• Aucun résultat trouvé

Principales molécules phosphorées sur Terre

Le cycle biogéochimique du phosphore

I.2.3   Principales molécules phosphorées sur Terre

Comme conséquence de la Grande Oxygénation ayant eu lieu il y a environ 2,3 milliards d’années et marquant l’augmentation des concentrations en dioxygène de l’atmosphère, les phosphates sont la forme majoritaire de P sur la planète (Pasek et al., 2013) et l’apatite est le minéral phosphaté le plus abondant (Ruttenberg, 2014).

Dans les écosystèmes terrestres, le phosphore est réparti fondamentalement en trois réservoirs : la roche mère, le sol et les organismes vivants. Dans le premier réservoir le P réside principalement sous forme d’apatite jusqu’à ce les organismes vivants ou l’érosion

chimique et physique finissent par le mettre en solution sous forme d’ions orthophosphate (DIP) (Ruttenberg, 2014). Puis, ces ions sont adsorbés dans les sols par les (oxy)hydroxydes de fer et d’aluminium présents, et de ce fait le P y reste peu biodisponible. En effet, la réactivité du phosphore avec les particules du sol est telle que le P dissous constitue une partie minoritaire du P total et le phosphore est donc un nutriment limitant dans les sols (entre 0,1 et 10 µM) (Hinsinger, 2001). En moyenne, la demande de P par la communauté microbienne des sols est de C:N:P = 60:7:1 alors que la disponibilité du P est de C:N:P = 186:13:1 (Cleveland et Liptzin, 2007). Quant aux composés phosphorés d’origine organique en solution (DOP), ils peuvent également être adsorbés sur des phases minérales oxydées de fer et d’aluminium (Letyem et al., 2002 ; Berg et Joern, 2006 ; Fink et al., 2016). Parmi ces composés, les phytates sont la forme la plus abondante de DOP (Richardson, 1994 ; Richardson et Simpson, 2011). De même que dans les écosystèmes aquatiques, la réduction des (oxy)hydroxydes de fer sous conditions anoxiques, produit la libération des orthophosphates (Mortimer, 1941, 1942). Ce processus favorise l’incorporation du phosphore dans la biomasse et a été largement étudié du fait de ses implications directes sur la production agricole et forestière (Miller et al., 2001 ; Ostertag, 2001 ; Reynolds et Davies, 2001).

L’apport de P à l’océan via les cours d’eau se fait majoritairement sous forme particulaire (90 %) dont le POP représente en fonction des écosystèmes jusqu’à 50 % du phosphore total (Meybeck, 1982). Pour certains écosystèmes terrestres comme les zones humides oligotrophes acides (pocosins, pH < 5,3), les poly-P (PIP) peuvent représenter jusqu’à 11 % du phosphore total (Hartman, 2010).

La contribution des microorganismes dans le recyclage et les flux des différentes molécules phosphorées a été mise en relief par quelques études pour certains écosystèmes terrestres (Hartman, 2010 ; Ehlers et al., 2010). Actuellement, nous savons que la composition microbienne du sol peut refléter non seulement les paramètres physico-chimiques du sol (ex. variations en pH) et l’histoire de l’utilisation de la terre mais aussi les préférences des microorganismes pour une parcelle favorable ou une autre en fonction des conditions de stress et de croissance liées, entre autres, à la disponibilité de P dans ce sol (Philippot et al., 2010). Néanmoins, le lien entre les communautés microbiennes et le cycle du P dans le sol est loin d’être établi, de même que dans les écosystèmes aquatiques qui ont fait l’objet de plus nombreuses recherches (Makino et al. 2003 ; Dyhrman et al. 2007, 2012).

