• Aucun résultat trouvé

Puisqu’il s’agit, dans ce sous-chapitre, d’examiner s’il y a, aujourd’hui, influence de l’institution Église par l’intermédiaire du langage liturgique (la prière de l’Ave en l’occurrence) sur les traductions bibliques liturgiques (ou inversement), il nous faut maintenant, dans un deuxième pas, nous concentrer sur cette prière.

Force est alors de relever que la première partie de l’Ave, sur base du texte de la Vulgate sixto-clémentine (sans la répétition de Lc 1, 28(d) et les noms de Marie et de Jésus intercalés) est récitée différemment selon les auteurs et les époques et que le texte n’est fixé que tardivement :

- au 18e siècle,

les Pensionnaires des Religieuses de la Congrégation de Nôtre-Dame de Luxembourg apprenaient à prier ainsi :

« Je vous saluë Marie pleine de grace, le Seigneur est avec vous, vous êtes benîte entre les

femmes, & benît est le Fruit de vôtre Ventre Jesus135 »,

alors que, à la même époque dans les milieux influencés par Port-Royal, milieu dont Lemaistre de Sacy fut proche lui aussi, Pierre Nicole invite à réciter, le texte latin en marge de page, comme suit :

« Je vous saluë Marie, pleine de grace, le Seigneur est avec vous. Vous êtes bénie par-dessus toutes les femmes, & Jesus le fruit de vos entrailles est béni136 ».

- au 19e siècle,

un Diurnal de 1810 invite à réciter la « salutation angélique » comme suit :

« Je vous salue, Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre les

femmes, et béni est le fruit de votre ventre, Jésus.137 »

135Cf. Exercice journalier des pensionnaires des religieuses de la Congregation de Nôtre-Dame de Luxembourg (1714). Luxembourg : Jacques Ferry, p. 5.

136

Cf. Instructions théologiques et morales sur l'oraison dominicale, la salutation angelique, la sainte

messe, et les autres prières de l'eglise. Nicole, Pierre (1718). Paris : Charles Osmont, p. 123. 137

Cf. « Salutation angélique » (Diurnal : ou office complet, latin français, à l'usage du diocèse de

Or, plus loin dans ce même Diurnal, le graduel du propre de la Messe du 2 juillet, Fête de la Visitation, présente « Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de votre sein est béni ».

dans un Missel romain de 1891 nous lisons le texte de la prière tel qu’il figure dans la Bible de Sacy (mise à part la particule « ô » devant « pleine de grâce ») et tel qu’il est connu de nos jours :

« Je vous salue, Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre

toutes les femmes, et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni »138.

- au 20e siècle,

le Missel quotidien et vespéral de Dom Gaspar Lefebvre, qui par ailleurs se réfère à la traduction biblique de Fillion, reprend lui aussi le même texte de prière :

« Je vous salue, Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre

toutes les femmes, et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni »139.

un constat analogue s’impose quant au Missel de Feder : dans son édition de 1958 il propose

sa propre traduction biblique, mais récite l’Ave en accord avec la version de de Sacy140.

traduction de Lc 1, 28bc.42bc semble suivre celle d’Amelote, à l’exception de la particule « ô » changeant la dénomination « pleine de grâce » en apostrophe (cf. Brault, Diurnal, p. 599 ;648).

138

Cf. « La Salutation Angélique » (Missel romain : contenant en latin et en français les offices de

tous les dimanches et des principales fêtes de l'année, une messe de communion et le chemin de la croix (1891). Dijon : Pellion et Marchet, p. 28). - Il est étonnant de lire dans ce même Missel Lc 1,

28bc traduit par « Je vous salue, ô pleine de grâce ; le Seigneur est avec vous : vous êtes bénie entre les femmes » (« Fête de l’Annonciation de la Sainte Vierge », 25 mars) et ailleurs, pour l’Offertoire il semble qu’une partie de l’Ave est reprise, mais différemment qu’à la p. 28 : « Je vous salue, Marie, pleine de grâce : le Seigneur est avec vous : vous êtes bénie entre les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni » (cf. p. 794-795). - Enfin, p. 826 (« Fête de la Visitation de la B.V. Marie », 2 juillet), Lc 1, 42bc est cité comme dans la Bible de Sacy, et donc comme dans la prière. - La même traduction de Lc 1, 42bc se lit une vingtaine d’années plus tôt sous l’entrée « Elisabeth » du Grand

dictionnaire universel du XIXe siècle : français, historique, géographique, mythologique,

bibliographique, ... (1870). Paris : Pierre Larousse, t. 7, p. 353. 139Cf. Lefebvre, Missel quotidien et vespéral, p. 2 ; 45 ; 278 ; 1834.

140Cf. Missel quotidien des fidèles : vespéral, rituel, recueil de prières : publié avec l’approbation du Centre de Pastorale Liturgique ; introduction par A.-G. Martimort et A. Honoré. Feder, J. et al.

(1958).Tours : Mame. - Lc 1, 28bc y est rendu « Réjouis-toi, Marie, toi qui es comblée de grâce ! Le Seigneur est avec toi, tu es bénie plus que toute autre femme ! », et Lc 1, 42 « Tu es bénie plus que toute autre femme ! Et le fruit de tes entrailles est béni ! » (cf. p. 1066 ; 1201 ; pour l’Ave, cf. p. 1717).

l’édition du Missel de Feder de 1964 a renoncé à présenter sa propre traduction des extraits

bibliques pour suivre le texte officiel du lectionnaire français141. La première partie de l’Ave

suit, ici aussi, le modèle de la traduction de Lemaistre de Sacy142.

En ce 21e siècle,

le texte de la Bible de la Liturgie (2013) s’introduira au fur et à mesure dans les nouveaux

Missels. Et le texte de l’Ave, hérité du 17e siècle, est perceptible sous la traduction.

141Cf. Note de la 15e édition (Missel quotidien des fidèles : vespéral, rituel, recueil de prières : introduction par A.-G. Martimort et A. Honoré ; épîtres et évangiles des dimanches conformes au lectionnaire officiel français. Feder, J. et al. (1964). Tours : Mame). - Lc 1, 28bc se lit alors « Salut,

pleine de grâce, le Seigneur est avec toi. Tu es bénie entre les femmes » etLc 1, 42bc « Tu es bénie entre les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni » (cf. p. 1085 ; 1228) ; cette version est celle de Crampon, La Sainte Bible (1923) où le vouvoiement a été remplacé par un tutoiement. Les textes sont toujours présentés en deux colonnes latin-français.

142