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CHAPITRE 1 er Les premiers signes de mécontentement mélanésien

III. Les premières victoires politiques des Mélanésiens (les années 1950 et 1960)

Commissaires et les Commissaires-Résidents. Cette réunion a mené, en 1957, à un arrêté conjoint qui a institué des conseils locaux composés entièrement de Mélanésiens dans

253 Mohamed-Gaillard, l’Archipel de la puissance ? op. cit., p. 60.

254 Aldrich, op. cit., p. 205. Ces ouvriers italiens, pour la plupart originaires du nord de l’Italie, ont rapidement

quitté les plantations pour fonder des entreprises de construction avec lesquelles ils connurent très vite la fortune. Voir Roudaut, op. cit., p. 139.

255 Ibid.

256 À titre d’exemple, la maison Burns Philp qui ne voulait pas moderniser son magasin de Port-Vila, disait

qu’elle ne croyait plus à ce pays de cyclones et de tremblements de terre. Voir Ibid.

257 Jacques Herry, « Jacques Herry: Administrative Officer, 1959-1960 », dans Bresnihan et Woodward, ed., Tufala Gavman, op. cit., pp. 288-291.

l’archipel258. Le but de ces conseils était d’administrer des sous-circonscriptions territoriales en

ce qui concerne les Mélanésiens, d’assurer le respect des lois et règlements et de veiller au maintien de l’ordre public259.

Le 23 avril 1957, à Port-Vila, les Hauts-Commissaires de France et de Sa Majesté britannique ont signé un règlement conjoint portant institution d’un Conseil consultatif provisoire260 aux Nouvelles-Hébrides261. Le règlement tire son inspiration à la fois des conseils

privés des territoires de la France d’outre-mer et des Advisory Councils des colonies britanniques262. Au commencement, ce Conseil était composé des deux Commissaires-

Résidents comme co-présidents et de deux membres officiels263 et douze membres privés

nommés par les Commissaires-Résidents (quatre Britanniques, quatre Français et quatre Mélanésiens)264. Le mandat des membres durait un an265. Le Conseil consultatif provisoire s’est

réuni pour la première fois en janvier 1958266. Rétrospectivement, le Conseil consultatif

258 ANF, carton 19940219/0014, synthèse des Nouvelles-Hébrides pour l’année 1967, p. 6.

259 ANF, carton 19840122/8, note sur les Assemblées locales, Résidence de France aux Nouvelles-Hébrides, 26

mai 1961, p. 7. Au total, vingt-deux conseils ont été créés dans l’archipel. Voir ANF, carton 19940219/0014, synthèse des Nouvelles-Hébrides pour l’année 1967, p. 6.

260 Le Conseil consultatif provisoire fut une désignation temporaire pour le Conseil consultatif. Voir Woodward, Historical Summary, op. cit., p. 1.

261 ANF, série Résidence Nouvelles-Hébrides, carton 224, note sur le Conseil consultatif, Résidence de France, 6

septembre 1957.

262 ANF, série Résidence Nouvelles-Hébrides, carton 224, note sur le Conseil consultatif, Résidence de France, 6

septembre 1957.

263 Les deux membres officiels étaient le trésorier du condominium et le surintendant des travaux publics. Voir

Woodward, A Political Memoir of the Anglo-French Condominium of the New Hebrides, op. cit., p. 18.

264 ANF, carton 19940219/0007, rapport sur le quatrième séminaire de Waigani, les politiques de la Mélanésie et

la situation politique aux Nouvelles-Hébrides, direction des territoires d’outre-mer, 2 juin 1970, p. 8.

265 Ibid.

266 Après sa fondation en 1957, le Conseil consultatif a connu toute une série de changements. En 1959, le nombre

de membres mélanésiens a été augmenté de quatre à huit créant ainsi la parité entre les membres européens et les membres mélanésiens. Voir Woodward, A Political Memoir of the Anglo-French Condominium of the New

Hebrides, op. cit., p. 19. En 1964, le nombre de membres privés a été augmenté à vingt (dix Mélanésiens, cinq

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provisoire était une grande dérogation du statu quo, car l’existence d’une pareille Assemblée n’était pas prévue dans le Protocole de 1914.

