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Goût et parfum

Dans le document Gimli, Hervé THRO (Page 30-36)

10 - Construire son nid

12. Goût et parfum

Le repas était un régal des papilles et un ravissement pour les yeux. Même lors des prises de nourriture, les herbes et les fleurs enjolivaient la table, apaisaient l’esprit par leurs mélanges de couleurs et, surtout, mêlaient leurs parfum à ceux des plats.

Nous utilisons davantage ce mélange qui embaume les narines sans être ingéré comme condiments qui, parfois, troublent une digestion nocturne.

Lors de son Tour du Monde, Fantusieni s’était rendu compte que les habitudes culinaires changeaient du tout au tout d’une région à une autre. Il avait rencontré des peuples ne mangeant qu’une seule fois par jour, se réunissant autour d’un grand feu le soir venu. C’était une fête quotidiennement recommencée. Il se souvint n’avoir pas spécialement apprécié cette coutume. Il avait ensuite du mal à digérer une nourriture lourde pendant son sommeil, mais à cette époque il n’était pas la proie de ses rêves traumatisants qui étaient le but de son voyage ici même.

Il préférait les prises modérées de nourriture tout au long de la journée. Une peuplade insulaire l’avait enthousiasmé. Ils avalaient fruits, insectes grillés et racines bouillies tout au long de la journée. Ils se déplaçaient constamment avec un garde-manger sur eux, en l’occurrence un petit sac en peau qui contenait leur pitance quotidienne.

Dans les hautes montagnes de l’est, même dans son village, la base de l’alimentation était faite de laitages et de tubercules qu’on cultivait à l’abri d’une météo rigoureuse. Si Fantusieni appréciait les recettes de son pays natal, il préférait néanmoins une alimentation plus légère, à base de fruits et de poissons. Son séjour en bord de mer avait révélé ses papilles. Ce n’étaient que festins de crustacés, coquillages, poissons séchés, cuits à la vapeur ou sous la cendre, huitres et crabes dégustés encore vivants.

Cette diversité plaisait au jeune homme. Quel ennui si, en changeant de région ou même d’un village à l’autre, on retrouvait les mêmes plats, les mêmes préparations.

Partout où il s’était rendu, Fantusieni avait pu constater que les repas, qu’ils soient uniques ou fragmentés par un grignotage tout au long de la journée, étaient des moments privilégiés au cours desquels on apprenait à se connaitre, où l’on faisait plus ample connaissance et, pour les intimes c’était un instant tendre où l’on partageait ce qu’il y a de meilleur sur terre. Une relation presque charnelle.

D’ailleurs personne n’aurait imaginé utilisé des ustensiles pour manger. On utilisait ses doigts, ses dents, ses lèvres, sa langue. Il y avait un rapport quasi érotique à la nourriture. Mais surtout, et cela était une constante, on apportait aux mets le plus grand sérieux, insistant sur leur aspect et leur goût. Il fallait que ce soit beau et bon. On nourrissait à la fois son estomac mais en même temps son esprit, son imaginaire.

Manger était une fête. Cuisiner était un divertissement. Les conversations continuèrent autour des plats.

La traditionnelle discussion sur la météorologie accompagna un plateau d’asperges vinaigrées au miellat. Les tomates tout juste grillées et présentées sur un lit de fougères odorantes furent mélangées de brins d’histoire de la vallée. Puis Fantusieni dégusta une variété de chou à l’aspect orangé qu’il n’avait jamais mangé pendant qu’on lui posait maintes questions sur son voyage. Enfin, une coupe de fruits joliment apprêté permit d’annoncer leurs projets respectifs.

Afin de lier connaissance, d’en apprendre sur son interlocuteur, on préférait évoquer l’avenir, les projets, les ambitions, la volonté de chacun que rappeler un passé révolu et souvent nostalgique. Lorsqu’on abordait les aspects de sa vie passée c’était la plupart du temps dans un but thérapeutique. On racontait sa vie au Rêvélateur ou bien pour éclairer, expliquer, préciser ses aspirations, ses souhaits futurs, son but recherché. On ne demandait jamais des précisions sur le passé des gens. Ce qui intéressait dans une conversation entre inconnus, c’était l’avenir.

Ballu s’installa dans un hamac tandis que Fantusieni sentait une fatigue l’envelopper doucement comme une marée montante, inexorablement.

Chacun appréciait ces moments de calme, privé de l’agitation quotidienne que renforce la communication par gestes. Pourtant

Ballu, passionné à l’extrême ne put s’empêcher de reprendre ses exemples de communion entre les gens et les plantes. Lula regardait son compagnon avec tendresse, une légère résignation dans le regard. Il était sa fierté même s’il ne vivait que pour et par sa passion. Elle avait parfois l’impression qu’elle passait au second plan dans l’esprit de Ballu, tandis que la place de son compagnon était toujours la première dans son cœur.

