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Les objets

Dans le document Gimli, Hervé THRO (Page 63-67)

10 - Construire son nid

23. Les objets

Fantusieni errait dans le village dont les habitations étaient mariées aux arbres, une rare harmonie existait entre le travail de la population et celui de la nature, comme si l’un et l’autre avaient œuvré de concert. Il se sentait bien dans cet endroit nouveau qu’il commençait à apprivoiser.

Fantusieni repensait à son entrevue avec Manouk. Il était encore tôt malgré tout ce temps passé non pas en vain, mais sans résultat.

Le village ou plus précisément l’assemblage de cabanes, huttes, demeures en tous genres, ne portait pas de nom, les habitants s’étaient qualifiés de Jardinels mais n‘avaient pas songé à nommer l‘endroit où ils vivaient.

Les spécialistes des mesures, à l’image de Gandolfo, avaient attribué des appellations aux différents villages, cours d’eau, collines et sommets, forêts, routes et chemins, afin de pouvoir mieux se repérer. Bien souvent les autochtones ne s’embarrassaient pas de dénominations pompeuses. Le cours d’eau le plus proche était la rivière, le ru, la courante parfois le fleuve. Les collines des alentours s’appelaient indifféremment le mont, la butte, la côte, l’éminence; les bois et les forêts pouvaient répondre à la rigueur à des particularités liées à une histoire. Ainsi un bois où nichaient une certaine variété d’oiseaux était appelé « le rouge-gorge », une forêt qui prenait régulièrement le vent était surnommée « la ventée », un groupe de peupliers aux troncs bien droits étaient « les verticaux ». Entre eux, ils utilisaient simplement leur nom reçu dans l’enfance, le plus simplement du monde. Ils n’accordaient que peu d’importance aux titres attribués aux lieux, juste pour l’intérêt de savoir où les localiser.

Parmi les quelques cinq cents personnes peuplant le village, on rencontrait toutes sortes d’activités nécessaires et superflues, s’orientant autour des arbres et des diverses plantes.

La réputation de la vallée en matière de culture sylvestre n’était plus à faire. Chaque habitant avait construit son logis en relation directe avec les arbres. Certains avaient hissé des cabanes défiant les lois de

l’apesanteur, d’autres avaient débité des planches et des rondins pour construire de véritables petits châteaux de bois. Tous travaillaient le bois avec maîtrise et finesse, la plupart cultivaient les plantes afin de fournir la nourriture au village.

Les Jardinels fonctionnaient selon un principe simple et très répandu : le tour de rôle. Certaines fonctions étaient considérées comme vitales, d’autres courantes et enfin celles superflues, sans aucune connotation hiérarchique, le superflu était aussi important que le vital. De la même manière, les objets étaient classés en trois catégories : les indispensables, les courants et les superflus.

Afin de ne jamais devenir esclave des choses matérielles, chaque objet, en fonction de chacun, était considéré dans l’une ou l’autre catégorie.

Un indispensable devait servir chaque Jour, on parlait donc de Journalier.

Un courant devait avoir son utilité au moins une fois par lune, devenant dans l’expression populaire un Lunaire.

Enfin, le superflu ne servait qu’exceptionnellement. Il était donc normal de posséder des Journaliers; les Lunaires pouvant être loués ou prêtés; quant aux Superflus ils étaient propriété de tous et n’appartenaient à personne.

Fantusieni songeait à ses rêves, notamment à une particularité qui, il s’en rendait compte maintenant, qu’il avait oublié de mentionner au Rêvélateur : dans ses images nocturnes, les gens souffraient de cette maladie terrible qu’était le désir de posséder. Non seulement, ils aimaient ça, cette aliénation à l’objet, mais en plus ils ne s’en rendaient pas compte, voulant toujours plus sans réelle nécessité. Ils accumulaient des choses qui ne servaient jamais ou rarement. Très peu de Journaliers en définitive.

