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SECTION II – CADRE THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE DE LA RECHERCHE

B- L’approche choisie : le droit comparé

2- Le choix méthodologique

27. Selon K. Zweigert et H. Kötz, le droit comparé est une science encore jeune. Cela implique que la discipline n’ait pas encore trouvé de socle solide de principes méthodologiques communs.136 De plus, la spécificité du droit comparé est un élément

majeur : une méthode détaillée de comparaison ne peut être déterminée à l’avance. Tout dépend de l’objet de recherche.137 Le seul principe méthodologique à appliquer, du moins

aux prémices du travail de recherche, serait de choisir une méthode parmi toutes celles proposées et de l’envisager comme une hypothèse de travail. Il est nécessaire de tester son applicabilité et sa pertinence par rapport à l’objet de comparaison choisi.138 De l’objet de

recherche découle ainsi la méthode à lui appliquer. Au-delà de la méthode de pensée (le courant en droit comparé), il y a donc la méthode de travail.139

133 Banque mondiale, Doing Business in 2004 : Undertanding Regulation, New York, Oxford University

Press USA, 2003, 216 pages ; B. FAUVARQUE-COSSON, op. cit., p 62.

134 Voy. Banque mondiale, Doing Business in 2005 : Removing Obstacles to Growth, Washington, The

International Bank for Reconstruction and Development/World Bank, New York, Oxford University Press USA, 2004, 161 pages.

135 M.-C. PONTHOREAU, « Le droit comparé en question(s) – Entre pragmatisme et outil épistémologique »,

Revue Internationale de Droit Comparé, vol. 57, 1, 2005, pp 8-9.

136 K. ZWEIGERT, H. KOTZ, An Introduction to Comparative Law, Oxford University Press, 1998, p 33. 137 Ibid.

138 Ibid. 139 Ibid., p 34.

28. Face au fractionnement méthodologique du droit comparé, il apparaît nécessaire de clarifier la démarche que nous avons adoptée d’un point de vue épistémologique.

Comme le soulève N. Jansen, toute recherche comparative comporte deux étapes. Dans un premier temps, la compréhension et la description du phénomène juridique étranger, puis dans un second temps l’établissement de similitudes et de différences avec l’ordre juridique domestique.140

C’est lors de la première étape qu’apparaissent les questionnements méthodologiques majeurs. Les normes sont insérées dans un contexte économique, politique, moral et culturel très spécifique.141 Cela implique de se dégager de ses préconçus originels, et de

maîtriser l’ensemble de ces éléments.142 De plus, il s’agit de choisir, dès cette étape, un

point de vue par lequel ces normes vont être analysées. Car de ce choix dépend la réussite de la seconde étape : l’établissement et l’analyse de différences et de similitudes avec l’ordre juridique domestique.143

29. Démarche de recherche. - Le point de départ de ce travail a été l’analyse d’un article de K. Lenaerts et K. Gutman.144 Les auteurs procèdent à une analyse comparative

d’un phénomène qu’ils nomment « federal common law », et mettent en perspective un processus d’unification du droit aux États-Unis et dans l’Union européenne. L’idée d’analyser, avec une approche comparée, les éléments concourant à une éventuelle centralisation des compétences en Europe a alors émergé.

Au début de cette recherche, cette comparaison a été abordée sous un angle général, aucune étude globale n’ayant été menée sur cette question. Le travail portait sur les apports et les limites de la méthode de coordination des normes en Europe et au Canada. Le point central de recherche était le problème de l’impact de la coordination des normes sur la répartition des compétences.

Il est apparu que la globalité de cette approche ne favorisait pas la formulation d’un modèle

140 N. JANSEN, « Comparative Law and Comparative Knowledge », in M. REIMANN, R. ZIMMERMANN

(dir.), The Oxford Handbook of Comparative Law, Oxford, New York, Oxford University Press, 2008, p 306.

141 Ibid.

142 F. RUEDA, Théorie et Méthodologie du droit comparé, Séminaire de Master 2, Université Toulouse 1

Capitole, 2006-2007.

143 N. JANSEN, op. cit., pp 306-307.

144 K. LENAERTS, K. GUTMAN, « 'Federal Common law' in the European Union : A Comparative

explicatif convaincant. Nous avons alors choisi de traiter d’un exemple précis, soulevant les même types de questions au sein du Canada et de l’Union européenne. Le choix s’est porté sur le partage vertical des compétences en matière de protection de la qualité des eaux douces.

