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Non, même pas, c’est moi qui jouais le charleston avec la main

2 Les débuts a) Le déclic

Prince 2 Non, même pas, c’est moi qui jouais le charleston avec la main

gauche. Donc il m’a rien dit et après un été quand je suis revenu, naturellement je suis revenu croisé ! Tout ça naturellement, j’me suis pas posé d’questions. »

À l’opposition terme à terme entre les façons pop-rock et classique, on pourrait répliquer que la présence (et la grandeur) de l’entité “école de musique“ sur la carte montre qu’une circulation entre les deux mondes existe. Mais, cette hypothèse semble infirmée par les membres du panel qui ont emprunté cette voie. De leur point de vue, il leur a fallu se départir du savoir accumulé à l’école de musique, et même parfois changer d’instrument, pour passer d’un monde à l’autre 115. Ainsi Sabine (chanteuse) qui ressent comme un véritable handicap les années de piano classique et de solfège.

« FR Vous n’appreniez pas comme les autres (je parle de son premier groupe), avec les grilles d’accords, alors que vous étiez parfaitement capable de les jouer au piano ?

Sabine Non je pense pas car j’étais toujours bloquée, pour moi c’était le néant

total

FR Il n’y avait pas de conversion du savoir pianistique ?

Sabine Non, en fait cela m’a tellement frustrée de ne pas avoir appris de cette

manière là (elle parle des tablatures) que j’ai mis une barrière. Il y a eu une cassure nette où, vraiment, j’pouvais plus voir le piano. J’me suis r’trouvée un peu autodidacte pour le chant. Ça me chagrinait de ne pas savoir, de temps en temps, lire des grilles ou me mettre moi-même au synthé. Je sais que plusieurs fois on me le demande aujourd’hui, car on sait que j’ai un petit bagage, de m’y mettre mais j’me sens pas capable de jouer et de chanter en même temps… Faudrait tout réapprendre…Vraiment j’regrette qu’on m’ait pas appris d’une autre manière. J’aurais bien voulu faire du jazz. C’est point évident ! »

Même s’ils (elles) relatent leur expérience de façon moins tragique que Sabine, ceux et celles qui sont passés par des écoles de musique constatent une (certaine) incompatibilité entre les deux espaces. Généralement, il leur a été difficile de convertir l’expérience acquise au conservatoire dans le rock, y compris lorsque le passage à l’école de musique n’a pas été prescrit par les parents. Toutefois, et ce point mérite d’être noté, ce constat ne s’accompagne d’aucun grief à l’endroit du style classique, comme si les personnes dissociaient la façon d’apprendre le classique et les répertoires. Les reproches concernent finalement surtout les méthodes d’enseignement et notamment le fait que l’on n’apprenne pas aux élèves des écoles de musique à se représenter la musique autrement qu’à travers une portée ou, ce qui revient au même, que les modes de figuration de la musique populaire et les machines de reproduction ne soient pas intégrés au cursus.

☞ Les disquaires

L’autre grande saillance sur la cartographie n°4 est l’espace dévolu aux magasins où l’on peut se procurer des disques. Sur la carte, ceux-ci sont désignés par leur nom propre (voir par exemple les liens de Prince 2 ou de Tania déjà évoqués), par le nom de l’enseigne commerciale (ex Fnac ou Leclerc), par l’endroit où ils se situent (par

115 Karina, interviewée à Nantes, violoniste classique formée au conservatoire et qui a toujours aimé le

rock a éprouvé des difficultés à passer d’un monde à l’autre. Travaillant en duo avec une autre musicienne-chanteuse issue de la scène hardcore, elle a préféré se consacrer, en parallèle, à la musique baroque et laisser tomber le “classique“.

exemple La Défense pour Gérard ou Marché Blanc-Mesnil pour Cathy), par la désignation générique d’une zone commerciale (par exemple Sup Vélizy pour Marc) ou encore le nom du pays où on se rend pour acheter des disques (UK pour Gérard et Francis). Ce qui retient tout d’abord l’attention c’est l’abondance des lieux et de leur localisation et, d’autre part, les différents usages qui s’y rapportent. On se rend également compte que la plupart des personnes ont fréquenté, ne serait-ce qu’occasionnellement, un disquaire local. On en a d’ailleurs eu l’illustration avec Francis allant vérifier au magasin de disque “d’à côté“ la conformité de ses relevés. Toutefois, si cette présence locale est manifeste, aucune personne n’a parlé d’un disquaire local comme d’un “QG“ collectif ou d’un lieu déterminant pour la formation de son goût.

