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 Contexte

Le cycle biogéochimique du phosphore a des implications biologiques majeures : des implications directes, du fait du caractère essentiel du phosphore pour les êtres vivants (Westheimer, 1987 ; De Duve, 1991 ; Elser, 2012 ; Karl, 2014) et des implications indirectes, par son rôle dans le contrôle de la pompe à carbone des océans qui régule le climat global (Benitez-Nelson, 2000 ; Pasek et al., 2014 ; McKinley et al., 2016). De plus, sous les conditions redox actuelles de la planète, le phosphore est un nutriment limitant (Wu et al., 2000 ; Sañudo-Wilhemy et al., 2001 ; Moore et al., 2001 ; Thingstad et al., 2005 ; Kathuria et Martiny, 2011 ; Martin et al., 2014) car sa principale forme – l’apatite – est non biodisponible (Föllmi, 1996 ; Pasek, 2008) et son cycle biogéochimique, fortement dépendant de la tectonique des plaques, est particulièrement lent en comparaison avec celui d’autres éléments comme l’azote (Barber, 1992 ; Van Cappellen et Ingall, 1996 ; Tyrell, 1999 ; Diaz et al., 2012 ; Ruttenberg, 2014). Ainsi, de nombreux écosystèmes terrestres (Cleveland et Liptzin, 2007) et marins (Van Mooy et Devol, 2008 ; Moore et al., 2013) sont perpétuellement en état de carence de P si l’on considère le rapport de stœchiométrique de Redfield10

C:N:P = 106:16:1 (Redfield, 1958, 1963).

Les principales molécules phosphorées présentes dans l’environnement sont les orthophosphates (PO43-) et les phosphoesters (C-O-P) respectivement d’origine inorganique et organique et présents en faibles concentrations dans l’environnement (Benitez-Nelson, 2000 ; Ehrlich et al., 2015). Par conséquence, les microorganismes ont développé au cours de l’évolution différentes stratégies afin d’y garantir l’accès (Blake et al., 2005 ; Orchard et al., 2010 ; Martin et al., 2014) aboutissant à des concentrations en phosphore à l’intérieur de la

10 En réalité, le rapport C:P du phytoplancton varie entre environ 50:1 et 150:1 (Ryther et Dunstan, 1971, Martin

et Knauer, 1973, Broecker et Peng, 1982, DeMaster et al., 1996, Hedges et al., 2002, Li et Peng, 2002 ; Van der Zee et al., 2002). Actuellement, la valeur moyenne 117:1 est largement admise (Anderson et Sarmiento, 1994 ; Algeo et Ingall, 2007).

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cellule de quatre à sept ordres de grandeur supérieures à celles de la plupart des masses d’eau et sols de la planète (entre 1 nM et 2,8 µM) (Brown et Kornberg, 2004 ; Rao et al., 2009 ; Karl, 2014). Les microorganismes sont en effet capables d’hydrolyser les phosphoesters en orthophosphate – la principale forme biodisponible – fondamentalement via l’activité des enzymes phosphatases alcalines (Jansson et al., 1988 ; Blake et al., 2005 ; Bogé et al., 2012, 2013). En outre, ils peuvent accumuler du phosphore même avec des concentrations environnementales extrêmement faibles (~5 nM) grâce à la synthèse de poly-P – des polymères d’orthophosphates – (Rao et al., 2009 ; Orchard et al., 2010 ; Achbergerová et Nahálka, 2011 ; Martin et al., 2014) dont le cycle métabolique de synthèse/hydrolyse en fonction des conditions redox a été décrit par le passé pour plusieurs genres bactériens (Acinetobacter, Aeromonas, Pseudomonas…) employés dans les stations d’épuration des eaux afin de piéger le phosphore sous forme de poly-P en présence de d’oxygène puis de le libérer dans le milieu lors de l’hydrolyse des poly-P sous conditions anoxiques (Hupfer et al., 2008 ; Tarayre et al., 2016 a, b). Il semble que ce cycle répondrait également aux conditions redox environnementales dans les milieux naturels (Sannigrahi et Ingall 2005 ; Diaz et al., 2012). De plus, l’hydrolyse des poly-P contribuerait à mettre en place des conditions favorables à la phosphatogenèse : elle faciliterait l’établissement de concentrations localement sursaturantes en orthophosphates par rapport aux phases minérales phosphatées, et ceci, en dépit des faibles concentrations en phosphore présentes dans les milieux naturels. En ce qui concerne cette hypothèse, plusieurs études ont mis en évidence une relation directe entre l’hydrolyse des inclusions de poly-P et la précipitation de phases minérales phosphatées (CFA) à l’interface eau-sédiment de zones d’upwelling côtier (Schulz et Schulz, 2005 ; Arning et al., 2009 ; Goldhammer et al., 2010 ; Brock et Schulz-Vogt, 2011). Parmi les genres bactériens isolés se trouvent Thioploca, Beggiatoa et Thiomargarita, des bactéries sulfoxydantes en présence d’oxygène ou de nitrates (Schulz et Jørgensen, 2001) dont la synthèse de poly-P sous conditions oxiques se produit lorsque les concentrations en sulfure sont faibles, et dont l’hydrolyse des poly-P a lieu lorsque le milieu devient anoxique et les concentrations en sulfure augmentent. À ce jour, ce cycle métabolique permet d’expliquer, du moins en partie, la formation des roches phosphorites (Schulz et Schulz, 2005 ; Brock et Schulz-Vogt, 2011) dont le contenu en P2O5 varie entre 5 et 40 % de leur masse (Cook, 1984 ; Filippelli, 2002, 2011 ; Ruttenberg, 2014).