Ce qui avait choqué Fantusieni dans son village natal, se souvenant du grand Martini. Le Rêvélateur avait mis des Révolutions pour le guérir de son mal profond : l’envie puis le besoin de posséder. Une psychose qui avait même induit la pire des tares : le vol.

Martini vivait dans une habitation croulant sous divers objets, amassés là sans aucun besoin, juste de passer ses journées, oisivement, à compter, à manipuler, à classer tout ce bric-à-brac inutile à sa vie, mais lui demandant tout son temps. Plus disponible à l’échange avec les autres habitants, Martini s’était réfugié dans un

monde irréel où sa seule personne était le centre.

Il était devenu prisonnier de son égoïsme, ce qui n’avait rien à voir avec le style de vie des Solitaires qui, eux, avaient délibérément choisi de s’exclure de la communauté sans pour autant tourner résolument le dos à de rares échanges. Martini était, quant à lui, renfermé sur son monde, ne communiquant plus avce personne. Il était venu à considérer ses objets comme de véritables personnes, toutes entièrement dévouée à sa modeste personne dont l’ego grandissait jusqu’à étouffer tout intérêt pour autrui, toute compassion, toute empathie.

Il était devenu esclave volontaire, la pire des servitudes car dirigée contre soi-même par des choses inanimées.

Le médecin des songes avait réussi à force de patience et de persuasion à rendre quelque humanité à Martini. Il lui avait trouvé une occupation salutaire et pour le bien de la communauté : puisqu’il ne pouvait se séparer de ses objets, il serait le gardien des Lunaires et Superflus pour le reste du village. Parfois, cela posait quelque problème lorsque Martini, dans un accès de folie subitement ressurgi, refusait le prêt sous quelque fallacieux prétexte. Cependant, il existait un véritable musée d’objets hétéroclites. Cela n’intéressait point Fantusieni lors de son Tour du Monde et il n’avait pas eu le loisir d’aller le visiter.

Situé dans des grottes naturelles, dans les régions septentrionales où souffle sans cesse un vent glacé qui courbe la rectitude des arbres, poussant les nuages à une telle vitesse qu’il n’est pas loisible d’y distinguer quelque forme mystérieuse qu’elle s’est déjà évanouie. Un climat que seuls peuvent supporter les natifs de ces confins, tout étranger, tout voyageur restant hostile à ces déchaînements météorologiques abominables.

Fantusieni avait traversé toute la région au pas de course, nouant cependant d’intenses relations avec les autochtones autant repliés sur eux-mêmes que dissipant une étonnante chaleur humaine, afin de contrebalancer les affres dû au froid et à la pluie. Il se souvenait n’avoir que rarement expérimenté de telles effusions de la part d’inconnus.

A l’abri des vents violents, déchaînant ses rafales comme un vol d’étourneaux, en tous sens, comme un animal pris au piège se délivrant puis ne sachant par où s’échapper, ce refuge souterrain

déployait sur d’immenses cavernes un musée dédié aux technologies préhistoriques autant que modernes.

Pêle-mêle coexistaient inventions éphémères, trouvailles sans intérêt, délires de scientifiques, techniciens et ingénieurs en mal de paternité matérielle.

Fantusieni avait eu le tort de n’avoir pas mis un pied dans ce capharnaüm insensé : dans la partie la plus reculée, il aurait déambulé parmi nombre d’objets qui apparaissaient dans ses rêves.

Certes, le musée répertoriait les divagations psychotiques de scientifiques en mal d’activité créatrice, mais surtout, il consignait

une considérable objetothèque du passé. Chaque objet dont l’humain se rendait esclave trônait là dans la splendeur de son inutilité éternelle. Voitures de toute tailles, machines en tout genre,

choses fonctionnant essentiellement grâce à une immense quantité d’énergie, du plus petit briquet jusqu’à la triste fusée atomique, cet inventaire du passé s’offrait au regard et surtout au dégoût de tous

Dans le document Gimli, Hervé THRO (Page 63-67)