L’autre endroit souvent mentionné est la grande surface située à proximité du domicile. Pour la jeune Vickie, le rituel des courses en famille au supermarché peut être l’occasion d’acquérir de nouveaux disques

« FR Et ces 45 tours, ces singles, tu les achetais ?

Vickie Ouais, ouais

FR Comment ça se passait, tu les achetais ?

Vickie Je les achetais en supermarché aussi… J’essayais d’en laisser un ou deux

dans le caddie, dans le caddie des courses familiales et, alors des fois ça passait, des fois ça passait pas, parfois je voulais en acheter trois et on en achetait un. » Cela étant, l’attraction parisienne est également sensible. Comme on l’a vu plus haut, les disquaires parisiens spécialisés attirent par exemple Prince 2. Mais, d’une façon générale, c’est plutôt vers les Fnac et le Virgin Megastore aux Champs-Élysées que se tournent tous ceux (et celles) qui commencent à prendre la “musique“ au sérieux, y compris lorsqu’ils (elles) résident aux limites de l’Ile de France. C’est le cas de Marie qui grandit à Pithiviers (45). Lorsqu’elle commence à s’investir dans la musique, elle prend l’habitude de “monter“ régulièrement à Paris avec une amie, pour trouver des disques.

« FR Vous m’aviez parlé d’expéditions à Paris pour aller au Virgin Megastore (des Champs-Élysées) ?

Marie Non c’était avec une copine de lycée en fait FR Donc c’est vers quelle année ?

Marie C’est vers… Alors euh… Quand j’étais en seconde, de seconde à la

terminale donc j’avais entre 16 et 18 ans.

FR Et c’était combien de fois ?

Marie Oh, une fois tous les quatre mois je pense. Un truc assez régulier, en

même temps pas trop souvent. En fait, on nous déposait à la gare d’Étampes et on faisait l’aller-retour dans la journée »116

116

Lors de l’entretien, Marie me raconte également qu’elle a régulièrement acheté quelques vinyles, notamment pour la beauté des pochettes, alors même qu’elle ne possédait pas de platine pour les écouter. Le disque –CD ou vynile- n’est donc pas qu’un “pur“ support de la musique, on l’apprécie aussi en tant qu’objet.

De fait, même si l’on peut se procurer des disques près de chez soi ou que l’on copie sur des cassettes les disques de ses proches, le voyage à Paris a, néanmoins, beaucoup d’attrait

« FR Où est ce que vous achetiez vos disques ?

Félix J’en achetais pas beaucoup, l’j’les copiais souvent de mon frère. Sinon

c’était entre le supermarché à Auchan et les “grands soirs“. C’était aller à Virgin, sur les Champs-Élysées, écouter au casque les trucs qu’on connaissait pas et parfois on pouvait ressortir avec un ou deux CD(s). Une grande expédition.

FR Pourquoi appelez vous ça une grande expédition ?

Félix Parce qu’on y allait vraiment pour ça : “on va à Virgin !“. On y allait avec

les voitures, c’était le soir, à ça participait d’une sorte de … C’était une sortie pour nous. On allait vraiment au Virgin, on y restait et puis on rentrait »

La journée passée à fureter dans les bacs et à écouter des nouveautés sur les bornes d’écoute est pour Félix un vrai temps fort, un rituel dédié aux “dieux disques“. Même si je n’ai pas recueilli de récits aussi “épiques“ à propos des Fnac, celles-ci sont cependant très citées.

Parfois, les apprenti-e-s passent même les mers (voire les océans) pour trouver ce qu’ils cherchent. Ainsi Théo, qui passe son adolescence à la Guyane et qui profite de ses passages à Paris –ou à Londres- pour s’approvisionner en disques de reggae

« FR Où achetiez-vous vos disques ?