Introduction générale

32

Dans les océans, les phosphates sont principalement présents sous forme d’orthophosphates monoprotonés HPO42- (Karl, 2014). Pourtant, le P peut former d’autres molécules phosphorées avec le même degré d’oxydation (+5) : phosphoesters et polyphosphates (poly-P), ou de façon moins fréquente avec un degré d’oxydation inférieur, (+3) : phosphonates et phosphites, (+1) : hypophosphites, (-3) : phosphines. Autant les liaisons phosphoesters (C-O-P) que les liaisons phosphoanhydrides (P-O-P) sont présentes dans des molécules vitales comme les acides nucléiques, les phospholipides et les poly-P (Krom et al., 2005 ; Van Mooy et al., 2015). Il en va de même pour les phosphonates (C-P), des molécules longtemps négligées mais qui ont fait l’objet de recherches récentes (Quinn et al., 2007 ; Benitez-Nelson, 2015 ; Van Mooy et al., 2015) indiquant qu’elles constituent entre 5 et 10 % du phosphore dissous organique (DOP) présent dans les gyres océaniques3. Les phosphonates sont de plus impliqués dans la production de méthane, un gaz à fort effet de serre lié au réchauffement climatique (Karl et al., 2008 ; Beversdorf et al., 2010 ; Metcalf et al., 2012). Enfin, les (hypo)phosphites sont très peu abondants actuellement mais ont vraisemblablement eu un rôle fondamental dans l’évolution de la vie et l’avènement de la Grande Oxygénation (Papineau, 2010) du fait de leur abondance relative pendant l’Archéen il y a environ 2,5 milliards d’années (Cappellen et Ingall, 1996 ; Pasek et al., 2013). Toutes les molécules citées ainsi que leurs différents degrés d’oxydation sont montrés dans la Figure I.6.

Malgré la découverte d’une ample diversité de molécules phosphorées dans l’environnement avec différents degrés d’oxydation, le P est souvent considéré du point de vue biologique comme un élément chimique insensible aux variations redox, en raison de l’improbable réduction de sa forme majoritaire (les phosphates, +5) sous les conditions redox de la Terre. Cette réaction est très endergonique et demande plus d’électrons libres que ceux qui sont habituellement disponibles dans l’environnement (Roels et Verstraete, 2001 ; Pasek, 2008). Pourtant, nous savons actuellement que des composés réduits comme les phosphonates, le phosphite, l’hypophosphite et la phosphine sont produits abiotiquement (Pasek et Block, 2009 ; Pech et al., 2009) et biotiquement (Pech et al., 2011 ; Han et al., 2013) par différentes réactions d’oxydo-réduction encore à l’étude (Stone et White, 2012). Tous ces composés, sauf la phosphine qui est un gaz toxique, constituent des sources de P potentiellement utilisées par un nombre inconnu de microorganismes. À ce jour, le cycle

3 Tourbillons océaniques produits par la force de Coriolis qui occupent de vastes zones géographiques et sont responsables du transfert horizontal de nutriments (Letscher et al., 2016) produisant par exemple, dans les gyres de l’océan Atlantique Nord et Sud (25 m de profondeur) des faibles concentrations en DIP (9 et 210 nM, respectivement) (Mather et al., 2008).

redox des molécules phosphorées est l’objet de nombreuses recherches. Les raisons pour lesquelles les microorganismes dépensent une partie importante de leur énergie à produire des molécules réduites de P qui finissent par être libérées dans le milieu extracellulaire est pour le moment un mystère (Benitez-Nelson, 2015). Il se peut que le cycle redox du phosphore soit en accord avec les conditions réductrices de l’atmosphère qui a accueilli le développement des premiers procaryotes il y a plus 3 milliards d’années. Puis, l’avènement de l’oxygène a produit des concentrations en phosphore très faibles dans l’océan comme conséquence de la formation d’oxydes de fer ferrique qui piégeaient le P à la surface des océans (Pasek et al., 2013 ; Planavsky, 2014).

Figure I.6 : Principales molécules phosphorées dans l’océan. Le degré d’oxydation apparait entre parenthèses.

Source : Benitez-Nelson (2015).

Quoi qu’il en soit, les phosphates ont été, depuis très tôt dans l’histoire de la vie, la forme prépondérante de phosphore et leur implication dans un grand nombre de réactions métaboliques est claire (Westheimer, 1987). La forte électronégativité des atomes composant les ions orthophosphate (électronégativité de 3,5 pour l’O2 et 2,1 pour le P) leur empêche de

Introduction générale

34

donner des électrons mais leur permet d’établir des liaisons covalentes polarisées très énergétiques. De plus, les phosphates présentent quatre formes de résonance qui font d’eux des molécules cinétiquement stables (Westheimer, 1987 ; Pasek, 2008). Ces propriétés font des phosphates d’excellentes molécules pour accomplir de nombreuses fonctions chez les organismes vivants, ce qui explique qu’ils soient les composés phosphorés les plus abondants dans la matière organique (Westheimer, 1987 ; Pasek et al., 2013).

