282. Cette interdépendance est horizontale : chaque décision prise par un groupe

hétérogène peut affecter les autres groupes. Également, cette interdépendance est verticale :

277 Voy. à ce sujet le schéma explicatif proposé par l’auteur dans F. ROCHER, « La dynamique Québec-

Canada ou le refus de l’idéal fédéral », in A.G. GAGNON, Le fédéralisme canadien contemporain:

fondements, traditions, institutions, Les Presses de l’Université de Montréal, 2006, p 102.

278 Ibid., pp 102-103. 279 Voir supra §67 & s.

280 F. ROCHER, op. cit, pp 102-103. 281 Ibid., p 105.

entre l’entité centrale et les groupes hétérogènes. Elle se réalise par le biais d’institutions communes. F. Rocher relève l’impératif de coopération et de participation pour donner corps au principe d’interdépendance.283

Le tout forme un ensemble où des communautés différentes reconnaissent à la fois leur diversité et leur besoin de solidarité. Cela crée une « tension créatrice entre dynamiques d’autonomie et de coopération »284. Cette tension permet une « autonomie réelle, avec la

plus grande part de démocratie qui soit réalisable », coexistant avec une « coopération sous l’égide d’organes […], responsables des tâches communes ».285

89. Le triptyque proposé par F. Rocher permet de représenter de façon plus précise la conjugaison de l’union et de la diversité. Cet entredeux de l’autonomie et de l’interdépendance, cette conjugaison, nous pouvons la nommer dialectique car elle suppose à la fois un dialogue, mais également une inséparabilité entre deux contradictoires.286

Le Canada et l’Union européenne se servent dès leurs origines de cette dialectique pour assurer leur construction et leur fonctionnement. Elle permet de répondre à la présence des facteurs agrégatifs et ségrégatifs relevés par Morin dès les origines des deux ordres juridiques.

283 Ibid., pp 105-107. 284 Ibid., p 97.

285 F. ROCHER, « La dynamique Québec-Canada ou le refus de l’idéal fédéral », in A.G. GAGNON, Le

fédéralisme canadien contemporain: fondements, traditions, institutions, Les Presses de l’Université de

Montréal, 2006, p 97.

286 Le terme « dialectique » vient du grec et signifie à l’origine « art du dialogue et de la discussion ». Concept

polysémique, la dialectique selon Hegel consiste à « reconnaître l’inséparabilité des contradictoires, à découvrir le principe de cette union dans une catégorie supérieure ». Voy. à ce sujet A. LALANDE,

Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Quadrige/Presses Universitaires de France, 1ère Édition :

B- L’utilisation de la dialectique comme outil de gestion de la diversité au