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Les grilles d’analyse des dérives : instruments de mesure de la centralisation ou de la non

Paragraphe I – Les composantes du principe : non centralisation, non subordination et garanties

A- La tendance aux dérives des principes de la dialectique

2- Les grilles d’analyse des dérives : instruments de mesure de la centralisation ou de la non

120. I. Weibust énonce que le Canada et l’Union européenne sont comparables notamment car ils ont la même préférence pour la centralisation du pouvoir.354 E.

Brouillet définit la centralisation comme « la tendance à la concentration du pouvoir législatif entre les mains du parlement central »355. F.R. Scott reprend quasiment les mêmes

termes pour définir le phénomène.356

121. Certains auteurs de science politique ont proposé des grilles d'analyse établissant une centralisation des compétences, mais cela ne permet pas une analyse complète de la combinaison des facteurs ayant un impact sur ce processus. W. Riker a en effet proposé une des premières grilles d'analyse permettant de prouver un processus de centralisation des compétences, se basant sur une classification des compétences au regard de leur degré de centralisation.357 Certes, cela établit une centralisation des compétences,

mais la force probante de son analyse apparaît insatisfaisante : au même titre qu'E. Orban,358 on peut reprocher à cette grille d'analyse son manque d'objectivité et de nuance.

De même, cela ne nous permet pas d'expliciter le processus de centralisation. E. Orban énonce que le phénomène est difficile à quantifier. Il propose néanmoins des critères

354 « […] some commonalities in terms of competitiveness concernes, […] preferences for centralization ».

Voy. à ce sujet I. WEIBUST, Green Leviathan : the case for a federal rôle in environmental policy, Farnham, Surrey, England, 2009, p 185. (Traduction par l’auteur).

355 E. BROUILLET, La négation de la nation : l'identité culturelle québécoise et le fédéralisme canadien,

Ste-Foy (Québec-Canada), Septentrion, 2005, p 86.

356 « Centralization is a currently popular term used to describe the prevailing trend toward an increase in the

powers of central governments as opposed to regional and local governments. Its antonym in decentralization, the reverse process, […] through the delegation of state power to subordinate agencies ». Il précise que le terme « centralisation » revêt une connotation particulièrement négative, faisant communément penser au totalitarisme. Voy. à ce sujet F.R. SCOTT, « Centralization and Decentralization in Canadian Federalism », in G. STEVENSON (dir.), Federalism in Canada, McClelland & Stewart Inc. - The Canadian Publishers, Toronto, 1989, pp 53-54.

357 W. RIKER, Federalism, origin, operation, significance, Boston, Little Brown, 1964, pp81-84.

358 E. ORBAN, La dynamique de centralisation dans l'État fédéral : un processus irréversible?, Éditions

normatifs applicables aux États-Unis.359 Il s’agit de l’extension du champ d’intervention

des lois de l'ordre de gouvernement central, et de l’expansion de ses dépenses. L’entité centrale peut procéder de la manière suivante :360 par la fixation de conditions indirectes au

versement de certaines aides financières aux entités fédérées, ou par l’application de sanctions financières au sein des programmes communs à l'ordre fédéral et aux entités fédérées.361

122. Dans la doctrine juridique, H. Kelsen propose une grille d’analyse normative. Selon l’auteur, « le degré de centralisation ou de décentralisation est indiqué par le nombre et l’importance relatifs des normes centrales et des normes locales »362. Il distingue la

centralisation ou non centralisation totale de celle qui est partielle. L’auteur précise : « le degré quantitatif de centralisation et de décentralisation dépend en premier lieu du nombre de degrés hiérarchiques que compte l’ordre juridique », et en second lieu « du nombre et de l’importance des domaines régis par les normes centrales ou locales »363.

123. Nous partageons la critique de J.-Ph. Derosier : cette grille d’analyse est incomplète. L’auteur énonce que les critères posés par H. Kelsen sont nécessaires, mais pas suffisants. Selon lui, « à eux seuls, le nombre et l’importance des normes édictées ne sont pas suffisants pour déterminer le degré de décentralisation d’un ordre juridique ». J.-Ph. Derosier y ajoute deux autres critères : « le mode de décision » de chaque entité, et les « garanties permettant de faire valoir le domaine de décision et de rendre cette dernière effective ». Il s’agit pour le premier de l’indépendance ou de la dépendance des entités dans la prise de décision, et pour le second critère de la possibilité pour chaque entité de faire valoir ses compétences devant un organe habilité.364

124. Nous approuvons cette nécessité de compléter la grille d’analyse de H. Kelsen, afin de produire une analyse aussi fine que possible du phénomène. La proposition que ce

359 La grille d’analyse proposée par E. Orban date de 1984, période à laquelle, selon R. Pelletier, on

n’envisageait pas encore dans la doctrine de centralisation au profit du palier fédéral au Canada. C’est pour cette raison que l’auteur n’aurait pas exposé d’indicateurs juridiques pour le Canada. Voy. à ce sujet R. PELLETIER, M. TREMBLAY (dir.), Le Parlementarisme Canadien, Québec, Presses de l'Université Laval, 2009, 581 pages.