Théo Chez un disquaire (à la Guyane). Mais comme ça m’arrivait aussi de venir

aussi à Paris, en vacances, ça m’arrivait aussi d’acheter des disques. Les grands magasins comme la Fnac. Il m’arrivait aussi d’aller aux Puces de Clignancourt. Je pouvais aussi faire quelques séjours, en vacances, à Londres et donc des fois, ça m’arrivait aussi de ramener des choses. »

Dans un registre voisin, Gérard raconte également avoir fait des “expéditions“ en Angleterre avec des amis pour acheter des disques de Ska. De son côté, Francis découvre des nouveaux répertoires grâce à des éclaireurs qui ramènent d’Angleterre des choses obscures qui, bientôt, deviennent les fers de lance d’un nouveau style ; l’électro.

« FR Alors d’où ça venait cette électro alors ?

Francis Alors ça venait soit de potes qui … soit, avaient rapporté ça de

voyages ou des trucs comme ça… le premier CD des Chemical (Brothers) que j’ai écouté, c’était un pote qui l’a fait venir d’Angleterre en 1997, qui revenait d’Angleterre. Parce que je crois qu’ils ont été connus, ils ont joué dans un club à Londres, qui les a fait connaître. Ben, ils ont rencontré Liam Gallagher, le

chanteur d’Oasis, ils ont fait un morceau avec Liam Gallagher et ça les a propulsé après bon on a pu trouver Chemical et tout ça partout »

Pour résumer cette séquence, on pourrait dire que lorsque l’offre locale de disques ne supplée plus aux désirs des jeunes musicien-ne-e-s, ils (elles) se tournent vers des grandes surfaces culturelles ou des disquaires spécialisés. Et la plupart du temps, c’est vers Paris qu’ils (elles) se dirigent.

Les médias et la presse

Je l’ai déjà indiqué plus haut, la radio et la télévision occupent également une place de choix sur la cartographie n°4. En matière de radio, les locales sont d’ailleurs au moins autant citées que les networks nationaux comme Fun, NRJ, Skyrock ou Nova. À l’exemple de Vickie, de nombreuses personnes du panel rapportent avoir réalisé des compilations à partir de morceaux diffusés sur les ondes.

« FR Est ce que ça vous est arrivé d’enregistrer dans votre chambre des programmes de radio ?

Tania Oui. ‘fin pas programmes mais des chansons. Je me faisais mes petites

compiles sur des cassettes. Toutes les chansons que j’aimais bien à la radio, je les enregistrais. Je me faisais mes best of.

FR Sur cassette ? Tania Oui

FR Que vous emmeniez (dans votre walkman ) avec vous pour écouter ? Tania Oui en vacances dans la voiture…

FR Donc, beaucoup de compiles finalement, des compiles fabriquées, des

compiles achetées en CD ?

Tania Au départ oui. Quand on sait pas trop ce qu’on aime, on ose pas acheter

un album »

On le comprend, la radio sert à tester des chansons particulières. Une fois capturées sur cassette, elles viennent s’insérer dans des sélections qui accompagnent Tania jusqu’à l’arrière de la voiture familiale, recréant, une fois encore, la chambre de l’adolescente dans la voiture.

Trop éloigné de Paris (il passe une partie de son enfance dans l’Eure) et trop jeune pour aller à assister à des concerts seul, Victor trouve dans la radio un moyen de se rapprocher de la capitale

« Victor (…) J’enregistrais des live sur Fun Radio qui diffusait du rock à l’époque. J’me souviens, j’ai encore les vieilles bandes, des concerts qu’ils diffusaient. Les concerts à Bercy, ils diffusaient les ¾ premiers titres en direct. Comme on pouvait pas aller au concert, on était trop petits, ben on écoutait ça quoi »

À ces usages “tactiques“ de la radio viennent s’ajouter “l’écoute générationnelle“, d’ailleurs aucunement contradictoire.

« Louis Moi j’écoutais un peu radio Nova, Fun Radio je m’en rappelle. C’était la radio des jeunes quoi.

FR Parce qu’à l’époque c‘était assez rock

Louis Ouais ça restait un peu ce que c’est quand même mais ouais c’était plus

rock

FR Ouais

Louis Et y’avait aussi du hip hop, genre Snoop Dog et tout, c’était l’époque

côte ouest et tout, t’avais aussi Wu Tang, y’avait plein de trucs qui défonçaient. Mais je me rappelle Fun radio c’était vraiment le trucs des ados. Donc j’écoutais ça. Y’avait Doc et Difoul, ces émissions.