La contribution des molécules phosphorés d’origine biologique à la phosphatogenèse constitue encore à ce jour une hypothèse, mais elle est défendue par la majorité des études

cherchant à expliquer l’origine des gisements de phosphates globaux actuels et passés (Föllmi, 1996 ; Omelon et Grynpas, 2008 ; Filippelli, 2011 ; Crosby et Bailey, 2012 ; Crosby et al., 2014). Il est important de remarquer qu’en plus des facteurs abiotiques (pH, température, conditions redox…), des facteurs biotiques comme par exemple l’activité des phosphatases alcalines des microorganismes pélagiques et benthiques ou les microorganismes en tant que site de nucléation pourraient avoir de même un effet significatif sur l’établissement des concentrations sursaturantes en orthophosphates favorables à la formation de phases minérales phosphatées (ex. CFA) (Lucas et Prévot 1985 ; Hirschler et al., 1990 ; Ehrlich et al., 2015).

En somme, les microorganismes synthétisent une grande diversité de molécules phosphorées grâce à des activités enzymatiques qui opèrent à l’échelle globale (Omelon et Grynpas, 2008 ; Van Mooy et al., 2015). Néanmoins, l’impact de ces activités sur les flux, le recyclage et les formes de phosphore est loin d’être entièrement établi (Hartman, 2010 ; Papineau, 2010 ; Filippelli, 2011 ; Omelon et al., 2013 ; Martin et al., 2014 ; Benitez-Nelson, 2015).

 Problématique

Considérant le caractère essentiel et souvent limitant du phosphore pour les organismes vivants, il est important de mieux comprendre les processus responsables de sa dynamique globale, sur lesquels les activités microbiennes ont vraisemblablement un rôle fondamental (Omelon et Grynpas 2008 ; Rao, 2009 ; Achbergerová et Nahálka, 2011 ; Karl, 2014 ; Ruttenberg, 2014). Néanmoins, l’impact des microorganismes sur le cycle biogéochimique de P et l’influence des différents paramètres environnementaux sur ces activités est encore à l’étude (Gächter et Meyer, 1993 ; Föllmi, 1996 ; Benitez-Nelson, 2000 ; Paytan et McLaugnlin, 2007 ; Ruttenberg, 2014 ; Van Mooy et al., 2015). Notamment, la contribution des microorganismes aux flux de phosphore et à la diversité des molécules phosphorées présentes dans les milieux naturels est partiellement comprise (Benitez-Nelson et al., 2004 ; Sannigrahi et Ingall 2005 ; Dyhrman et al., 2012 ; Martin et al., 2014).

L’objectif de ce travail de thèse a été de mieux comprendre la contribution des activités microbiennes au cycle du phosphore au sein du lac Pavin (Massif Central), un

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environnement actuel de phosphatogenèse soumis à de forts gradients de concentration en nutriments et sources de pouvoir réducteur (Michard et al., 1994 ; Viollier al., 1995, 1997 ; Lehours et al., 2005, 2007 ; Busigny et al., 2014 ; Miot et al., 2016). Ce lac méromictique (i.e. stratifié de façon permanente) de 92 m de profondeur inclut une transition redox à environ -50 m sous laquelle se situe une zone de précipitation des phases minérales phosphatées (phosphates de fer et manganèse principalement) (Cosmidis et al., 2014) dont l’origine abiotique (i.e. favorisée uniquement par des processus physico-chimiques) a été assumée par le passé (Michard et al., 1994). Néanmoins, des analyses de microscopie électronique à balayage (MEB) ont montré la présence de cellules avec des inclusions de poly-P aux profondeurs oxiques de la colonne d’eau et leur presque disparition sous la transition redox (Cosmidis et al., 2014). En outre, l’activité phosphatasique alcaline (APA) a été mesurée dans les premiers 40 m de la colonne d’eau (Jamet et al., 1997) mais la dépendance de l’expression de cette enzyme des concentrations en orthophosphates (DIP) est encore incertaine malgré l’abondante littérature consacrée à ce sujet (ex. Kuo et Blumenthal 1961 ; Rengefors et al., 2003 ; Ruttenberg et Dyhrman, 2005 ; Dyhrman et Ruttenberg, 2006 ; Bogé et al., 2012, 2013). Enfin, les flux de phosphore vers la zone de transition redox et les formes de phosphore présentes dans la colonne d’eau sont complétement méconnus. C’est donc un modèle idéal pour étudier la contribution des activités microbiennes au cycle biogéochimique du phosphore.