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La traduction que Jérôme présente d’Is 7, 14 porte l’empreinte de son siècle :

En effet, depuis qu’au 4e siècle le christianisme est devenu religion officielle de

l’Empire romain avec l’institutionnalisation de l’Église qui s’ensuivit, une tendance certaine

vers l’idéal d’ascétisme se développe parallèlement49.

Jérôme se fit l’avocat de cette quête de perfection spirituelle auprès des grandes dames romaines, surtout lors des trois années, de 382-385, qu’il passa à Rome auprès du pape Damase50.

À cette époque seront écrits une douzaine de traités sur la virginité, en même temps que le courant ascétique se propage et gagne les milieux les plus divers en Orient d’abord, en Occident ensuite51.

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Les originaux des écrits de Jérôme sont perdus à ce jour. - Sur l’histoire compliquée de la transmission de la Vulgate, cf. Bogaert, Pierre-Maurice (1988). « La Bible latine des origines au moyen-âge : aperçu historique, état des questions », Revue théologique de Louvain, 2 (19), p. 137-159 et 276-314. - Dans le présent travail, nous nous référons à Biblia Sacra Vulgata : editio quinta. Weber, Robert, Gryson, Roger (20075). Stuttgart : Deutsche Bibelgesellschaft / [en ligne], (dernière

consultation le 24/04/2015) http://www.bibelwissenschaft.de/online-bibeln/biblia-sacra-vulgata. - En ce qui a trait aux manuscrits transmettant les écrits de Jérôme, cf. Page, Thomas Ethelbert, Capps, Edward (eds) (1933). Select Letters of St. Jerome. London : Willl [sic] \ M. Heinemann. - (The Loeb Classical Library) / [en ligne], (dernière consultation le 24/04/2015) http://www.archive.org/stream/ selectlettersofs00jerouoft/selectlettersofs00jerouoft_djvu.txt .

49Cf. Faivre, Alexandre (1984). Les laïcs aux origines de l’Église. Paris : Centurion. - (Chrétiens dans

l’histoire), p. 225.

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Faivre, Laïcs, p. 230. Cf. également Jeanjean, Benoît (1998). « La virginité de Marie selon saint Jérôme, polémiste et exégète ». In : Bulletin de la Société Française d’Études Mariales (éd.). La

virginité de Marie : 53e session de la Société Française d’Études Mariales. Issoudun : Médiaspaul, p.

Dans l’ordre chronologique, Jérôme évoque dans ses écrits la thématique de la

virginité, mariale ou autre, à maintes reprises52. (Nous le suivons jusqu’au Commentariorum

in Isaiam Prophetam, à l’endroit où il explique sa traduction d’Is 7, 14, afin d’éclaircir le pourquoi des choix qu’il a faits dans son texte.)

Dans son œuvre, nous lisons donc une allusion dans son Dialogus adversus Luciferianos, œuvre polémique, ainsi que dans son Epistola XXI, écrit exégétique adressé au

pape Damase à propos d’une explication de la parabole dite de l’enfant prodigue53.

Nous y trouvons en outre plusieurs développements sur le sujet dans son De Perpetua Virginitate Beatae Mariae. Adversus Helvidium54. Dans ce traité qui est une réfutation véhémente des thèses d’Helvidius, Jérôme s’applique à démonter un à un les arguments de ce

dernier55. Helvidius, probablement en réaction au succès du Cénacle de l’Aventin, niait,

51Faivre, Laïcs, p. 234-235. Selon l’auteur, l’argumentation de Basile d’Ancyre, reprise par Jérôme,

en expliquerait la raison : « La virginité est vécue comme un retour à l’état paradisiaque, et ce retour est rendu possible par le sentiment que l’Église jouit d’un plein épanouissement dans l’Empire. Le christianisme a eu un temps pour croître et se multiplier. Pendant cette période, le mariage avait son rôle à jouer, mais maintenant que les hommes se sont multipliés et que règne la paix, maintenant que les chrétiens ne sont plus menacés de la guerre, la virginité peut s’épanouir. »

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L’ordre chronologique est celui donné par Jeanjean, Virginité, p. 85-90. - Nous ne pouvons prétendre avoir lu l’ensemble des écrits de Jérôme. Néanmoins, le parcours proposé par Benoît Jeanjean, étoffé de références données par Faivre, Laïcs et de quelques lectures personnelles, permet d’avoir une idée des préoccupations du Stridonien ; les passages cités, dans leur contexte, habilitent ainsi à certaines réflexions intéressantes pour notre propos.