360 Ce qui a été le cas aux États-Unis. 361 E. ORBAN, op. cit., pp 372-373.

362 H. KELSEN, Théorie Générale du Droit et de l’État, Paris, L.G.D.J., 1997, p 355. 363 Ibid.

364 J.-Ph. DEROSIER, « La dialectique centralisation/décentralisation – Recherches sur le caractère

dernier formule se limite à une appréciation quantitative. Cela peut être instructif, mais cela apparaît insuffisant car il manque une analyse qualitative du phénomène, notamment en ce qui concerne le travail interprétatif des tribunaux. De plus, la grille d'analyse proposée par H. Kelsen semble davantage destinée à être appliquée dans un ordre juridique unitaire. Son application apparaît source de nombreuses difficultés dans des ordres juridiques composites comme l'Union européenne et le Canada.

125. L'analyse proposée par E. Brouillet permet également de nous éclairer sur la centralisation des compétences, puisque l'auteure établit des critères qui favorisent la centralisation du pouvoir au Canada.365 Il s’agit du « nombre, (de la) diversité, la

complexité et l'importance croissante des relations internationales en matière politique, économique et culturelle ». Également, l’auteure relève comme second groupe de critères : « une demande croissante de services et d'activités gouvernementales motivée par des besoins de stabilisation économique et de redistribution des revenus » 366.

De plus, l’auteure propose une grille d’analyse juridique. Le premier critère de cette grille se base sur « l’équilibre général dans le partage des responsabilités étatiques : équilibre qualitatif et quantitatif plus ou moins grand entre les compétences législatives respectives des deux ordres de gouvernement »367. E. Brouillet ajoute un second critère juridique :

« l’équilibre plus ou moins grand entre les ressources et les compétences législatives de chacun »368. Elle établit qu’ « un déséquilibre quant à un de ces deux éléments pourra être

révélateur du caractère plus ou moins centralisé d’un régime »369.

126. L’auteure précise encore sa grille d’analyse juridique en énonçant les indices les plus significatifs pour déterminer le « caractère plus ou moins centralisé » d’un ordre juridique.370 Il s’agit en premier lieu du « pouvoir extérieur des entités fédérées »371. La

365 E. BROUILLET, La négation de la nation : l'identité culturelle québécoise et le fédéralisme canadien,

Ste-Foy (Québec-Canada), Septentrion, 2005, 478 pages.

366 E. BROUILLET, L'identité culturelle québécoise et le fédéralisme canadien, thèse de Doctorat, Québec,

Faculté des études supérieures, Université Laval, 2003, pp 102-103. Voy. également E. ORBAN, La

dynamique de centralisation dans l'Etat fédéral : un processus irréversible?, Montréal, Québec/Amérique,

1984, pp 55 et 461 à 466.

367 E. BROUILLET, op. cit., p 103. 368 Ibid., p 103.

369 Ibid. 370 Ibid, p 104. 371 Ibid.

« capacité de conclure des traités » est une mesure fondamentale de cet indice.372En

deuxième lieu, E. Brouillet préconise de tenir compte des « pouvoirs concurrents et du pouvoir résiduaire »373. Selon l’auteure, « l’impact de l’attribution de la compétence

résiduelle » apparaît important à envisager.374 En troisième lieu, l’auteure propose de traiter

de « la question des amendements constitutionnels formels et informels »375. Cela permet

d’appréhender l’évolution d’un ordre juridique, et non pas les seules dispositions expresses et originelles d’un texte constitutif. De plus, cela donne un instrument de mesure du degré d’autonomie des entités fédérées dans cette procédure. Enfin en quatrième lieu, E. Brouillet propose d’analyser l’autonomie financière de chaque ordre de gouvernement.376 Cela

constitue la « garantie même de l’existence d’un […] partage » des compétences.377

127. Afin d’éviter une centralisation ou une décentralisation trop importante, le Canada et l’Union européenne, au même titre que d’autres ordres juridiques, ont mis en place un principe d’équilibre. Il permet d’éviter les dérives de la dialectique entre autonomie et interdépendance et d’empêcher sa dénaturation.

B- Le principe d’équilibre dans la dialectique entre autonomie et