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Oui c’est ça, on prenait deux caméscopes et on faisait des montages à

2 Les débuts a) Le déclic

Prince 2 Oui c’est ça, on prenait deux caméscopes et on faisait des montages à

l’arrache, c’est vraiment très simple, tu verras sur le site (…). Voilà du coup j’étais un peu plus confiant et j’ai fait quelques concerts, pas énormément parce que c’était uniquement du spontané, j’avais pas de tourneur à l’époque, on me connaissait pas. »

Pour compenser la (trop grande) place accordée aux machines sur la scène, Prince 2 a imaginé un dispositif (assez dadaïste) consistant à compenser le “défaut de spectacle“.. Et en accord avec l’éthique techno, le DJ préfère projeter des images plutôt que de braquer les projecteurs sur lui. Mobilisant, là encore, un ami et du matériel vidéo domestique, Prince 2 a tenu à faire de son set d’électro, une performance, à métamorphoser ce qu’il avait conçu dans la chambre en un évènement public. Et à l’instar de la plupart des musicien-n-e-s de ce panel, il n’a pas adopté les mêmes procédures pour convertir ses “bases de travail“ lorsqu’il s’agissait de faire un disque ou un spectacle.

• Venons-en à présent aux deux rappeurs les plus jeunes131

On ne saurait considérer exactement de la même manière que précédemment les différentes étapes qui aboutissent à la constitution et à l’exportation de leur répertoire. Pourquoi ? Essentiellement, parce que ne disposant que de très peu de ressources matérielles, et n’étant pas inséré-e-s dans une formation, leur parcours consiste au moins autant à trouver des partenaires –humains ou techniques- pour leur fournir des accompagnements qu’à façonner leurs “bases de travail“. Muni-e-s de leurs textes, il leur faut trouver des instrus, convaincre des DJ(s) de les aider. Au moment où les entretiens ont été réalisés, les instrus dont Sirène et Moktar disposaient leur étaient fournis par des tiers, soit des DJ(s) avec qui ils collaboraient, soit par des proches qui leur donnaient des CD(s) d’instrus d’autres formations132. Il faut remarquer que, la plupart du temps, Sirène ne dispose pas à la maison des musiques que ses DJ(s) produisent. J’y reviendrai bientôt mais avant cela, laissons Moktar nous rappeler comment, à ses débuts, il a appris à “poser“. Pour lui, traduire veut dire arriver à

poser ses textes sur des supports musicaux que la plupart du temps, il ne connaît que fugitivement

« Moktar (…) Et je l’vous dis, j’ai pas eu plus de deux instrus de l’âge de 13 ans jusqu’après quinze ans. J’ai pas eu plus de deux instrus. Et je devais à chaque fois reposer sur les mêmes ou alors je faisais mes textes sans avoir de musique… Je me débrouillais sans musique. J’écoutais d’la musique parfois comme euh… Yannick “cette soirée là“ (il chante) ou le deuxième son qu’il avait

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L’autre rappeur du panel, Louis, a commencé aux alentours de 2001 à s’équiper en informatique musicale. Il a également participé à des formations de rock produisant leur propre musique.

132 Comme la partie sur l’apprentissage nous l’avait déjà montré, on mesure à quel point l’utilisation de

fait et j’écoutais les fins de musique, des fois il restait un bout d’instrumental, il restait par exemple 15 secondes (…) 15-20 secondes pas plus et j’essayais de poser par-dessus et je kiffais trop. Et c’est là que j’ai appris à poser sur l’instru, dans les rythmes, dans les mesures, pas dépasser…

F.R Donc ça c’était quoi, en écoutant la radio ou ?

Moktar En l’écoutant euh…des cassettes, la radio, la téloche, dehors sur une

voiture, par exemple quand on allait à la base de loisirs de Saint Quentin, y’avait un poste, on voyait y’avait pas mal de gens qui étaient regroupés là, qui étaient en train de poser dessus, on venait, on posait nous aussi et ça faisait rire tout le monde, on était des minos donc on en avait rien à faire et voilà c’était ça, mais sinon à proprement dit, on avait jamais notre propre matos. Même moi chez moi, je me voyais mal investir dans un poste, dans un poste pour enregistrer des sons, je me voyais mal, je me voyais mal acheter des CD(s) ou des cassettes avec des instrus parce qu’il faut savoir qu’à l’époque quand on achetait un CD, y’avait 15 chansons mais y’avait un seul instru à la fin, donc euh, c’était à l’époque des francs, ça coûtait p’t’être 120, 130 francs, donc c’était assez cher quand même, et donc voilà quoi, on s’débrouillait avec les moyens du bord » Lorsque après une pause consacrée à ses études et à la boxe, Moktar reprend le rap, il se retrouve dans la même situation, ne disposant que de très peu d’instrus, sans matériel de diffusion, ni local de répétition. Comment faire pour préparer une chanson que l’on peut passer lors d’une scène ouverte à Trappes ? Comment préparer une chanson avec une autre rappeuse ? Louer une salle.

« Moktar Donc la première chose qu’on a fait ensemble c’était la scène. Mais avant de la faire, fallait répéter parce que j’suis très carré, avec moi on fait pas les choses à moitié. Moi avec moi on fait pas les choses à moitié, à 90%, c’est à 100% . Donc je lui ai dit : “écoute, on va réserver une salle où on va répéter“. Donc j’ai payé pour réserver au Cobalt, à Maurepas, une salle pendant deux heures et demie, dans laquelle, ce qu’on a fait en fait c’est qu’on a répété pendant deux heures et demie avec mon p’tit frère, avec A., avec S. tout ça. La fête de Trappes, chacun a vu que c’était une tuerie »

Mais avant ce dernier calage avant le concert, Moktar et sa partenaire avaient déjà travaillé

« FR Chacun est venu avec ses textes ou comment c’était ?