53 Dialogus, 17 : « ... Hoc etiam nos confitemur … Addebant praeterea, Qui de coelo descendit,

conceptus est de Spiritu Sancto, natus ex Maria Virgine, crucifixus a Pontio Pilato … » (« … Et nous reconnaissons aussi ceci … Ils ont ajouté de plus, Qui descendit du ciel, est conçu du Saint Esprit, est né de la Vierge Marie, est crucifié par Ponce Pilate … » ; cf. Eusebius Hieronymus Stridonensis, « Dialogus contra Luciferianos » (1845). In : Migne, Jacques-Paul (ed.). Patrologiae cursus completus

... Series latina, vol. XXIII, col. 170-171). - Epistola XXI, 19 : « Cumque adhuc longe esset, uidit eum

pater eius, et misericordia motus est. Antequam dignis operibus et uera poenitentia ad patrem rediret antiquum, Deus, apud quem cuncta futura iam facta sunt, et qui est omnium praescius futurorum, ad eius praecurrit aduentum, et per Verbum suum, quod carnem sumpsit ex Virgine reditum filii sui iunioris anticipat. » (« Et, bien qu’il fût encore éloigné, son père le vit et fut ému de pitié. Avant même que, par des œuvres convenables et une vraie pénitence, il ne fût revenu à son vieux père, Dieu - pour qui tout l’avenir est déjà accompli et qui a la prescience de tout l’avenir - prévient en courant son arrivée : par son Verbe, qui a pris chair de la Vierge, il anticipe le retour de son plus jeune fils. »), cf. Jérôme (1949). « Lettre XXI ». In : Labourt, Jérôme (trad.). Saint Jérôme : Lettres, tome 1. Paris : Les Belles Lettres. - (Universités de France), p. 96.

54Cf. Adversus Helvidium 3 - 6 ; 9 - 11 ; 13-15 ; 18 (cf. Eusebius Hieronymus Stridonensis,

« Adversus Helvidium : liber unus » (1845). In : Migne, Jacques-Paul (ed.). Patrologiae cursus

completus ... Series latina, vol. XXIII, col. 185-202, et plus spécialement col. 185-189 ; 192-199 ;

202-203). - Sur les raisons de la contestation du courant ascétique à Rome, notamment par Helvidius, cf. Faivre, Laïcs, p. 237-238.

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Un résumé de la réponse de Jérôme aux thèses d’Helvidius peut être lu dans Jeanjean, Virginité, p. 86-87.

versets des évangiles à l’appui, la croyance en la virginité post partum de Marie. Son objectif fut de revaloriser l’état des personnes mariées par rapport aux vierges, hommes ou femmes. Jérôme, fervent défenseur de la virginité perpétuelle de Marie et persuadé que la virginité est de loin supérieure au mariage, ne craint pas de donner à ses lecteurs une caricature du mariage56.

Ensuite, en 384, un an seulement après le Adversus Helvidium, il rédige son Epistola XXII, une longue exhortation à l’adresse de la jeune Eustochium pour la convaincre de choisir l’état de virginité. Dans cette lettre, Jérôme formule ainsi sa conviction : « Sachez que vous

valez mieux que ces femmes »57. Pour justifier sa pensée, il illustre son propos par l’exemple

d’hommes et de femmes bibliques58. Pour le Stridonien, ces figures de l’Ancien Testament

sont le modèle de la virginité mariale et christique, elle-même à la source de la virginité

chrétienne59. Si la tonalité ici est moins polémique que dans le Adversus Helvidium,

