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Méthodes d’analyse choisies pour la spéciation du P

4.7.2 Zone de transition redox de la colonne d’eau

5.6   Méthodes d’analyse choisies pour la spéciation du P

Le phosphore, en tant que nutriment essentiel pour les êtres vivants avec un caractère limitant dans de nombreux écosystèmes marins (Rivkin et Anderson, 1997 ; Wu et al., 2000 ; Sañudo-Wilhelmy et al., 2001) et d’eau douce (Schindler, 1977 ; Hecky et Kilham, 1988 ; Hudson et al., 2000), a été l´objet de multiples études visant la quantification de ses différentes formes présentes dans l’environnement.

Une des plus grandes contraintes pour l’analyser réside dans la limite de détection de la technique colorimétrique de dosage traditionnellement employée (méthode de Briggs). Cette dernière permet de mesurer la concentration d’ions orthophosphate en solution grâce à leur réaction avec le molybdate d’ammonium. Son seuil de détection d’après certains auteurs

est au mieux de 30 nM, trop élevé pour certains écosystèmes (Benitez-Nelson et al., 2000 ; Read et al., 2014). Ce problème concerne non seulement les environnements oligotrophes mais aussi les masses d’eau eutrophes où le DIP est souvent limitant car consommé par le phytoplancton (Currie et Kalff, 1984 ; Hudson et al., 2000). De plus, la méthode de Briggs ne mesure pas seulement les orthophosphates en solution mais aussi certaines molécules organophosphorées sensibles au pH acide nécessaire pour la formation des complexes de phosphomolybdate (McKelvie et al., 1995 ; Benitez-Nelson et al., 2000 ; Moorleghem et al., 2011). C’est d’ailleurs pour cela que beaucoup d’auteurs préfèrent utiliser le terme de phosphore soluble réactif (SRP) plutôt que phosphore inorganique dissous (DIP) (Karl et Björkman, 2002).

Malgré ces contraintes, nous avons choisi d’utiliser la méthode de Briggs pour son faible coût et la rapidité (en principe) de sa mise en œuvre. Nous avons été confrontés au problème du seuil de concentration lors des dosages du P dissous dans le mixolimnion et du P particulaire dans toute la colonne d’eau. Pour ce dernier, la contrainte a été résolue par la filtration d’un volume d’échantillon plus important.

Afin de descendre la limite de détection, nous avons d’abord utilisé des cuves de spectrométrie de grand trajet optique (10 cm) puis finalement un système de capillaires automatisé (AxFlow). Quand cela a été possible nous avons utilisé en plus le réactif de dosage BIOMOLGreen® qui réduit sensiblement le temps d’incubation des échantillons tout en utilisant le même principe que la réaction classique. Ceci nous a finalement permis de mesurer les concentrations à toutes les profondeurs. Pour les études futures, il serait idéalement souhaitable de mesurer toutes les concentrations par la même méthode (ex. AxFlow).

L’analyse du TDP et du TPP a été conçue sur la base de la méthode classique mais en incluant un prétraitement des échantillons capable de réduire en orthophosphates toutes les formes de P. Cette façon de procéder est encore utilisée malgré l’existence d’alternatives plus spécifiques et moins laborieuses (ex. 31P RMN). En effet, les protocoles d’analyse alternatifs : électrochimiques, chromatographiques ou enzymatiques, développés au cours des dernières années (Stevens, 1979 ; Glazier et Arnold, 1988 ; Haddad et Jackson, 1990) présentent également des biais et des contraintes et à ce jour le débat sur quelle technique est la plus appropriée persiste (Majed et al., 2012 ; Read et al., 2014).

168 Chapitre I

Afin de déterminer le TDP, nous avons utilisé une oxydation à plus de 100º C suivant la méthode originale de Menzel et Corwin (1965) adaptée par Lin et al. (2012). Le fait que le P ne soit pas volatile permet de bouillir l’échantillon de manière à hydrolyser les molécules phosphatées.

L’analyse du TPP est bien plus complexe et, malgré son importance dans l’environnement en tant que principale forme de P transporté par les cours d’eau vers les océans, très peu d’études ont dédié leurs efforts pour développer des techniques de mesure, particulièrement dans le cas du P particulaire présent dans la matière en suspension (Zwolsman, 1994 ; Conley et al., 1995). Originairement, les méthodes d’analyse du P particulaire ont été conçues pour des échantillons de sédiments (Slomp et al., 1998 ; Fang et al., 2007 ; Andrieux-Loyer et al., 2008). Néanmoins, le P particulaire provenant de la matière en suspension est beaucoup plus labile, ce qui entraine souvent des biais de surestimation de la fraction inorganique (PIP) liés à l’hydrolyse des formes organiques (POP) lors de l’analyse (Labry et al., 2013). Avec ces méthodes, le POP est en général obtenu en soustrayant le PIP du TPP.

La méthode traditionnellement utilisée pour l’analyse du TPP est celle d’Aspila et al. (1976), qui comprend la combustion et l’hydrolyse des échantillons. Cependant, elle produit des résultats non reproductibles et sous-estime le TPP comme nous avons pu le constater lors de nos expériences. Nous avons donc adopté la méthode améliorée de Solórzano et Sharp (1980) introduisant un oxydant (MgSO4) qui est indispensable pour une combustion homogène et totale du filtre/échantillon. Les résultats de Labry et al. (2013) révèlent aussi que cette technique est la plus performante.

L’analyse du PIP est souvent réalisée par la méthode d’Aspila et al. (1976) qui comprend uniquement une digestion acide (HCl, 1 M) afin de mettre en solution les formes inorganiques de P. Le fait est que dans cette méthode une partie du POP est également mise en solution (particulièrement des nucléotides di-P et tri-P) (Miyata et al., 1986 ; Worsfold et al., 2008) ce qui induit une surestimation du PIP. A contrario, la récente étude de Labry et al. (2013) a prouvé sur des échantillons naturels et standards qu’il existe une importante sous-estimation du PIP due à la faible hydrolyse des poly-P (entre 41 et 49 % du total) sous les conditions de pH et de température du test. Malgré cela, cette méthode continue d’être la plus performante parmi les méthodes existantes.

En somme, les effets indésirables de surestimation ou sous-estimation dans nos résultats dépendraient non seulement du protocole utilisé mais aussi de la composition des échantillons. Nous avons donc validé les mesures du TPP et du TDP par une deuxième méthode (ICP-AES). Après tout ce qui vient d'être commenté, il semble évident qu’il est nécessaire de réaliser deux analyses en parallèle avec deux méthodes différentes afin de valider les résultats de spéciation du phosphore.