Les premiers signes de résistance mélanésienne étaient des délits commis en représailles des mauvais traitements subis aux mains des Européens. Dès 1890, le planteur britannique George Latour fut assassiné pour ses vues racistes qui interdisaient « tout chien ou négro d’entrer dans sa propriété sous peine de mort »267. En 1891, Peter Sawyer fut également tué à

cause d’un conflit concernant la terre. P.C. Greig et ses deux filles adolescentes furent tués à la machette en 1908 à la suite d’un conflit de travail. Dans les années 1920, Ronovuro, un certain roi aspirant de Santo qui, d’après ce qu’on disait, était immortel, fulminait contre la population blanche de son île en ramassant de l’argent pour leur expulsion268. La situation est devenue

encore plus tendue lorsque Ronovuro a assassiné le propriétaire de la plantation Clapcott. Malgré le fait que Ronovuro et deux autres hommes furent bientôt exécutés pour l’assassinat de Clapcott, des adeptes de Ronovuro ont continué de militer durant les années 1930 et 1940. Cela dit, les premiers signes de résistance mélanésienne n’étaient ciblés exclusivement que contre les Britanniques à Santo. Sur l’île de Tonga, le chef Samuel Kora fut le premier chef qui a dénoncé le colonialisme269. De même, sur l’île d’Ambrym, la résistance à la présence européenne

découlait de l’emprisonnement d’un « chef chrétien », Sale Bani, par la Résidence française en

membres mélanésiens devaient être élus, un par circonscription, par un collège électoral composé de représentants des conseils locaux actifs; les six autres membres mélanésiens étaient toujours nommés par les Commissaires- Résidents. Quatre membres européens (deux Britanniques et deux Français) furent élus par la Chambre de commerce qui fut officiellement ouverte par les deux résidences en juin 1963. Sa première session de travail eut lieu le 3 octobre 1963. Voir « In a nutshell », Pacific Islands Monthly, novembre 1963, auteur non indiqué, p. 119. Rétrospectivement, les changements apportés en 1964 ont fait en sorte que le Conseil consultatif était pour la première fois de son histoire un organe consultatif partiellement élu. Enfin, le mandat a été porté à deux ans. Voir ANF, carton 19940219/0007, rapport sur le quatrième séminaire de Waigani, les politiques de la Mélanésie et la situation politique aux Nouvelles-Hébrides, direction des territoires d’outre-mer, 2 juin 1970, p. 8.

267 Miles, op. cit., p. 64. 268 Ibid.

1914 pour avoir prétendument organisé un boycottage contre les commerçants français locaux270.

L’arrivée des soldats américains fut accompagnée de nouvelles technologies et d’une profusion des emplois ce qui contribua au changement de l’état d’esprit de la population mélanésienne. Les Mélanésiens étaient éblouis par les quantités considérables d’argent qu’avaient les Américains et leurs navires et aéronefs ultramodernes. Pour eux, cette expérience a été bouleversante à tel point qu’ils commençaient à croire dans la venue d’un sauveur d’outre- mer. Ce phénomène a provoqué la création des cultes dont le mouvement John Frum offre le meilleur exemple. Né dans les années 1941-42 sur l’île de Tanna, « l’avant-dernière terre du sud des Nouvelles-Hébrides avec un volcan en activité et une population de 5 712 Mélanésiens en 1941 »271, « ce mouvement s’est présenté tout d’abord sous une forme violente : refus de

collaborer avec les pouvoirs publics ainsi que mise à l’écart des missionnaires »272. Preuve de

son idéalisme, le mouvement assurait que « tout le monde va redevenir jeune et qu’il n’y aura plus de maladies »273. De plus, les John Frumistes promettaient que chacun aura ce qu’il veut

sans être obligé de travailler274. Avec les John Frumistes, il était désormais inutile de continuer

à cultiver les jardins, à faire des plantations, à élever des porcs car John Frum fournirait à tous l’argent nécessaire à sa subsistance275.

Le leader du mouvement, John Frum, censé être un homme dans la trentaine et orné d’un costume rouge avec des boutons brillants, prêchait le rejet du christianisme et certains concepts occidentaux comme les devises européennes (on jetait de l’argent à la mer dans la conviction qu’une nouvelle monnaie remplacerait l’ancienne devise)276. « Avec des messagers qui

annonçaient l’endroit où il se montrera et incitant les Mélanésiens à venir l’entendre », on

270 Ibid.

271 ANF, carton 19940165/0037, note sur le mouvement John Frum à Tanna, Patrick O’Reilly, octobre 1948. 272 ANOM, série Résidence Nouvelles-Hébrides, Résidence de France aux Nouvelles-Hébrides : rapport politique

février 1961, M. Delauney, date non indiquée.