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Cf. Adversus Helvidium, 20 : « … Quae vero nupta est, cogitat quae sunt mundi, quomodo placeat viro. Idem tu putas esse diebus et noctibus vacare orationi, vacare jejuniis ; et ad adventum mariti expolire faciem, gressum, frangere, simulare blanditias ? Illa hoc agit, ut turpior appareat et naturae bonum infuscet injuria. Haec ad speculum pingitur, et in contumeliam artificis conatur pulchrior esse quam nata est. Inde infantes garriunt, familia perstrepit, liberi ab oculis et ab ore dependent,

computantur sumptus, impendia praeparantur. Hinc cocorum accinta manus carnes terit, hinc textricum turba commurmurat : nuntiatur interim vir venisse cum sociis. Illa ad hirundinis modum lustrat univera penetralia, si torus rigeat, si pavimenta verrerint, si ornata sint pocula, si prandium praeparatum. Responde, quaeso, inter ista ubi sit Dei cogitatio ? … » («… Or, celle qui est mariée pense aux choses du monde, comment plaire à son mari. Est-ce que tu penses que c’est la même chose que de s’adonner jour et nuit à la prière, de s’adonner aux jeûnes que d’embellir son visage en vue de l’arrivée de son mari, d’atténuer sa démarche, de feindre la flatterie ? Celle-là agit ainsi pour paraître plus laide et pour ternir le bien de la nature. Celle-ci se fait peindre devant un miroir et s’efforce par ces artifices de paraître, en usant d’une habileté outrageante, plus belle qu’elle n’est née. Là les petits enfants crient, les esclaves de la maison font du bruit, les enfants se suspendent à son cou, espérant d’être pris dans ses bras, les dépenses doivent être préparées. Ici la main des cuisiniers prépare les viandes, ici les tisseuses de voile murmurent : entretemps, on annonce que le mari vient avec des amis. À la façon des hirondelles, celle-ci fait briller tout l’intérieur, (regarde) si le lit est bien dressé, si le carrelage est balayé, si les coupes sont ornées, si le repas est prêt. Réponds-moi, je t’en prie, au milieu de tout ceci, où est la pensée de Dieu ? … »), cf.Eusebius Hieronymus Stridonensis, « Adversus Helvidium : liber unus » (1845). In : Migne, Jacques-Paul (ed.). Patrologiae cursus completus ... Series latina, vol. XXIII, col. 203-204).

57Selon Jeanjean, Virginité, p. 86 et 88, la Lettre 22 fut écrite en 384, selon Faivre, Laïcs, p. 238 ce

fut en 383. - Epistola XXII, 16 « scito te illis esse meliorem » (cf. Jérôme (1949). « Lettre XXII ». In :

Labourt, Jérôme (trad.). Saint Jérôme : Lettres, tome 1. Paris : Les Belles Lettres. - (Universités de France), p. 125).

58Par exemple les prophètes Abraham, Jacob, Rachel, Elie, Elisée, Jérémie, l’Apôtre, Judith, Jacques,

Jean (Epistola XXII, 20 - cf. Labour, Saint Jérôme : Lettres, p. 131-132).

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Cf. par exemple « … mihi virginitas in Maria dedicatur et in Christo » (« … pour moi, la virginité est consacrée, dans la personne de Marie et dans celle du Christ », Epistola XXII, 18 - cf. Labour,

l’Epistola XXII n’en est pourtant pas moins un plaidoyer pour affirmer la supériorité de la vie

ascétique à l’image de la vierge Marie et du Christ60.

Dans les dix années qui vont suivre, Jérôme ne fait que quelques allusions éparses à l’état de virginité dans l’Epistola XLI, dans des commentaires exégétiques et dans le De viris illustribus61. Il a en effet quitté Rome en 385 à la mort du pape Damase pour s’installer à Béthléem où, avec Paula et Eustochium, membres du Cénacle de l’Aventin, il fonde ses monastères. C’est à cette époque qu’il entame la traduction de la Bible à partir des textes

hébreux et qu’il se fait commentateur des prophètes62.