Le cycle redox du phosphore comprend une diversité de molécules dont les relations tant dans le cycle qu’avec d’autres nutriments (C, N, Fe, S…) sont loin d’être comprises. Les dernières recherches effectuées se sont focalisées sur les zones de transition redox principalement liées aux interfaces eau-sédiment des océans (Sannigrahi et Ingall, 2005 ; Diaz et al., 2012) ainsi que dans l’océan ouvert (Van Mooy et al., 2015). Leurs résultats suggèrent que des molécules comme les polyphosphates sont impliquées dans le relargage du P dissous des sédiments, associé par le passé uniquement à des processus abiotiques (Mortimer, 1941, 1942 ; Sundby et al., 1992). En outre, les échanges entre les différents types de molécules phosphorées se produiraient plusieurs fois pendant le temps de résidence du P dans l’océan (Paytan et McLaughlin, 2007). Malgré l’importance du cycle redox du P, l’impact des différentes molécules phosphorées (abondance, distribution écologique, flux et recyclage) à l’échelle globale ainsi que leur dépendance vis-à-vis des paramètres environnementaux (pH, concentration de dioxygène, concentration d’autres formes phosphorées…) ne sont que partiellement connus. De plus, les processus qui permettent la formation de gisements sédimentaires de roches phosphatées (phosphorites), dans une planète où les concentrations en P de l’océan sont de façon générale inférieures à celles de sursaturation par rapport à la fluorapatite carbonatée (phase minérale principale de ces roches), méritent de plus amples recherches (Filippelli, 2011 ; Crosby et Bailey, 2012).

 Phosphatogenèse

Les phosphorites sont des roches sédimentaires riches en fluorapatite (Ca5(PO4)3F) et/ou hydroxyapatite (Ca5(PO4)3(OH) et représentent le principal puits géochimique du cycle du phosphore (Föllmi, 1996 ; Paytan et McLaughlin, 2007). Leur contenu en P (P2O5) varie entre 5 et 40 % de leur masse (Cook, 1984 ; Filippelli, 2002 ; Ruttenberg, 2014), ce qui

contraste avec les teneurs en P2O5 de la plupart des roches sédimentaires (0,3 % de la masse) (Riggs, 1979). Du fait de leur haut contenu en P, les phosphorites sont utilisées pour la fabrication d’engrais agricoles (Cordell et al., 2009) et on estime qu’au rythme actuel d’exploitation leurs réserves seront complètement épuisées avant la fin de ce siècle (Gilbert, 2009). Pourtant, les facteurs impliqués dans le processus de phosphatogenèse qui a conduit à leur formation sont encore loin d’être compris (Filippelli, 2011 ; Paytan et McLaughlin, 2007).

La phase minérale la plus abondante des phosphorites est la fluorapatite carbonatée (CFA) (Matthews et Nathan, 1977) qui requiert pour sa formation des concentrations en orthophosphates rares dans la plupart des masses d’eau océaniques de la planète (Ruttenberg, 2014) et des sédiments marins (Filippelli, 2011) – les plus fortes concentrations en PO43- de l’océan global se trouvent dans les eaux profondes de l’océan Austral (~3 µM) (Karl, 2014) –. En outre, il a été mis en évidence qu’il y a au moins un à deux ordres de grandeur de différence entre les concentrations en PO43- de la plupart des sédiments océaniques et celles des sédiments où les phosphorites sont produites actuellement (Filippelli, 2011).

Concernant l’origine du phosphore constituant les phosphorites, il existe un consensus sur l’importance de l’apport de matière organique phosphorée et d’(oxy)hydroxydes de fer III avec des ions orthophosphate adsorbés à leur surface (Figure I.7) dans les sédiments océaniques où les phosphorites se forment de nos jours (Filippelli, 2011). En principe, les gisements de phosphorites sont le résultat de la concentration post-dépositionnelle de CFA (Ruttenberg, 2014). Ceci comprend fondamentalement la diagenèse des phases minérales phosphatées dans les sédiments, suivie de la libération des PO43- dans les eaux interstitielles qui conduit à la sursaturation locale par rapport à la formation de CFA (Filippelli, 2011). Ce processus n’est pas 100 % efficace et une partie des orthophosphates libérés passe des sédiments à la colonne d’eau (McManus et al., 1997).