273 ANF, carton 19940165/0037, note sur le mouvement John Frum à Tanna, Patrick O’Reilly, octobre 1948, p. 2. 274 Ibid.

275 Ibid. 276 Ibid., p. 6.

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croyait John Frum en mesure d’éliminer les Britanniques et les Français, accomplissant des miracles dans le cadre de sa mission277. À Tanna, les Européens étaient en grande partie des

missionnaires. Connue pour avoir « pacifié » l’île, la mission presbytérienne était de loin la plus ancienne et la mieux assise278. Avec 1 600 communiants, elle groupait ses fidèles en villages

qui étaient soumis aux chefs de l’Église279. La mission a imposé à ses adhérents un certain code

de conduite : plus de polygamie mais aussi plus de kava (boisson locale à effets « euphorisants ») et plus de danses280.

Le mouvement John Frum avait plusieurs objectifs dont le plus important était la restauration des coutumes et des traditions mélanésiennes et l’élimination de la race blanche. Le peuple était convaincu que John Frum était le frère du Président américain ou du roi d’Amérique281. En 1943, une piste d’atterrissage fut aménagée pour faciliter l’arrivée de ses fils

et soldats en provenance des États-Unis282. Malgré des dizaines d’arrestations et le bannissement

de membres du culte (un Mélanésien nommé Manehevi, censé avoir été le vrai John Frum, fut condamné à trois ans d’internement et cinq ans de bannissement), l’incendie de leurs maisons et une grande assiduité de la part de la police pour écraser le mouvement (le mouvement a grandement préoccupé la France et la Grande-Bretagne), les John Frumistes continuaient d’exercer leur foi pendant les années 1940 et 1950, ayant dès 1961, un nombre d’adhérents représentant environ le quatre-cinquièmes de la population de l’île de Tanna283. Avec ses propres

chansons, danses et slogans et la tradition de boire du kava, le culte était surtout connu pour ses manifestations pendant lesquelles les adeptes « ont adopté des signes de croix inspirés du geste chrétien et ont élevé des radars et des radios »284.

277 Aldrich, op. cit., p. 30.

278 ANF, carton 19940165/0037, note sur le mouvement John Frum à Tanna, Patrick O’Reilly, octobre 1948, p. 1. 279 Ibid.

280 Ibid., p. 2.

281 Aldrich, op. cit., p. 31. 282 Miles, op. cit., p. 105.

283 ANOM, série Résidence Nouvelles-Hébrides, carton 210, Résidence de France aux Nouvelles-Hébrides, rapport

politique, février 1961, p. 3.

Il est important de signaler que le culte « constituait en lui-même une administration locale, son financement provenant du coprah et de la culture d’autres produits commercialisables »285. Avec son propre gouvernement, ce phénomène explique pourquoi les

conseils locaux ne pouvaient être créés que dans les régions où le culte n’avait pas ou peu d’influence286. Somme toute, John Frum, bien qu’ayant surtout été une figure mythique (après

l’arrestation de Manehevi, plusieurs autres hommes mélanésiens étaient présumés être John Frum et furent arrêtés par la suite), était aussi une entité complexe et développée, résistante aux autorités britannique et française qui n’ont pas réussi à l’éradiquer. À la lumière des missions chrétiennes, on constate que les Mélanésiens étaient peu disposés à perdre leur singularité pour devenir, par le biais de la religion, des sujets « occidentalisés ».

Le mouvement John Frum incarne l’aspiration des Mélanésiens à la grandeur et à un avenir meilleur, le désir d’être les maîtres de leurs propres domaines et la défiance envers les pouvoirs coloniaux. Le mouvement John Frum englobe aussi la notion de « cargo », l’idée qu’un être suprême serait envoyé par les aïeux et avec l’aide des Américains à Tanna sur un fond eschatologique (l’attente d’une parousie finale) et xénophobe (notion que les Blancs de l’île empêchaient le cargo de revenir)287. Mais ce qui est étonnant et unique, c’est la durée du

mouvement John Frum, sa capacité à survivre malgré les répressions, alors qu’ailleurs la plupart des autres cargo-cults mélanésiens ont disparu au bout de quelques années288. En résumé, une

285 ANF, carton 19940165/0025, annexe à la synthèse du mois de février 1972 de la Résidence de France aux

Nouvelles-Hébrides, document portant sur le culte John Frum et le mouvement Nagriamel, auteur non indiqué.

286 Ibid.

287 ANOM, série Résidence Nouvelles-Hébrides, carton 138, document sur le mouvement John Frum et son

évolution, Joel Bonnemaison, date non indiquée.

