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L’organisation du village

Dans le document Gimli, Hervé THRO (Page 67-71)

10 - Construire son nid

24. L’organisation du village

Les Jardinels avaient donc mis au point un système de tour de rôle en ce qui concerne les tâches quotidiennes.

Certaines activités restaient spécialement privées, comme la construction de son habitat. D’autres mettaient entièrement à contribution la communauté dans son ensemble en tenant compte des spécialités de chacun, de ses orientations, de ses connaissances et de son savoir-faire. Ainsi la Bienvenue était érigée par tous les habitants du village et personne n’aurait laissé sa place.

Enfin la majorité de l’activité était exécutée personnellement ou collectivement selon les habitudes, les coutumes, la tradition inhérents à la région.

Fantusieni se souvenait d’avoir traversé des vallées lors de son Tour du Monde où, signe d’une grande indépendance et d’une liberté revendiquée, chacun élevait non seulement son habitation mais cultivait sa nourriture, faisait cuire ses propres galettes, chaque famille éduquait ses enfants.

Cette philosophie concrète dans les actes, cette manière de vivre était courante dans les régions reculées où la topographie et le climat obligeaient à un replis sur soi, accroissant l’importance de la cellule familiale ou de petits groupes.

Le plus souvent, et c’était particulièrement le cas ici, toute la communauté participait sous la forme démocratique et égalitaire du tour de rôle aux tâches par ailleurs souvent attribuées individuellement.

Les Jardinels cultivaient leur nourriture selon ce principe, l’éducation et l’enseignement étaient assurés de la même façon. De cette solidarité naissait un tissu social dense où les liens familiaux se dissipaient dans la communauté, amenant les habitants à davantage de tolérance, à une plus grande empathie, une ouverture sur les autres, sur le monde, une saine curiosité exacerbée. Cela n’allait pas sans de fréquents conflits et une tenue à l’écart d’esprits moins sociables qui avaient plus de mal à s’insérer dans les mailles de ce filet social. Le nombre de Solitaires était beaucoup plus élevé dans les provinces ayant adopté ce mode de fonctionnement, à moins que cela soit simplement la conséquence d’un climat plus tempéré,

permettant de vivre en dehors des liens sociaux plus facilement. Il était en effet plus rare de croiser des solitaires dans les contrées moins accueillantes. L’environnement influait largement sur les habitudes de vie, parfois même sur le tempérament des habitants. Chaque membre du village était inscrit sur une ou plusieurs listes concernant une activité commune. Le Tour de rôle attribuait à chacun une journée d’activité par quart de lune.

Selon ses compétences, chaque résident participait à l’éducation d’un groupe d’enfants. L’éducation n’étant pas le fait des géniteurs, les familles ne s’organisaient pas nécessairement autour de l’enfant, mais se réunissaient par affinités contrairement aux lieux plus rudes où bien souvent les géniteurs demeuraient ensemble autour de leur progéniture. Là encore le climat agissait sur la cellule familiale. Centrée sur elle-même, elle entraînait une propension à l’individualisme, en revanche éclatée, elle permettait une mixité sociale totale.

Chaque chantier commun était organisé selon ce principe simple et égalitaire de tour de rôle. Chacun était investi dans la vie du village, devenant davantage responsable non plus simplement de ses propres actes mais de l’action de la communauté dans son ensemble.

Les Jardinels étaient fiers de leur Tour de rôle.

Ce système donnait la possibilité à tous de participer à la vie collective, d‘être partie prenante de la vie de son village, de sa communauté. Seuls exemptés : les solitaires, ayant choisi une vie autonome; pourtant il n’était pas si rare de voir l’un d’entre eux venir prêter main forte lors de grands « chantiers ».

Le tour de rôle permettait d’effectuer les tâches vitales, quotidiennes ou lunaires et de cimenter les liens sociaux autour d’activités parfois rébarbatives. Constitution et entretien d’objets manufacturés, production de la nourriture, cuisson des galettes, réparation, entretien et décoration du village; mais également participation à diverses expéditions en vue d’échanges avec d‘autres communautés.

Même les tâches rébarbatives, répétitives, demandant un effort, éreintantes, étaient partagées dans la joie. Chacun mettant un point d’honneur à œuvrer pour les autres. Plus on donnait aux autres, plus on était certain de recevoir. Mais on offrait ses bras et ses jambes, ses idées et son savoir-faire, son intelligence et son imagination sans compter ni espérer rien en retour. Tout se déroulait naturellement. Si

certaines besognes étaient pénibles, elles n’étaient jamais ennuyeuses.