30. Dans le premier volet de cette recherche, une grille d’analyse permettant de saisir l’état du droit positif canadien a été établie. Une première partie de ce volet a consisté à étudier l’état et l’évolution des normes assurant la répartition des compétences en matière de protection de l’environnement.145 La deuxième partie de ce volet a été consacrée à l’état

et l’évolution du droit de la protection des eaux au Canada. La troisième partie s’est concentrée sur les facteurs pouvant jouer sur l’évolution des règles de partage des compétences ; et la quatrième partie sur les facteurs pouvant jouer sur l’évolution du corpus de règles de protection de la qualité des eaux douces au Canada.

Pour chacune de ces parties, les différences et les similitudes du droit canadien avec le droit européen ont été identifiées.

Pour ce travail, la perspective « classique » du droit comparé a été choisie : le fonctionnalisme. Il s’agit de la méthode principale de ce travail, complétée avec des éléments issus du réalisme juridique américain, la méthode complémentaire.

31. La méthode d’analyse principale. - La méthode fonctionnelle, consiste en cinq règles méthodologiques, qui ont été établies par K. Zweigert et H. Kötz.146 Un de ces

grands principes a retenu l’attention : la règle selon laquelle il n’est possible de comparer que des objets de recherche revêtant la même fonction dans chaque ordre juridique analysé. Nous procédons à une comparaison de la répartition des compétences en matière de protection de la qualité des eaux douces au Canada et dans l’Union européenne. Plus précisément, l’analyse porte sur la répartition verticale entre l’ordre de gouvernement fédéral et les provinces d’un côté, et entre l’ordre communautaire et les États membres de l’Union européenne de l’autre.

145 Notons que nous avons apposé à notre recherche, dès cette étape, le cadre théorique positiviste.

146 Voy. à ce sujet K. ZWEIGERT, H. KOTZ, An Introduction to Comparative Law, Oxford University Press,

Nous avons choisi le Canada et l’Union, car ils ont en commun d’être de tradition occidentale, intégrant des éléments issus de deux familles juridiques : la famille de droits romano-germaniques,147 et la famille de common law.148 Ces ordres juridiques connaissent

donc la même problématique : la gestion de la diversité juridique.

Si l’on s’approche de chacun d’eux, on remarque dans un second temps que la thématique de la répartition des compétences est fondée sur une même idée centrale : la nécessité du maintien d’un équilibre entre union et diversité.149 Également, la protection de la qualité

des eaux douces est une matière qui est susceptible de faire l’objet de l’intervention des deux ordres de gouvernement. Le Canada et l’Union européenne présentent donc des ressemblances dans leurs solutions et institutions de régulation du partage des compétences dans cette matière précise.

32. L’objectif est de dégager de grandes tendances communes entre le Canada et l’Union européenne. Les deux ordres juridiques ne sont pas au même stade de leur construction : tandis que le Canada assume d’être uni dans la diversité depuis plus de cent ans, l’Union est encore en chantier. Faire émerger une théorie commune entre un État fédéral et un ordre juridique complexe peut permettre à l’Europe de s’inspirer, ou au contraire de se placer en opposition avec l’exemple canadien.

33. La méthode consiste à faire ressortir une tendance commune dans l’évolution de la répartition des compétences au Canada et dans l’Union, à l’aide d’éléments équivalents dans leur fonction. Il s’agit de comparer le principe de subsidiarité européen et le principe fédératif canadien, qui revêtent la même fonction au regard de l’équilibre entre autonomie et interdépendance, recherché tant au Canada que dans l’Union.150

Pour cela, les normes canadiennes et européennes qui président au partage des compétences de la protection de la qualité de l’eau douce ont été choisies.

147 Ibid., pp 74 à 179. 148 Ibid., pp 180 à 275.

149 Pour un développement complet à ce sujet, voy. infra §52 & s. 150 Pour plus de précisions, voy. infra §376 & s.

34. Le fonctionnalisme proposé par K. Zweigert et H. Kötz exige que soient recherchées les raisons des différences et similitudes dégagées par la comparaison entre les deux objets de recherche.151 Notre travail procède à cette analyse, mais propose d’aller au-

delà en utilisant des arguments issus d’une théorie critique du fonctionnalisme.