288 Ibid. Il y avait bel et bien d’autres cargo-cults mélanésiens à part le mouvement John Frum. Pour mentionner

qu’un exemple, la Malnatco (Malekula Native Company), fondée dans les années d’avant-guerre, avait suscité bien des espoirs en relevant de la recherche d’une forme d’organisation autonome : écoles, hôpitaux, routes dans une zone complètement délaissée par une administration condominiale disposant de peu de moyen et abandonnant les problèmes sociaux aux missions chrétiennes. Toutefois, il n’a pas fallu longtemps avant que la Malnatco se dissout en petites associations locales sans grand avenir et en querelles entre les dirigeants. Voir Jean Guiart, La Terre est

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compréhension du mouvement John Frum est nécessaire pour comprendre la place du mouvement Nagriamel dans l’historiographie des Nouvelles-Hébrides.

Bien que les actes de violence perpétrés par des Mélanésiens contre les Européens se soient produits dès la fin du dix-neuvième siècle, plusieurs raisons expliquent la montée des tensions (surtout en ce qui concerne la terre) dans la période suivant la Seconde Guerre mondiale. Fondé en 1906, le Tribunal mixte n’a commencé à travailler sur la question des revendications territoriales qu’en 1927 avant d’être fermé en mai 1941 à cause de la Seconde Guerre mondiale289. Après sa réouverture en 1945, il travaillait lentement, entravé par des

problèmes intérieurs antérieurs à la Seconde Guerre mondiale – notamment l’absence d’un Président, l’ambiguïté de son rôle et un manque d’arpenteurs290. Une réforme de la procédure

d’immatriculation a également été nécessaire. En 1949, le Tribunal examinait plusieurs demandes d’enregistrement des terres revendiquées sur Santo datant du début du vingtième siècle. Alors que les terres sont traditionnellement revendiquées par des individus français ou des compagnies françaises, la propriété de Luganville, revendiquée par la SFNH, sera au cœur d’une dispute majeure dans les années 1960 qui ouvrira la voie à la création du mouvement Nagriamel291.

Au cours des années 1950, il y avait une reprise des phénomènes de confiscation et d’aliénation des terres mélanésiennes par les colons européens292. Alors qu’il n’était pas rare de

voir des cas de coopération entre Français et Britanniques pour ce qui est des questions foncières pendant cette décennie293, dès la fin des années 1960, la question foncière est devenue un point

289 Van Trease, op. cit., p. 91.

290 Les propriétés examinées par le Tribunal mixte furent souvent de grande taille et subdivisées. Ce dernier point

a compliqué davantage le travail du Tribunal car celui-ci avait besoin d’approuver chaque propriétaire de chaque subdivision. Voir Ibid., p. 93.

291 Ibid., p. 92.

292 Bernard, op. cit., p. 2.

293 À la fin des années 1950, les Britanniques étaient inquiets à propos de l’enregistrement d’un vaste domaine sur

Malekula et son effet sur la stabilité de la colonie une fois que les Mélanésiens se seraient rendus compte que leur terre avait été aliénée. En 1959, le Commissaire-Résident britannique, J.S. Rennie, a initié une série de discussions avec son homologue français qui ont mené à un rapport sur la question foncière. Voir Van Trease, op. cit., p. 94.

de dissension entre les deux puissances294. Selon Howard Van Trease, cette tendance s’explique

surtout par l’arrivée au pouvoir de Charles de Gaulle en 1959 et sa politique de conservation du Pacifique français qui a lentement commencé à se faire entendre dans les années 1960295. Les

Nouvelles-Hébrides étaient précieuses pour leur emplacement sur la mappemonde, à proximité de la Nouvelle-Calédonie qui était riche en nickel et de la Polynésie française, vouée à devenir un centre de tests nucléaires. À la fin de son mandat de Résident français aux Nouvelles- Hébrides en octobre 1969, Robert Mouradian a dit que « les instructions qu’il a reçues du général de Gaulle lui stipulaient qu’on reste »296.