Lors de l’étude de différents environnements de phosphatogenèse actuels, deux conditions communes ont été trouvées : 1) haut flux de matière organique et donc de phosphore vers les sédiments et 2) faible entrée de matériaux détritiques provenant du continent (Cook et McElhinny, 1979 ; Bentor, 1980 ; Kolodny, 1981 ; Baturin, 1983 ; Burnett et al., 1983 ; Föllmi, 1995a, b ; Ruttenberg, 2014). Ainsi, les gisements de phosphorites sont pour la plupart situés dans la zone Ouest des marges continentales (Filippelli, 2002 ;

Introduction générale

36

Ruttenberg, 2014) et associés à des épisodes d’upwelling4. Les vents qui leur sont liés sèchent de plus le continent et réduisent l’apport en matériaux détritiques, évitant ainsi la dilution des phases minérales phosphatées. Enfin, l’entrée de nutriments augmente la production primaire et favorise la mise en place de conditions de concentration en P favorables à la phosphatogenèse via l’accumulation de P par les organismes vivants (Omelon et Grynpas, 2008).

Figure I.7 : Diagramme des principaux échanges de P qui participent à la formation des gisements des roches phosphorites à l’interface

océanique eau/sédiment.

La matière organique est la principale source de P dans les sédiments, mais le flux de P adsorbé aux (oxy)hydroxydes de Fe III peut avoir un impact équivalent dans les marges continentales où la formation de phosphorites se produit actuellement. Les orthophosphates libérés dans les eaux interstitielles

sont impliqués dans différents processus : ré-adsorption, diffusion et formation authigène de fluorapatite carbonaté (CFA).

Source : Adapté de Filippelli (2011).

L’idée d’associer le vivant à la précipitation de phases minérales phosphatées a germé pour la première fois en 1835 grâce à W. Buckland qui a analysé des roches phosphatées sédimentaires contenant des coprolithes. Il a suggéré que le phosphore présent formait partie des os qui avaient été digérés par des carnivores puis excrétés et soumis à la diagenèse, produisant ainsi des dépôts sédimentaires phosphatés. Quelques années plus tard, en 1891,

4 Remontée d’eaux froides chargées en nutriments depuis le fond océanique comme conséquence des forts vents

marins qui poussent les eaux de surface.

        PO43-)      PO4 3-PO4

3-Murray et Renard ont mis en relation l’accumulation et l’enfouissement des restes organiques dans le lit des océans avec le développement de concrétions et strates de phosphorites. En 1934, Cayeux a signalé la présence de structures morphologiquement semblables à des bactéries dans des matériaux sédimentaires phosphatés. Finalement, Y. Kazakov publia en 1937 le premier article reliant les zones d’upwelling à la formation de phosphorites. Par la suite, un seul article a remis cette hypothèse en question, prouvant l’existence de phosphorites dans des zones non associées à des upwellings marins, toutefois cela reste minoritaire (Ruttenberg et Berner, 1993). Il est à remarquer que même dans ces conditions les microorganismes sont vraisemblablement impliqués dans la phosphatogenèse via la réduction dissimilatrice du fer III qui augmente indirectement les concentrations de P dissous (ce mécanisme sera expliqué en détail dans le premier chapitre de ce manuscrit). En somme, les processus physico-chimiques ne suffisent pas (à eux seuls) à expliquer les fortes concentrations en phosphates des sédiments océaniques (Boström et al., 1998). À titre d’exemple, dans le site de phosphatogenèse actuel situé dans le plateau continental de la Namibie, la bactérie sulfoxydante Thiomargarita namibiensis augmenterait les concentrations locales en ions orthophosphates comme produit de son métabolisme. En effet, sur la strate d’hydroxyapatite (précurseur de la CFA) du fond océanique où ces bactéries sont très abondantes, des concentrations de 300 µM en ions orthophosphate ont été mesurées dans les eaux interstitielles (Shultz et Schulz, 2005 ; Bailey et al., 2013).

Il est à noter que les gisements de phosphorites actuels se situent en général entre 200 et 400 m de profondeur et que la phosphatogenèse se produit autant dans l’interface eau-sédiment que dans les eaux interstitielles (Paytan et McLaughlin, 2007), dans une zone qui correspond au minimum d'oxygène (Manheim et al., 1975 ; Burnett et al., 1983). Cela est directement dû à la reminéralisation de l’abondante matière organique détritique (jusqu’à 500 g C/m2/an) issue des couches superficielles avec une haute production primaire (Burnett et al., 1982). La concentration d’oxygène pourrait donc également avoir un effet significatif dans la mise en place des conditions de phosphatogenèse (Omelon et al., 2013).