Moktar (…) On s’était vu à la Défense, j’avais ramené un genre de petit MP3,

un genre de baffle sur laquelle on branche un lecteur MP3 et puis on peut écouter l’son, elle chantait par-dessus et je chantais par-dessus et on voyait que c’était une tuerie

FR Vous écoutiez avec un écouteur c’est ça ?

Moktar Même pas d’écouteur, c’était un truc que t’écoutais comme ça. Et puis

tu pouvais entendre le son comme un mini poste quoi. Tu branches un MP3 de dessus, ça marchait avec des piles, c’était S. qui me l’avait prêté et j’lui avais dit parce qu’on avait rendez-vous avec Princesse A., on s’est mis derrière l’Arche de la Défense, là où y’a pas beaucoup de monde et on s’est mis à chanter »

On l’a compris, le duo a été travailler son “son“ à l’Arche de la Défense « là où y’a pas beaucoup de monde »… Un peu plus tard, Moktar a fini par rencontrer un DJ, déjà aperçu à la boxe. Celui-ci lui a proposé de l’enregistrer gratuitement chez lui.

« Moktar Mon pote A., avec qui je fais de la boxe, il m’a présenté H-Tech. H- Tech en fait s’était quelqu’un qui faisait déjà de la boxe, qui était venu une fois à la salle de boxe, donc comme quoi le monde est vraiment petit parce qu’il me connaissait apparemment, moi je l’avait déjà vu à la boxe, et donc H-tech il est venu il m’a dit “ouais“, ‘fin on l’a appelé on a dit “ouais y’a moyen d’enregistrer ? “. Il m’a dit “bien sûr“. Je me suis posé, J’lui ai dit “c’est combien tes tarifs“, il m’a dit “quels tarifs ? “, “Ben j’sais pas, ton prix, on m’a dit que, j’ai demandé aux gens, ils m’font des prix na na nin, dis-moi c’est quoi ton prix na na nin et après on verra si on négocie“. Il m’a dit “mon prix c’est que c’est gratuit, tu devras juste payer ton billet de train pour venir“

F R C’est où alors ? Moktar À Guyancourt,

F R Et Donc c’est un home studio, c’est ça ?

Moktar C’est un home-studio avec du matos, j’dirais pas qui est bas de gamme,

euh…le plus bas de gamme du haut de gamme, on va dire. À l’époque c’était ça. Aujourd’hui c’est vrai que c’est tombé un peu dans le bas de gamme mais c’est du matos normal mais par contre, lui il s’en sert super bien »

Afin que Moktar puisse travailler à la maison, ce même DJ lui copie des instrus,

« Moktar J’sais pas, H-Tech, il a un ordinateur, y’ deux milles instrus d’dans. Chaque fois que j’allais chez H-Tech pour faire un son, je lui ramenais deux trois CD(s) : “vas-y mets-moi des instrus s’t’plaît“, et il m’blindait, il m’blindait, il m’blindait, il me téléchargeait ça et il me gravait tout ça plutôt tac, tac, tac et “vas-y tiens“, et moi j’allais à la maison je sélectionnais “ouais celui-là il est bien, celui-là il est bien“ et je posais dessus, j’étais toujours un p’tit peu dépendant parce que j’avais pas l’choix, (…) …. »

Au moment où je rencontre Moktar (juin 2006), il dispose depuis peu d’un peu de matériel

« FR Vous avez Internet à la maison ?

Moktar Maintenant ça a changé depuis, depuis ça c’était y’a à peu près 7-8

mois. Maintenant depuis 3-4 mois, j’ai investi j’ai acheté une unité centrale, j’ai pas encore Internet, j’ai acheté une unité centrale à Montgallet (quartier des

vendeurs d’informatique situé dans le 12e arrondissement de Paris) avec H-Tech parce

que H-Tech il s’y connaît super bien en informatique, il va même monter une société en informatique maintenance, donc on est partis là-bas, unité centrale et j’lai ramené chez nous, on l’a monté chez nous tout ça avec un écran, une souris tout ça, là je vais bientôt acheter une carte son et du matériel vraiment super. Au départ, j’avais ce projet-là depuis longtemps, mais je l’ai pas fait pour des raisons économiques, j’ai pas tellement les moyens, donc là on va vraiment le faire pour faire, nos propres maquettes à la maison, donc comme j’ai acheté tout ça, H-tech il m’a mis tout ses instrumentaux dans mon ordinateur. Ça fait

que dans mon ordinateur j’ai à peu près 1000 instrus. J’ai 1000 instrus donc là j’suis plus indépendant. C’est “ouais celui-là il me plaît“ »… »

On le voit, on est loin de la (relative) linéarité des parcours observés précédemment. Ici, pas ou peu de répétitions régulières, pas plus de local de répétition fixe, peu de possibilités de travailler à la maison, un accès très limité d’accès à des sources sonores, des collaborations peu stabilisées. Conséquemment, les opportunités d’enregistrer comme de se produire en concert sont rares. Tout au plus, peut-on espérer interpréter quelques “sons“ dans un tremplin ou une scène ouverte et travailler de façon continue avec un DJ attitré. Le récit qui suit permet, tout du moins je l’espère, de prendre la mesure, de cet effet de compression propre au rap.