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Le Grand Cataclysme

Dans le document Gimli, Hervé THRO (Page 129-133)

10 - Construire son nid

42. Le Grand Cataclysme

Nous avons fait des choix de vie dans ce monde. Certains étaient dictés naturellement, instinctivement, d’autres provenaient d’une connaissance des erreurs ou des réussites du passé.

J’ai passé ma vie à étudier, à comprendre le monde tel qu’il était AVANT le grand cataclysme. Ce n’est pas une légende. Archéologues et historiens, qui bien souvent sont les mêmes personnes, du moins travaillent-elles ensemble, le prouvent chaque jour par de nouvelles découvertes. Nous assemblons un puzzle fait de millions de pièces. Nous construisons une carte faite de milliers de chemins.

Notre monde n’est pas stable. Il bouge et évolue en permanence sans que l’on ne s’en rende compte. Les continents se déplacent formant îles et montagnes.

Fantusieni acquiesça, il connaissait la géologie, l’évolution des espèces…

Nous ne pouvons influer sur ces états de choses. Tant mieux. Nous limitons le plus possible notre emprise sur la terre. Nous ne volons pas la nature, nous empruntons au mieux. Ce monde n’est pas le notre même si nous y vivons en régulant quantité de choses. Nous n’en sommes que les locataires privilégiés. Nous contrôlons notre population afin de respecter un équilibre. En tant qu’espèce dominante nous avons le devoir de respecter cette stabilité pour que l’harmonie règne au sein de chaque écosystème.

Il n’en n’a pas toujours été ainsi. Nos ancêtres étaient moins scrupuleux.

Ils furent à l’origine de la dernière grande extinction.

Fantusieni avait bien entendu parler des extinctions successives qui avaient fait prendre des virages radicaux à la vie sur terre. Une météorite avait éradiqué les grands lézards, puis des millions de Révolutions plus tard, un dérèglement du climat avait provoqué la disparition de quantité d’espèces.

Bardamus précisa que c’était un raccourci qui était souvent exprimé. En réalité, les fouilles et les recherches le prouvaient précisément,

nous avions notre propre responsabilité dans cette dernière grande extinction. Fantusieni ne connaissait que ce que les enseignants d’histoire lui avaient apprit, une version largement répandue. Bardamus prit le soin d’ajouter que cela n’était pas un oubli ou une tromperie, il comprenait qu’on traita cette période trouble de la manière la plus simple possible, la plus compréhensible. Les songes de Fantusieni et l’état dans lequel ils le transportaient prouvaient une fois encore que tout cela dépassait l’entendement. On a du mal à comprendre un monde où les fondations sont à l’opposé des nôtres. L’historien poursuivit. Tout ce que Fantusieni voyait en songe avait bien eu lieu. Chaque détail était prouvé. Restait à savoir POURQUOI de telles images ressurgissaient dans son cerveau. C’était ça qui troublait au plus haut point le gardien de la mémoire. Il reste des zones d’ombre dans ce passage historique et nous ne sommes pas tous d’accord entre spécialistes. Cela touche également à la génétique.

Bardamus expliqua.

Avant le Grand Cataclysme notre espèce se nommait humaine. Nous utilisons rarement ce qualificatif de nos jours, par honte. Honte de ce que nous avons été capables de produire, de détruire.

Il ouvrit le grand livre et entama une histoire longue et passionnante qu’il fit démarrer lors de l’avant dernière extinction.

Une fois les grands lézards anéantis, la place était libre pour les espèces qui allaient dominer le monde : les mammifères. Il est bien connu que la nature a horreur du vide. Chaque espèce végétale ou animale se livre un combat mêlant ruse et malice, parfois puissance et force, pour exister, en s’adaptant de la meilleure façon.

Notre espèce s’est différenciée des primates en développant une aptitude à manier des outils. C’est pour cette raison que nous sommes les seuls à n’utiliser que deux membres pour marcher, ou bien est-ce une conséquence. L’étape suivante qui a mené tout naturellement à l’extinction, fut de se multiplier d’une manière arrogante. Or, si les diverses espèces sont régulées par la chaîne alimentaire, l’espèce dominante se doit de maîtriser elle-même sa population, n‘ayant par définition aucun prédateur. Nous ne l’avons pas fait, bien au contraire.