En 1951, la propriété Luganville de 13 000 hectares fut immatriculée au nom de la SFNH297. La compagnie a divisé cette terre à des fins de location ou de vente destinées aux

planteurs ou aux éleveurs de bovins français qui, dès la fin des années 1950, se mettaient à débroussailler le terrain298. Au début des années 1960, le chef coutumier Paul Buluk a imploré

les autorités condominiales d’empêcher l’incursion de nouveaux colons français. Chose peu étonnante, son plaidoyer est tombé dans l’oreille d’un sourd299. En signe de protestation, Buluk

294 Ibid., p. 108. 295 Ibid.

296 Beasant, op. cit., p. 25. 297 Ibid., p. 16.

298 L’élevage du bétail aux Nouvelles-Hébrides a connu ses débuts dès la fin des années 1950, et ce développement

a amené une reprise de débroussage par des Européens et le désir d’acquérir de grandes étendues de brousse ayant une valeur monétaire potentielle. Voir ANOM, série Résidence Nouvelles-Hébrides, carton RNH 215, note sur le quatrième séminaire de Waigani, les politiques de la Mélanésie et la situation politique aux Nouvelles-Hébrides, A.G. Kalkoa, date non indiquée, p. 12. Selon Keith Woodward, le défrichage de vastes superficies pour l’élevage du bétail a contribué à la création du Nagriamel. Voir Woodward, Tufala Gavman, op. cit., p. 55. L’élévation du niveau de vie à travers le monde industrialisé a marqué l’ouverture des marchés pour la viande fraîche et l’élevage du bétail semblait être une bonne proposition commerciale. Ainsi, l’élevage du bétail générait des bénéfices supérieurs au coprah et nécessitait moins de main-d’œuvre lorsqu’on le compare à l’exploitation du coprah. Voir Beasant, op. cit., p. 16. En 1968, les exportations de viande congelée et de conserves avaient atteint respectivement 117 tonnes et 135 tonnes représentant 5 391 000 FNH et 11 048 000 FNH. Voir ANF, carton 19940169/0071, Accroissement de la production du coprah aux Nouvelles-Hébrides, tome II, ministère des départements et territoires d’outre-mer, juillet 1969, p. 55.

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a pénétré sans autorisation dans la propriété pour y construire une maison tout en enlevant les clôtures installées par des colons français, provoquant une dispute entre lui et les planteurs français. Le vrai but de Buluk (et la source du conflit même) était le développement d’une ancienne route américaine pour créer un passage traversant la propriété. Ayant ignoré les avertissements de la SFNH, Buluk fut condamné à six mois avec sursis par le Tribunal français pour bris de clôture et déplacement de bornes300.

Jimmy Stephens301 n’était pas indifférent à la situation difficile de Paul Buluk. Né en

1923 à Venue sur l’île de Santo, « Stephens était Mélanésien par sa mère, Sera Patuntun, alors que son père était métis britannique et tongien »302. L’enfance de Stephens fut celle de la misère.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, il a travaillé comme conducteur de bulldozer pour l’armée américaine303. « Resté depuis lors ébloui par la richesse des États-Unis », sa capacité de conduire

un bulldozer lui a mérité un emploi en Australie pour la période de 1948 à 1950, l’exposant encore davantage aux principes occidentaux. De retour aux Nouvelles-Hébrides, Stephens travailla pour le négociant Donald Gubbay de Santo avant d’être engagé par l’administration britannique comme conducteur de bulldozer304. Toutefois, dès 1960 toutefois, Stephens a connu

des temps difficiles ayant subi une grave blessure à la jambe droite dans un accident du travail. Au chômage et aigri par sa situation malheureuse, Stephens n’a jamais été indemnisé par l’administration britannique. Illettré et sans éducation formelle305, il se lance dans les

années 1960 dans l’agitation politique. Voici comment il est décrit par la gendarmerie française en août 1967 : « Agitateur dangereux… Individu peu recommandé, de moralité douteuse, auteur de nombreuses escroqueries… Hait les Européens, en particulier les Français… Est à l’origine du mouvement revendicatif des terres par les indigènes… Protégé britannique, semble de ce fait

300 ANF, carton 19940165/0014, note sur le mouvement « Nagriamel », date et auteur non indiqués, p. 2. 301 Son nom est également épelé comme Jimmy Stevens. Toutefois, pour assurer la cohérence, l’orthographe

Stephens sera utilisée tout au long de ce travail.

302 Bernard, op. cit., p. 36.

303 ANF, carton 19940165/0037, fiche sur Jimmy Stephens, date et auteur non indiqués, p. 1. 304 Beasant, op. cit., p. 19.

305 Stephens parlait un anglais approximatif sans parler ni comprendre le français. Voir ANF, carton

bénéficier d’une sorte d’immunité qui lui permet de poursuivre sans risque son action subversive »306.

Ce « mouvement revendicatif » était le Nagriamel qui fut fondé en 1964 par Stephens et