De surcroit, le Tour de Rôle permettait de ne jamais connaitre une routine qui réduisait immanquablement l’intérêt qu’on porte à ce que l’on fait.

Fantusieni avait remarqué à la Bienvenue un long inventaire de métiers affiché auquel correspondait une liste de noms et d’adresses. L’annuaire de la communauté où chaque spécialité était consignée afin que chacun puisse entrer facilement en relation avec la personne souhaitée.

On trouvait aussi bien des Maîtres du bois (et pour cause!) tout autant de jardiniers, des thérapeutes de toutes spécialités: Rêvélateur (dont Manouk était le plus célèbre), médecin de l’enveloppe, des organes, de la vue et de l’ouïe, des muscles et articulations (bien utiles pour les grands marcheurs) et surtout experts en alimentation, la base de la médecine moderne.

La communauté abritait aussi un astronome, un géographe, deux mathématiciens, des porteurs, des éducateurs professionnels, des poètes et des peintres bien entendu, mais aussi un préparateur d’itinéraire, plusieurs maîtres du pain, un confiturier, des dizaines de préparateurs en potions et liqueurs et autant de marmitons: l’art de transformer et de préparer la nourriture. A n’en pas douter, les Jardinels savaient vivre…

Il n’était en effet pas si commun de rencontrer autant d’experts en élaboration de mets. Si une alimentation saine et équilibrée était la garantie d’une santé assurée, à laquelle on apportait toute la valeur et le savoir-faire nécessaires, on ne se souciait pas à ce point de la préparation quasiment artistique que les Jardinels lui apportaient. On pouvait parler de véritable gastronomie, d’œuvres culinaires. Fantusieni s’en était aperçu la veille lors du repas partagé avec ses hôtes d’un soir. Il avait pensé qu’un tel soin apporté aux plats était en son honneur mais aujourd’hui il se rendait compte que cela était courant ici, à tout moment, spécialement le soir où la nourriture doit être la plus légère possible avant la nuit. Les Jardinels développaient des talents insoupçonnés pour accommoder les aliments et leur donner un goût et une saveur présentant une légèreté indispensable. Fantusieni se souvenait même, lors de son tour du monde, de ce village situé au bord du grand océan, où la tradition était de ne faire que deux repas par jour. La primordiale pitance du matin, au lever,

puis un dîner bien avant la tombée de la nuit, de sorte que la digestion avait eu lieu avant le repos nocturne. Les deux repas, d’égale importance, partageaient exactement la journée en trois parties.

Les activités orientées vers la communauté se déroulaient après le déjeuner, tandis qu’après le second repas, on oeuvrait d’une manière plus personnelle, on s’adonnait à sa passion. Venait ensuite le moment du repos.

Chaque région, chaque vallée, chaque village avait ses particularités quant à son organisation, ses traditions, ses gestes communicatifs, ses spécialités diverses : ici les plantes et les arbres, ailleurs la roche et la pierre ou encore le tissage des étoffes, parfois des lieux foisonnaient d’artistes en toutes disciplines, on ne savait pourquoi, était-ce dû à une meilleure inspiration qu’offrait une disposition particulière dans l’espace ?

Les régions situées en bord de mer ou des grands fleuves étaient naturellement réputées pour leur excellence dans le domaine de l’eau. Ici, c’était les Jardineries. On cultivait pour l’ornement et pour la nourriture.

De métier en métier, Fantusieni fit le tour du village, rencontra plusieurs autochtones qui lui en expliquèrent le fonctionnement. Les heures passèrent plus vite qu’à l’habitude. Il déjeuna avec délectation en compagnie d’un groupe de jardiniers occupés à tailler et faucher en bord de la rivière. Le poisson était cuit sous la cendre et partagé avec divers petits légumes cuits à la vapeur aromatisés de sève de différents pins.

Lula et Ballu l’accueillirent pour une seconde nuit, sans être surpris outre mesure, tellement ils aimaient leur village, qu’un étranger tombe sous le charme du plus bel endroit sur terre, pensaient-ils. Ballu lui parla toute la soirée de sa passion pour les relations entre les plantes et les personnes sous le regard amusé de Lula et compréhensif de Fantusieni… qui apprenait encore des choses.

Avant de s’endormir, il nota les idées, tous les noms qui avaient soulevé un intérêt particulier au long de la journée. Un journal des curiosités et des nouveautés rencontrées. Son carnet de fines feuilles de soie inauguré lors de son tour du monde était bien rempli à présent. Il ne s’en séparait jamais.

Dans le document Gimli, Hervé THRO (Page 67-71)