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Géographie de l’éducation prioritaire et inégalités économiques entre les communes

RESSOURCES À MOBILISER

2. Participation entre mobilisation et enrôlement (la première faiblesse structurale)

2.2. Les modalités d’associations des acteurs : une « coopération symbolique »

Car ici comme ailleurs, ces acteurs sont conduits à participer selon certaines modalités, et il paraît possible et utile de préciser ce point. Car celles-ci ne sont pas à laisser de côté dans l’analyse : ce sont elles qui permettent d’établir le degré d’implication des acteurs non institutionnels, l’espace de débat qui leur est octroyé et in fine le degré d’ouverture du processus délibératif de la production des PEDT18. Sur cette question, les études consacrées à la participation dans l’action publique apportent des outils théoriques et des perspectives critiques variés et stimulants, à partir d’études de cas dans d’autres politiques sectorielles19. Nous utiliserons ceux de ces outils qui permettent de mieux saisir les degrés d’implication des acteurs non institutionnels dans l’action publique. Sur ce point, l’article de Sherry Arnstein « A ladder of citizen participation » publié en 1969 a fait office de référence. Il donnait une première analyse de l’implication de ces acteurs dans le processus décisionnel à partir d’une échelle graduant cette participation20. En 2005, Marie-Hélène Bacqué, Henri Rey et Yves Sintomer établissent une seconde échelle qui pose des nuances, au regard des nouveaux dispositifs de démocratie participative mis en place21.

Cette dernière permet de distinguer quatre grands niveaux de participation des acteurs qui sont, de manière croissante : l’information, la consultation, la concertation et la co-production. Au regard de ces échelles, il apparaît flagrant que les dispositifs mis en place dans le cadre des PEDT, dans les divers territoires sur lesquels nous avons travaillé, se situent aux trois stades de ce qu’Arnstein appelait la « coopération symbolique ».

Les acteurs sont associés dans un premier temps au stade de l’information : l’information circule à sens unique, elle vient de la commune qui informe les acteurs des décisions qui sont prises. Au deuxième niveau de cette coopération symbolique, on retrouve « la consultation » où les acteurs sont invités à donner leur avis sans avoir pour autant d’assurance que celui-ci est pris en compte. Dans les communes rencontrées,

17 Pinson, Gilles. Gouverner la ville par projet. Presses de Sciences Po, 2009, p.384.

18 Pour une synthèse de la notion de délibération, voir Yves Sintomer. « Délibération et participation : affinité élective ou concepts en tension ? » in Participations 2011/1, n° 1, p. 239-276.

19 Pour une analyse générale des débats et des différentes approches théoriques dans le champ de la participation : Gourgues Guillaume, Rui Sandrine, Topçu Sezin. « Gouvernementalité et participation. Lectures critiques » in Participations 2/2013, n°6, p.5-33.

20 Voir notamment les travaux de Marie-Hélène Bacqué et Mario Gauthier sur la participation dans les études urbaines. Voir également J. Donzelot, R. Epstein. « Démocratie et participation : l’exemple de la rénovation urbaine » in Esprit 7/2006 (juillet), p.5-34.

21 Voir M.-H. Bacqué, H. Rey, Y. Sintomer. « La démocratie participative, un nouveau paradigme de l’action publique ? » in Baqué, Marie-Hélène, Rey, Henri, Sinomer, Yves (dir). Gestion de proximité et démocratie participative : une perspective

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cette étape de l’échelle prend principalement la forme d’un questionnaire, établi le plus souvent à destination des parents et des enfants. Ces derniers sont invités à donner leurs préférences à partir desquelles les élus pourront trancher et les services trouver une solution viable. Le troisième palier de ce niveau correspond à la « réassurance », qui se rapproche de l’étape dite de la « concertation » dans l’échelle établie par Bacqué, Rey et Sintomer. À ce niveau, les acteurs ne prennent pas la décision finale, ils sont consultés et sont invités à négocier, mais sans participer aux décisions finales. Le problème de fait ici est de trouver le moyen de construire ce qui s’appelle un « intérêt général » :

« Oui, parce que dès la parution du décret en janvier, on a mis en place toute une démarche de concertation avec des groupes de travail : enseignants, périscolaire, extrascolaire, comité de pilotage, en interne à la mairie avec les élus pour suivre. On a structuré un document que l'on a présenté dans les premiers mois de la réforme en disant ‘on va utiliser telle démarche de concertation pour arriver à en sortir quelque chose’. Ça a permis de borner un petit peu ce que l'on voulait faire. Après, la difficulté dans l'élaboration... La difficulté c'est que la collectivité se doit de trouver un intérêt général et donc la somme des intérêts particuliers ne fait pas forcément le général. On a bien vu que les avis divergent entre les enseignants, entre les enseignants de maternelle et d’élémentaire, des parents et des enseignants, chacun a sa propre analyse. À un moment, il faut bien trouver un chemin ». (Coordinateur commune d’environ 5 000 h., secteur périurbain).