D’autres facteurs ayant un effet significatif positif dans la formation de gisements de phosphorites actuels et passés ont été reportés pour certains environnements : des températures supérieures à 15º C (Burnett, 1977 ; Gulbrandsen, 1969), les périodes interglaciaires (Burnett, 1977 ; Riggs, 1984), le pH élevé (Gulbrandsen, 1969 ; Burnett, 1977 ; Reimers et al., 1996), les grandes extinctions du vivant (Piper et Codispoti 1975 ; Cook et

Introduction générale

38

Shergold 1984) ou encore les ratios Ca/Mg élevés dans les eaux interstitielles (Burnett, 1977 ; Van Cappellen et Berner 1991). Toutefois, l’impact de ces facteurs ne fait pas l’objet d’un consensus généralisé (Ruttenberg, 2014).

En ce qui concerne l’apparition des gisements de phosphorites dans le passé, le registre stratigraphique montre une périodicité dans les sections (Figure I.8) dont le lien avec plusieurs phénomènes est pour le moment incertain (Ruttenberg, 2014). Ainsi, plusieurs propositions ont été émises quant aux mécanismes à l’origine d’importantes perturbations dans le cycle biogéochimique du phosphore conduisant à la précipitation massive de phosphorites : épisodes d’anoxie dans les océans (Cook et McElhinny, 1979), tectonique des plaques, changements dans les courants océaniques, augmentation des entrées de P dans l’océan (Compton et al., 2000) ou encore radiation évolutive des organismes vivants (Cook et al., 1990 ; Donnelly et al., 1990).

Figure I.8 : Quantité totale de phosphates sédimentés en forme de phosphorites au cours des temps géologiques.

Bien que l’implication des microorganismes dans la formation des gisements actuels de phosphorites soit presque certaine, leur influence dans le passé est encore un sujet de débat (Crosby et Bailey, 2012). Cependant, pour beaucoup de processus géologiques, « le présent est la clé du passé » et de nombreuses structures fossiles rappelant des microorganismes ont été trouvées dans ces roches (Cayeux, 1936 ; Soudry, 2000 ; Bailey et al., 2007 ; Zanin et Zamirailova, 2011 ; Cosmidis et al., 2013 ; Crosby et al., 2014). En plus des microfossiles bactériens, l’existence de stromatolithes5 de phosphate renforce l’idée que les microorganismes ont joué dans le passé un rôle important dans l’implantation de conditions favorables à la phosphatogenèse (Krajewski et al., 2007). La présence de pyrite (FeS2) dans des phosphorites provenant autant du Protérozoïque que du Cambrien signale l’existence de soufre dans ces environnements de phosphatogenèse qui aurait pu favoriser le développement de communautés de bactéries sulfoxydantes (Cook et Shergold, 1984) dont le métabolisme sous conditions redox changeantes a comme conséquence l’accumulation et la libération cycliques d’orthophosphates – ce mécanisme sera expliqué en détail dans le chapitre II de ce manuscrit – (Shultz et Schulz, 2005). Dans tous les cas, la relation causale entre présence de bactéries dans des phosphorites passées et phosphatogenèse doit être considérée avec prudence et les critères morphologiques sont insuffisants (García-Ruiz et al., 2003) pour reconnaître un type métabolique bactérien à partir d’un fossile. Idéalement, des signatures isotopiques microbiennes ou des biomarqueurs (ex. lipides) viendraient confirmer l’origine microbienne de ces morphologies en principe bactériennes (Crosby et Bailey, 2012).

En somme, la formation de gisements de phosphorites actuels et passés est probablement le résultat de la confluence des conditions géochimiques favorables à la phosphatogenèse dans des écosystèmes aquatiques (avec une importance spéciale de gradients de concentration en dioxygène et sulfure) et de l’existence de communautés microbiennes dont les activités métaboliques ont conduit à une sursaturation locale en phosphore par rapport au CFA (Filippelli, 2011).

Introduction générale

40

 Activités microbiennes impliquées dans le cycle biogéochimique