Non seulement nous avons proliféré mais nous avons pillé les richesses offertes par la nature, nous en avons tiré notre énergie, notre nourriture avec excès et gaspillage. Nous avons volé la planète

Terre, puis l’avons polluée avec nos excédants. Nous n’avions plus aucune modération, plus aucune retenue. Jusqu’à déclencher une modification profonde du climat. Cela ne s’est pas fait en un jour, quoique ce fut très rapide au vu du temps géologique, mais nous avions des œillères, nous ne voulions pas voir la vérité en face. Les conséquences de nos actes. L’individualisme régnait en maître absolu, y comprit en tant qu’espèce.

Plantes et animaux commencèrent par disparaître, les premiers touchés car vivant, eux, en contact direct et grâce à la nature. Nous avons perduré dans nos erreurs en créant de nouveaux artifices sans savoir qu’ils nous acculaient à notre perte. L’air devint vicié, notre nourriture provoquait quantité de maladies graves, les ondes utilisées sans aucun contrôle commencèrent à influer sur notre psychisme, l’eau potable vint à manquer, par manque d’hygiène de nouvelles épidémies se déclenchèrent véhiculées par de nouveaux virus, des conflits éclatèrent remplaçant les guerres d’antan motivées par la religion ou le nationalisme. La température moyenne de l’atmosphère grimpa en flèche, ajoutant de nouvelles calamités, d’autres tragédies. Le climat se détraqua, provoquant les pires tempêtes. Les insectes porteurs de virus et bactéries se développèrent. La haine des humains envers eux-mêmes ne connu plus de limite, sauf celle du maniement de l’atome. Peu avant que la planète de se transforme en un gigantesque désert, des conflits nucléaires éclatèrent, rejetant une dose de radioactivité sans précédent sur le vivant.

Seules quelques espèces, déjà épargnées par le dérèglement du climat purent survivre. Et une poignée d’humains.

Bardamus résuma ainsi ces années noires, apocalyptiques. Il expliqua à Fantusieni que ses rêves étaient passionnants car, pour une raison qu’il ignorait encore, ils étaient une preuve du passé, une sorte d’archéologie onirique.

Cependant Fantusieni était abattu. Les songes devaient-ils perdurer toute sa vie ? Etait-il condamné à subir ces cauchemars d’un autre temps, d’une civilisation enfouie par ses propres dérives ? Devait-il expier les fautes commises par des générations oubliées ?

Il ne s’en cacha pas. L’enthousiasme de Bardamus s’atténua tel un franc soleil soudain caché par d’imposants cumulus. Il considéra Fantusieni avec empathie. Bien sûr, cela allait être certainement un grand pas, une avancée significative dans la recherche du passé,

mais le jeune garçon n’était point venu pour devenir une preuve archéologique, mais pour tenter de soigner son état. Les gestes de l’Historien se firent plus doux, plus expressifs. Après avoir été obnubilé presque malgré lui par les révélations de Fantusieni car il était d’un grand humanisme si l’on peut encore utiliser ce terme, il s’intéressait maintenant à la personne qui subissait une vraie pollution de son cerveau.

Il lui demanda depuis combien de temps éprouvait-il ses images, quel avait été son parcours, quelle activité pratiquait-il, quelles avaient été ses principales rencontres. Toute une série de questions pour mieux comprendre le processus qui amenait un simple individu à devenir le réceptacle d’une quantité de détails effacés de la surface de la Terre.

L’émotion qui submergeait un temps Fantusieni s’estompa au fil de son histoire. Ses gestes, ses expressions, maladroits au commencement de son récit se firent plus sûrs, plus précis, plus justes. Il lui semblait que se raconter apaisait son inquiétude. Il avait déjà ressenti cette impression avec Manouk. Il se sentait devenu un cobaye, son cas intéressait, passionnait les meilleurs spécialistes, mais que pouvait-on faire pour lui ? Qui serait capable de chasser ses images monstrueuses revenant nuit après nuit si bien qu’il ne souhaitait le repos qu’avec méfiance et réticence.

Il s’exprima donc. Laissa couler sa mémoire dans des gestes de plus en plus assurés. Ses expressions faciales, son regard traduisaient parfaitement et sans omission ses souvenirs.

Le récit de sa jeunesse avait occupé tout son discours pour le Maître des Songes, à l’historien, il allait évoquer une période beaucoup plus récente de sa courte vie.

Dans le document Gimli, Hervé THRO (Page 129-133)