13. En couple.

Vivre en couple était chose peu commune. Rare étaient ceux qui partageaient une existence pendant des lunes, à fortiori comme Ballu et Lula depuis maintenant plus de vingt révolutions.

Les relations entre les personnes étaient denses et diverses, il était bien délicat d’y poser les jalons d’une frontière. Le sens du toucher était la base des relations conviviales, en fait le prolongement du mode de communication par gestes. Le langage des signes glissait vers l’expression corporelle tout naturellement. Les massages et les caresses s’accordaient pour une infinité de raisons : compassion, amitié, besoin de rassurer, d’être consolé, mais aussi moyen de régler un conflit naissant. Les étreintes n’avaient pas nécessairement une connotation sexuelle et le sentiment amoureux ne naissait pas forcément d’une rencontre charnelle.

Les relations entre les deux sexes étaient libres et consenties. Cela provenait-il de cette prédominance de l’utilisation de tous leurs sens? Il n’était pas rare que deux inconnus le matin même se retrouvent à partager leur plus profonde intimité avant le coucher du soleil, parfois même avant la mijour. Il n’y avait rien de calculé ni de prémédité. En cela, l’érotisme était une notion assez étrangère, même dans les régions où l’on pratiquait le secret. Car l’érotisme est une déviation de la sensualité tout comme le mensonge est une dérive du langage. Ici, la parole étant bannie, on ne retrouvait pas ce second degré propice aux mystères et aux dissimulations. Bien entendu le mensonge existait, mais il était tissé de si grosses ficelles qu’il se remarquait d’emblée. C’était une forme d’humour, rien de plus. La pudeur et les artifices en matière de sensualité étaient donc rares et, curieusement, étaient partagés par des couples établis qui recherchaient une certaine originalité dans leurs rapports, une innovation et une fraicheur réservée aux rencontres d’un soir, ou d’un matin. On utilisait l’érotisme uniquement par jeu.

Les sens et le corps étaient désacralisés. Chacun savait que l’enveloppe charnelle se décomposait après la mort et que les sentiments n’avaient que peu à voir avec les pures sensations

physiques. Pourtant ce n’était pas aussi simple. Partout, dans toutes les régions, on pouvait observer que les sentiments, les émotions étaient fortement liées aux ébats, qu’ils soient chastes ou plus sexuels. On ne pouvait donc parler d’un peuple qui forniquait sans sentiment, uniquement pour assouvir un besoin ou poussé par un désir subliminal de descendance.

Si l’on nourrissait autant son esprit que son estomac lors des repas, il en allait de même pour les moments sensuels. Il était rare, quasiment impossible de ne pas mêler l’esprit au corps. Ainsi, les déviations telles que la prostitution, la pornographie et la pédophilie étaient totalement inconnues. Les relations sensuelles, sexuelles, étaient saines, parfois à la limite cliniques. Mais un soupçon de tendresse subsistait toujours. Il eut été inconcevable à ce peuple hédoniste de ne pas ajouter de l’âme dans l’acte le plus intime qui soit.

Si l’on ne faisait pas l’amour sans amour, la notion de fidélité relevait pourtant de l’exception. Fantusieni rencontrait pour la première fois de sa vie un couple établi depuis si longtemps. Il en éprouvait de la curiosité et cependant une incompréhension latente. Toutes choses singulières avaient du mal à trouver la voie de la raison dans son esprit. Il n’y avait pas de normes dans la société, seulement des comportements courants. Lorsque une originalité émergeait, sans la rejeter, il était plus difficile de la comprendre, de saisir le cheminement et la volonté qui motivait un style de vie en marge de la pluralité.

Sur ce plan, les aspirations de Fantusieni étaient bien loin du comportement de Gandolfo et cependant il les comprenait mieux car elles étaient courantes. Une séduction s’adressant à tous et à toutes semblait une simple évidence car elle était la plus répandue, alors qu’un attrait s’étant muée en tendresse envers un seul être était plus singulier, moins courant.

Paradoxalement, Fantusieni se sentait plus proche d’un tel style d’existence mais avait plus de mal à en comprendre les rouages. En fait, il était admiratif au plus profond de son être et quelque part envieux d’une vie partagée avec et pour une seule personne plutôt que dissolue dans une multitude de rencontres.

La naissance d’un bébé ne stabilisait en rien l’esprit volage si répandu. Les parents de Fantusieni ne faisaient pas exception à la règle. Le lien filial était plus fort que le lien charnel qui avait été la

source d’une conception. Il était souvent admis que procréation et sentimentalisme ne rimaient pas ensemble. La preuve en était que Lula et Ballu étaient orphelins d’enfants.

Dans le document Gimli, Hervé THRO (Page 30-36)