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Le Premier rêve

Dans le document Gimli, Hervé THRO (Page 133-136)

10 - Construire son nid

43. Le Premier rêve

Je fis mon Tour du Monde lors de ma dix-septième Révolution. Je traversai le continent dans toutes ses longueurs durant treize lunes. A mon retour, je savais que la musique était mon domaine. J’écoutais chaque son, des centaines de mélodies virevoltaient dans ma tête, constamment. Je découvrais le monde autant par ses sons, ses musiques cachées qu‘en me contentant de le regarder avec mes yeux. Le vent jouant dans les arbres ou peignant les champs de céréales, l’eau des ruisseaux chantant de paisibles symphonies, celle des torrents grondant comme le tonnerre tandis que le clapotis de la mer berçait mes doutes. Bien entendu, il y avait les oiseaux, ces virtuoses jamais égalés même par les plus talentueux d’entre nous. Ma passion grandit pendant mon voyage. Je ne pensais plus qu’aux sons, n’échangeais avec autrui quasiment que des sujets relatifs aux sonorités diverses. La nuit, mes rêves se déroulaient en musique. Un soir, après un jour sans autre particularité que de coutume, une de ces journées que l’on ne remarque pas car rien ne vous arrive qu’il ne vous est déjà connu, je m’endormis sous les étoiles car c’était une nuit douce de la saison des fruits. Ce premier mauvais rêve reste présent dans ses détails les plus précis.

Je chemine sous un soleil lourd, écrasant toute la flore, flétrissant l’herbe, exhalant l’odeur puissante de la résine des pins que je traverse. Le sol est sablonneux, mes pieds s’enfonçant à chaque pas, j’ai l’impression de cheminer sur un nuage. Des chants d’oiseaux emplissent l’air étouffant. Je croise quantité de rongeurs, des mammifères, bref, cela est si réel que je n’ai aucunement la sensation de rêver.

La première chose qui me trouble est la disparition du chant des oiseaux. Je le remarque d’emblée, la musique étant si présente dans mes voyages nocturnes, mais je n’y prête pas une attention primordiale. Puis, ce sont mes narines qui m’alertent, une puanteur nouvelle règne dans l’air devenu épais, asphyxiant. Le sable sous mes pieds laisse place à un sol dur comme de la pierre, mais brûlant lui aussi. Je n’ai pas de sandales et je dois courir pour ne pas me brûler la plante des pieds. L’air vicié ronge mes poumons et je vois

au loin de grandes fumées dans un dégradé de gris allant jusqu’au noir profond, s’élevant et masquant progressivement le soleil. Je tousse, l’estomac à l’envers, une douleur lancinante s’installe à l’arrière de ma tête m’envoyant des piqûres de plus en plus violentes à chaque battement de mon cœur qui, pour la première fois, s’emballe.

Tout mon corps souffre avant que mon esprit ne se rende compte de l’horreur dans laquelle je suis. La particularité des songes est de diriger nos pas contre notre volonté et, au lieu de fuir avec le peu de forces qu’il me reste, je suis attiré vers ces fumées, pas par curiosité mais comme l’eau de la rivière suivant son parcours. Je ne suis plus qu’un corps meurtri qui avance vers son bourreau.

Alors après avoir souffert physiquement, la torture devient psychique.

Depuis, tous mes rêves ne me causeront plus de douleur physique. Comme si mon corps s’était habitué au premier acte, immunisé ensuite par tant d’horreurs tandis que mon cerveau, lui, n’accepterait jamais ces images douloureuses.

La végétation, déjà abîmée, laisse place à d’immenses constructions en pierre, en verre, uniquement des matières transformées et dures. La nature a renoncé. Le ciel est gris, le vent n’arrivant pas à dissiper les fumées malgré son ardeur. Des milliers de personnes, peut-être plus, déambulent sans se voir, sans s’adresser le moindre geste, s’enfermant même à l’intérieur de d’objets d’une matière nouvelle et fonçant en tout sens.

L’effet me fait penser, comme je l’ai déjà confié au maître des songes Manouk, à une fourmilière à ceci près que, ici, aucune logique régit le flot de déplacements vigoureux. Ou une logique qui m’échappe. Et m’échappe encore.

Ce premier songe s’arrête là. Je me suis réveillé en sueur dans la fraîcheur du matin, et il m’a fallut quelque moment pour comprendre que cela n’était qu’un mauvais rêve. Mauvais, le pire de ma vie. Je ne savais pas à ce moment là que ça allait être juste le premier d’une interminable série.

Les souvenirs de ce premier cauchemar se sont disséminés dans les suivants. Chaque fois, l’air pollué, l’absence de la nature, de la faune, de la flore ou alors présente et méprisée, torturée, anéantie. Et une concentration de gens qu’on ne rencontre que chez certains insectes, n’oeuvrant pour le bien de personne, au alors d’une infime

minorité.

Dans le premier rêve, je ne vis pas les détails de cette vie dans ce monde apocalyptique. Les précisions viendront au cours des images ultérieures, mais je sentis tous les thèmes développés plus tard dès ce premier contact.

Je n’avais personne à qui en parler, étant loin de chez moi. J’allais cependant consulter le Rêvélateur du village voisin qui avoua être démuni face à ce discours, je me demande même s’il m’a cru.

Rentré dans mon village, je racontais mes différents songes à notre maître des songes, car pendant la dernière lune de mon voyage, les songes s’étaient multipliés et allaient se rapprocher encore davantage : il m’arrive de passer plusieurs nuits de suite avec ses images. Le Rêvélateur s’intéressa à mon cas. J’allais le voir quasiment tous les jours, sans résultat. De guerre lasse, il m’envoya chez un de ses confrères réputé qui lui, m’orienta ici.

Dans le document Gimli, Hervé THRO (Page 133-136)