C’est en 393 que la trêve s’achève avec la publication du Adversus Jovinianum : suite

à la demande d’amis restés à Rome, Jérôme polémise contre le moine romain Jovinien qui, d’une part, prône l’égalité entre mariage et virginité et, d’autre part, préconise que la vertu d’un chrétien dépend des œuvres accomplies et non pas de son état conjugal. - Jérôme dans sa réponse emprunte certaines démonstrations à l’Adversus Helvidium, à l’Epistola XXII et aux livres bibliques. Il va revenir à la thématique de la virginité perpétuelle de Marie, modèle en ce sens pour les chrétiens, alors même que Jovinien ne la remettait aucunement en question. -

60En effet, aussi bien dans la Lettre 22 que dans le Contre Jovinien, la Lettre 49, la Lettre 65 et la Lettre 127, Jérôme « ne manque pas de renforcer le caractère exemplaire de la virginité de Marie en

l’associant au modèle que constitue le Christ. … L’exhortation à la virginité et sa justification trouvent une forme encore plus achevée lorsque le duo formé par Marie et le Christ se transforme en trio. » Ce trio comprend, dans le Contre Jovinien I, 16 en plus Jean-Baptiste, et en I, 26 l’évangéliste Jean (cf. Jeanjean, Virginité, p. 91-93).

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Cf. Epistola XLI, 14 (Eusebius Hieronymus Stridonensis, « Epistola XLI » (1846). In : Migne, Jacques-Paul (ed.). Patrologiae cursus completus ... Series latina, vol. XXX, col. 286) ;

Commentariorum in epistolam beati Pauli ad Galatas 1, 19 ; 4, 25-26 ; 5, 18 (Eusebius Hieronymus

Stridonensis, « Commentariorum in epistolam beati Pauli ad Galatas : libri tres : liber primus » (1845). In : Migne, Jacques-Paul (ed.). Patrologiae cursus completus ... Series latina, vol. XXVI, col. 330 ; 390 ; 413-414) ; Commentariorum in epistolam beati Pauli ad Ephesios 4, 3-4 ; 4, 21 (Eusebius Hieronymus Stridonensis, « Commentariorum in epistolam beati Pauli ad Ephesios : libri tres : liber duo » (1845). In : Migne, Jacques-Paul (ed.). Patrologiae cursus completus ... Series latina, vol. XXVI, col. 494-495 ; 506-507) ; Commentarius in Ecclesiasten 10, 16-17 (Eusebius Hieronymus Stridonensis, « Commentarius in Ecclesiasten » (1845). In : Migne, Jacques-Paul (ed.). Patrologiae

cursus completus ... Series latina, vol. XXIII, col. 1097-1099) ; Commentariorum in Micheam Prophetam 2, 1 (Eusebius Hieronymus Stridonensis, « Commentariorum in Micheam prophetam :

libri duo : liber primus » (1845). In : Migne, Jacques-Paul (ed.). Patrologiae cursus completus ... Series latina, vol. XXV, col. 1165-1168) ; De viris illustribus. Liber ad Dextrum 135 (Eusebius Hieronymus Stridonensis, « De viris illustribus : liber ad dextrum » (1845). In : Migne, Jacques-Paul (ed.). Patrologiae cursus completus ... Series latina, vol. XXIII, col. 716-719), références citées dans Jeanjean, Virginité, p. 88.

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De plus, durant ces années à Béthléem, Jérôme va réagir à la crise origéniste (en 393), contre le prêtre Vigilance(en 406, écrit dans lequel Jérôme défend ardemment la vie ascétique que selon lui les clercs doivent mener), et à la doctrine de Pélage (vers 416). Cf. Jeanjean, Virginité, p. 88-89 ; Faivre,

La véhémence des formulations de Jérôme va choquer ses amis romains dont un certain Pammachius, commanditaire de cet écrit ; le Stridonien se vit alors contraint de se relire - ce qui sera l’Epistola XLIX, Epistola ad Pammachium, une apologie en annexe de son traité, visant à endiguer les critiques qui lui sont adressées. Mais cette lettre est à peine moins virulente contre le mariage et tout aussi engagée dans la défense de Marie - tandis que

Jovinien n’y portait toujours nullement atteinte63.

Enfin, après 397 la thématique de la virginité mariale si chère à Jérôme va apparaître surtout à l’occasion de tel ou tel verset dans les homélies et commentaires de livres bibliques

qu’il rédige alors64. Ce n’est que dans son Commentariorum in Isaiam prophetam (livre III à

propos d’Is 7, 14 et livre IV au sujet d’Is 11, 1) que la question de la virginité de Marie et de

la naissance virginale du Christ sont de nouveau plus développées65.