35. La méthode complémentaire. - Selon le réalisme juridique américain,152 la

théorie fonctionnaliste se restreint à n’envisager que le résultat, en écartant les éléments d’analyse au regard du processus de construction d’un événement. Ce qui implique de résoudre des objectifs trop étroits.153 Le réalisme juridique américain s’intéresse au

fonctionnement réel des ordres juridiques analysés. Le pragmatisme est l’une des pierres angulaires de ce courant : il considère le « droit en action », par opposition au « droit dans les livres »154. Selon les auteurs réalistes,155 le droit est en constante évolution. C’est cette

perspective dynamique qui nous intéresse : il s’agit de faire ressortir les évolutions du partage des compétences au Canada et en Europe dans le domaine précis de l’eau. La définition d’un ordre juridique donnée par les auteurs tenants de cette théorie est plus complète par rapport à celle donnée par le fonctionnalisme. Il s’agit de l’ensemble des décisions prises par l’ensemble des acteurs agissant de manière juridique, ainsi que l’ensemble des acteurs influençant cet ordre juridique.156

Cette perspective introduit une dissociation importante pour la science juridique : « le divorce de l’être et du devoir-être »157. Cet état d’esprit général nous intéresse à titre de

151 Pour les critiques formulées à l’encontre de ce principe, voy. U. KISCHEL, Critique de la comparaison

fonctionnelle et ses alternatives, Séminaire doctoral, Université Toulouse 1 Capitole, nov. 2011.

152 Notons que la théorie réaliste est principalement représentée en France par M. Troper et la théorie réaliste

de l’interprétation. Elle s’inscrit dans une forme de filiation avec le réalisme américain, alors qu’elle s’est développée dans un contexte de droit codifié. Pour un développement complet au sujet du réalisme américain, voy. X. MAGNON, Théorie(s) du droit, Paris, Ellipses, 2008, pp 130 & s. Au sujet de la théorie réaliste de l’interprétation, voy. ibid, pp 139 & s. Sur le réalisme plus généralement, voy. E. MILLARD, « Réalisme », in D. ALLAND, S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, Quadrige, Lamy, PUF, 2003, pp 1297-1299. Enfin, au sujet de la conciliation entre positivisme et réalisme, voy. E. MILLARD, « Positivisme logique et réalisme juridique », in E. MILLARD, J.-Y. CHÉROT (dir.), Analisi e Diritto, Madrid, Marcial Pons, 2008, pp 177-189.

153 U. KISCHEL, op. cit.

154 « law in action », par opposition au « law in books ». X. MAGNON, op. cit., p 131. Notre traduction. 155 Voy. notamment les écrits de J.W. Bingham et F.S. Cohen. Cités dans Ibid., p 131.

156 Voy. E. MILLARD, « Réalisme », in D. ALLAND, S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique,

Paris, Quadrige, Lamy, PUF, 2003, pp 1297-1299.

démarche complémentaire. Ce travail ne s’inscrit pas entièrement dans ce courant, seuls quelques éléments sont empruntés.

La démarche scientifique choisie pour ce travail emprunte plusieurs éléments à cette théorie : il s’agit de décrire un processus de centralisation des compétences qui a lieu au Canada et dans l’Union, en tenant compte d’un spectre aussi large que possible de facteurs explicatifs. Nous nous attachons alors à analyser l’ensemble des éléments ayant une influence sur ce processus, ce qui nous permet d’établir des équivalences entre le Canada et l’Union dans le fonctionnement réel de ces ordres juridiques.

La méthode principale, le fonctionnalisme, et des éléments de la méthode complémentaire, le réalisme juridique américain, ont été appliqués à l’objet de recherche dans la première phase de travail.

36. Il est ressorti de cette première phase d’analyses plusieurs grandes tendances communes, formulées dans les hypothèses suivantes.

En premier lieu, le constat de la centralisation progressive de la prise de décision en la matière, couplée avec une harmonisation du droit de la protection de la qualité des eaux douces ; en deuxième lieu, l'interprétation de la coordination des normes par le juge suprême dans le domaine de la protection de la qualité des eaux douces, comme premier facteur explicatif à cette évolution ; en troisième lieu l'intervention de la société civile (groupes d'intérêts essentiellement) dans le processus de création de la norme, comme second facteur explicatif.

37. Les réponses apportées à ces hypothèses constituent les éléments fondateurs de cette thèse, réponse à la question spécifique de recherche.