Louis Là c’était moins la musique, c’était plus ouais le côté identification à une

génération

FR Les défouloirs verbaux et tout ça

Louis Et la musique, j’écoutais Radio Nova. Je m’en rappelle y’avait pas mal de

DJ(s) qui passaient plein de sons. Y’ avait… Y’ avait Dynasty à c’t’époque » Louis insiste, à bon escient, sur le fait qu’il est difficile de séparer les émissions d’antenne ouverte et les répertoires. De façon générale, la découverte du hip hop est liée à des émissions et (comme pour le rock) et des artistes phares

« FR Donc cette musique américaine… Le hip hop américain ?

Diop Ouais… Le hip hop américain. Après ça a commencé à suivre chez nous

avec des... Dynasty, des Lionel D etc. Mais c’est vraiment. On dirait à l’ancienne quoi

FR C’est fin quatre-vingt quoi ?

Diop Ouais à l’époque du Break Street, des émissions Rap Line (M6)… Ça a

été une grosse émission qui nous a un p’tit peu tous marqué… Ça c’est le genre d’émissions qui nous un p’tit peu tous marqué. Ok (…) Donc c’est vrai qu’au départ moi j’ai commencé par l’rap »

La place de M6 dans les réponses tient sûrement à sa diffusion quotidienne (et nocturne) de clips

« Cathy (…) Oui, y’avait sur M6, mais ça c’est plus tard, le soir, les nuits où ils passaient des clips de rock. J’ai jamais eu le câble, en plus, donc on a toujours été fan de ça, des clips.

FR En voyant les images d’un clip tu pouvais savoir tout de suite de quelle

chanson il s’agissait ? T’en voyais beaucoup ?

Cathy Oui, oui carrément, mais c’était plutôt après, la période, on va dire,

période grunge, Nirvana et tout ça »

Les clips, Canal + et M6 se regardent souvent à plusieurs.

« FR Donc cette culture du clip (dont Vickie m’a parlé auparavant dans l’entretien) Vickie Ouais c’était la 6, j’avais pas Canal + donc c’était le top 50 en clair sur Canal à l’époque et effectivement M6, clips et tout ça.

FR Donc c’était à quel moment ? Les clips de nuit, c’était quoi ? Les clips du

Top 50 sur la 6 aussi ou du top 40, enfin ?

Vickie Voilà ces choses-là, pas trop la nuit parce que j’avais pas de télé dans ma

chambre. J’ai des frères et sœurs, j’ai un grand frère et une grande sœur, donc c’était avec eux aussi beaucoup (…) »

De la même façon que l’on enregistre la radio ou les disques des parents, on enregistre les rétrospectives de clips

« FR Vous aviez un magnétoscope familial (…) que vous utilisiez pour enregistrer des clips ou ?

Vickie Éventuellement pour enregistrer des clips ou des concerts qui passaient

tard aussi, des choses comme ça

Vickie Ouais… Des cassettes, réenregistrées, réenregistrées, support qui a

souffert (…) Je sais qu’il y a des clips qui ont été enregistrés, des nuits de clips de Michael Jackson par exemple ou des choses comme ça, des intégrales » La radio et la télévision sont d’autant plus utiles quand l’argent manque quelque peu. Dans ce cas de figure, la rencontre avec les répertoires n’est d’ailleurs pas strictement cantonnée à la sphère domestique

« Moktar (…) C’était un petit poste cassette où on mettait une cassette et on écoutait de la musique mais sinon euh la vraie musique genre des CD(s) rap et tout ça, on avait pas trop les moyens d’acheter ça quoi… C’était surtout, on regardait les clips sur M6 y’avait pas mal de sons qui passaient ou alors lorsqu’on sortait dans le quartier, y’avait les grands qui avaient une voiture avec de la

musique à l’intérieur (c’est moi qui souligne)… Donc on écoutait (…) »

Autre grand pourvoyeur de musique : la presse. Elle accompagne notamment les apprenti-e-s dans leur exploration des anciens répertoires

« FR Tu lisais la presse rock ?