Si la plupart des communes ont mis en place un « dispositif » ou ont utilisé des « outils » et « instruments » visant à faire participer d’autres acteurs, il s’agit de constater que le degré de participation (et ce que l’on entend par ce terme) varie énormément selon ce qui est ainsi proposé : questionnaire, réunion d’information, réunion de concertation, intégration à un comité de pilotage, etc. Les résultats de l’enquête par questionnaire présentés dans le chapitre 1 vont dans le même sens. Les démarches mises en place privilégient d’avantage l’information des publics, la consultation, parfois la concertation, dans notre corpus, on ne peut pas dire qu’ils aillent, loin de là, jusqu’à la co-production avec les citoyens. Car si 69% déclarent avoir effectué une « concertation préalable » à leur PEDT (à plus de 50% dans tous les secteurs géographiques), les modalités d’associations des acteurs se font principalement sous la forme de « réunions d’information » (57% des communes) et de « dialogues concertés » (51% des communes).

Cependant, il est intéressant de noter que ce qui est commun à l’ensemble des communes rencontrées, c’est le positionnement tenu par la collectivité : s’il est reconnu que celle-ci ne peut pas décider « toute seule », sans consultation des autres acteurs de la communauté éducative - ce que nous avons vu précédemment - la décision finale est celle des acteurs techniciens et/ou élus. La « commune » est présentée et argumentée comme le seul acteur légitime dans la prise de décision finale. Et en fait, sous le terme même de « commune » ne sont ainsi le plus souvent considérés que les seuls acteurs aux responsabilités (élus) et professionnels (techniciens). Les rapports entre ces deux acteurs, élus et techniciens, sont eux aussi complexes et pluriels, comme nos données permettent de l’observer (mais que nous n’analyserons pas dans l’étape de ce rapport). Les arguments avancés sont soit d’ordre financier (selon le principe « qui finance décide », parfois banalement avancé par les élus, nonobstant la provenance des finances, via l’impôt, et surtout la possible réduction des enjeux de service public qu’il pourrait

Rapport scientifique Observatoire PoLoc 83 impliquer), soit font appel à la garantie de l’intérêt général. Parmi la somme des intérêts des acteurs en présence souvent cités : enseignants, parents, personnel municipal, associations :

« Question : donc dans cette phase d'élaboration et de concertation du projet, c'était des orientations posées par la mairie que vous proposiez aux autres acteurs ?

Réponse : oui. Enfin, eux en proposaient aussi, mais il faut être honnête, c'est la mairie qui finance. Ayant les finances, les moyens en personnels, il fallait aussi que l'on fasse avec tout ça.

(…) On travaille le mercredi matin, nous c'est compliqué, les parents c'est compliqué, enfin. C'était ça que l'on avait comme retours. Ou par exemple des enseignants qui avaient leurs enfants ailleurs. Et nous, comment on va faire ? C'était des considérations que je trouvais trop personnelles pour que l'on puisse en tenir compte. Ce qui était important c'était le texte de loi auquel il fallait s'adapter, les enfants par rapport à ce texte pour qu'ils soient le mieux possible » (Élu commune de 8 000 h., périphérie métropole urbaine).

Il semble alors que l’ouverture soit également à définir en fonction des modalités pratiques, qui rendent compte des finalités de cette ouverture : s’agit-il d’associer a minima les acteurs de la communauté éducative ou d’élaborer de manière conjointe un projet éducatif de territoire ? Il est intéressant de noter que, là aussi, les logiques pluralistes sont à l’œuvre et entraînent une reconfiguration des acteurs et de leur positionnement, notamment la collectivité. Cependant, si cette mobilisation s’accompagne d’une ouverture du processus décisionnel, dans les cas observés, elle maintient le pouvoir légitime au sein de la collectivité. La logique de projet semble donc connaître les deux aléas, d’ouverture d’une part et de reconfiguration et de maintien du pouvoir politique d’autre part, comme garant de l’intérêt général et ultime dépositaire du processus décisionnel :

« Les logiques interactionnistes / échangistes, dont la place est plus grande que dans les projets classiques de planification, mais aussi des logiques de direction et de leadership politiques qui ne sont pas absentes, là où les acteurs politiques jouent un rôle plus surplombant dans les processus de politique publique (…). Les deux logiques sont présentes, souvent se renforçant réciproquement » (Pinson, op. cit., 2009, p. 330).

2.3. Les objets mis en débat dans les espaces de concertation, le « consensus » et l’enjeu du