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Les trois fragilités du PEDT dans son contexte socio-historique (Daniel Frandji)

2. Les deux premières fragilités

Dans ce contexte, nos analyses mettent en lumière deux premières grandes fragilités des PEDT actuels : celle d’une politique se voulant « politique partagée » mais qui s’accompagne de peu de modalités de « participation », qui joue peu, insuffisamment, le jeu de l’arène citoyenne, comme lieu permettant de confronter les finalités possibles et/ou les conceptions éducatives qui sont ici mobilisables. Cette fragilité là doit être pensée en rapport à la difficulté de la tâche, comme le reconnaissent parfois les acteurs eux- mêmes, élus et techniciens. Mais elle renvoie aussi à ce qui, en dernière instance, se présente ou se justifie comme procédure de « démocratie représentative ». Nous avons cependant ajouté que les PEDT fonctionnent de manière peu visible (grâce à des exemples qui nous ont montré le contraire) comme instrument de travail cognitif collectif, permettant, dans la confrontation positive d’analyses, d’approfondir la réflexion, de réviser les tensions induites par de multiples attentes pas toujours compatibles, de dénouer les conflits, nécessairement imposés par les déplacements des frontières de l’action éducative, plutôt que de les « trancher ». C’est là la première fragilité. Notre propos se refuse au registre des dénonciations parfois en usage sur ces points. Il réclame d’autres analyses. Mais il relève surtout quelques tensions et contradictions, quand on dit vouloir mettre en place des « politiques partagées ». L’une des déclinaisons les plus manifestes de ces phénomènes s’expose dans l’énoncé des « objectifs », « finalités » et/ou « enjeux » des PEDT, tels qu’ils apparaissent dans les plaquettes des collectivités, les réponses au questionnaire, et même les entretiens avec les élus et les techniciens. Et c’est bien là la seconde fragilité à laquelle nous sommes confrontés. Pas seulement parce que ces « objectifs » sont très hétérogènes et disparates. Mais surtout quand ils s’apparentent à des « slogans » ou « formules » (chap. 1, chap. 2 et chap. 4), parfois identiques, parce que « circulant » tels quels d’un document à l’autre, d’une ville à l’autre, ou quand ils listent des « valeurs », certes importantes, mais dont on a bien du mal à voir en quoi et comment elles s’incarnent, dans quelles pratiques (de fait, la demande, opérée par le questionnaire, de citation d’une « action qui vous paraisse la plus représentative » des objectifs et autres axes stratégiques du PEDT, mentionne bien des curiosités). De même, surtout, c’est sur le plan de l’action éducative menée que le manque se fait ressentir : que faire sur les temps péri et extra scolaires ? Qui le décide ? Comment ? Pourquoi ? Comment penser l’articulation de ces temps avec les temps scolaires ? Quelles conditions de pertinence des projets et/ou parcours éducatifs ?

Rapport scientifique Observatoire PoLoc 127 Curiosité et fragilité de fait, alors même que divers travaux de recherche nous montrent la complexité de ce qui se joue ou peut se jouer dans des « projets » de ce type, aux effets égalisateurs incertains, sans suffisamment d’accords cependant. Fragilité de toute façon quand on voit la pluralité des modes de déclinaison des notions phares portées par ces politiques (chap. 4) de complémentarité, continuité ou cohérence éducative, jusqu’à voir ici le risque de se prolonger, et même se renforcer le « dualisme des dimensions cognitives et comportementales de l’enseignement », qui est déjà depuis plusieurs années objet de fortes inquiétudes en France, et ailleurs (Tardif et Levasseur, 2010).

Il paraît indispensable de prolonger l’analyse empirique sur ces points, c’est-à-dire de conduire et d’impulser un travail d’observation beaucoup plus systématique et méthodologiquement contrôlé sur les actions éducatives réalisées. Indispensable, car il en va non pas tant de ce qui se nomme parfois « l’efficacité » de ces projets, mais de leur sens et de leur apport possible aux enjeux d’égalité et de citoyenneté dont ils se prévalent. Indispensable aussi, car les travaux de recherche déjà amorcés sur ces points paraissent insuffisants. Ainsi en est-il notamment des travaux portant sur les « Projets » éducatifs et culturels, menés avec des établissements scolaires, et notamment, car c’est surtout sur eux que les chercheurs se concentrent, sur les projets artistiques (redoublant en un sens ce qui s’observe sur le terrain, à savoir que les projets dits « culturels » se concentrent surtout sur l’art, cf. chap. 1 et chap. 4). Tantôt pour, toujours, presque irrémédiablement, regretter les logiques d’opacification du travail scolaire, pourvoyeuses de différenciation et d’inégalités (à juste titre, mais sans toujours se donner la possibilité de voir autre chose, là est le problème), tantôt pour relever les dynamiques positives de requalification et de reconnaissance dont ils sont porteurs comme pistes productives d’ouvertures de la « forme scolaire », mais insuffisamment reliées aux enjeux des inégalités d’apprentissage (car il conviendrait déjà avant tout, nous semble-t-il, de poursuivre le travail sur le concept de « forme scolaire » lui-même ou ce que l’on condense sous ce terme10). Ces travaux ont d’ailleurs du mal à ne pas se retrouver pris dans certaines clôtures des

discours pédagogiques (B. Bernstein, op. cit., 2007), même si les meilleurs d’entre eux se veulent vigilants sur ce point. Car en ceux-ci se rejoue aussi, concrètement, le problème de la pluralité des objectifs de l’action éducative et scolaire, des différentes formes de conjugaison de la syntaxe « éducation et démocratie ». Ces travaux de toute façon ne procèdent pas toujours des mêmes orientations : la perspective critique soucieuse de maintenir, pour la renouveler, la problématique des inégalités sociales d’échec et de réussite scolaire, telle qu’amorcée dans les théories de la reproduction, mais qui a du mal à rompre avec le légitimisme de ces dernières, et/ou le postulat premier de l’inégalité qui les clôture trop souvent ; et la perspective plus soucieuse d’observation des pistes émergentes de changement dans une perspective « d’inclusion sociale » par la culture, mais dont il nous faut questionner les conceptions du développement cognitif et social individuel et collectif qu’elle sous-tend. Il n’est pas lieu ici de développer ces points, mais il est clair qu’en lisant ces travaux, l’analyse de ce que l’art fait à l’école demeure contrastée, énigmatique,

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parfois contradictoire, autant que ce que l’école fait à l’art11. Il nous faudrait pouvoir y revenir, de même

qu’il nous paraît nécessaire de prolonger le travail de tous ceux qui tentent de faire bouger les cadres d’analyse dans le domaine de la sociologie des apprentissages et de la pédagogie12. D’ailleurs, pour élargir

le propos sur l’ensemble des rapports entre les activités scolaires et périscolaires, quelques premières observations nous montrent en quoi ceux-ci mettent en jeu des phases multiples et plus ou moins itératives et contrôlées d’opérations de contextualisation / décontextualisation / recontextualisation des objets d’apprentissage. La notion de « parcours » souhaitant aujourd’hui vouloir concrétiser et renforcer ces rapports, gagnerait avant tout à questionner ces itérations qui peuvent soit générer un « apprentissage intégré » soit renforcer un « apprentissage segmenté » socialement différenciateur13. Mais bien sûr, sur le

terrain, ceci implique d’ambitieuses coopérations analytiques entre les enseignants et les animateurs ou intervenants (ce que réclament souvent ces derniers, confrontés au manque de légitimité). Et cela implique surtout de réviser la matrice dichotomique avec laquelle on pense ces relations (théorie/pratique, abstrait/concret) et qui maintient les conflits de légitimité.