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C’est par contre au niveau des inégalités scolaires que le corpus se singularise nettement. Le terme d’ « inégalité » sous toutes ses formes, n’apparaît qu’environ 80 fois dans tout le corpus. Quand les inégalités sont mentionnées, ce qui est rare, elles le sont presque toujours sous l’angle des « inégalités sociales », contre lesquelles il faudrait « lutter » ou qu’il faudrait « compenser ». Mais il semble que le processus par lequel les inégalités sociales aboutissent à des inégalités proprement scolaires ne soit pas questionné dans le corpus.

En effet, il n’est fait référence aux « inégalités » proprement « scolaires » que 8 fois. Plutôt que de parler d’ « inégalités », le corpus lui préfère les termes plus neutres de « difficultés scolaires » (10 occurrences) ou d’« échec scolaire », qui ne portent pas en eux une critique du fonctionnement socialement sélectif ou privilégiant de l’école. Un terme comme celui d’« inégalité d’apprentissage », qui dénote à la fois le caractère social et proprement scolaire du processus n’est jamais utilisé dans tout le corpus.

Les inégalités sont donc avant tout des inégalités « d’accès » dans notre corpus, accès à la « culture », aux « loisirs » ou encore aux « technologies », comme si les enfants étaient uniquement empêchés matériellement d’entrer en contact avec ces domaines, sans que les processus par lesquels certains d’entre eux s’approprient ou non la culture ne soient questionnés.

De même, la construction sociale des inégalités scolaires n’est pas questionnée quand les termes de « mixité » (100 occurrences) ou de « diversité » (que l’on associe à la « richesse », à l’« enrichissement » ou à l’« ouverture »), sont mis en avant, comme si la mixité dans les établissements suffisait à estomper

Rapport scientifique Observatoire PoLoc 57 d’elle-même les inégalités scolaires. Ici encore, les municipalités, dans le discours, privilégient l’organisation « matérielle » de l’éducation pour lutter contre les inégalités scolaires, faisant de celles-ci un problème prosaïque, gérable avec du bon sens local, escamotant les contenus et les codes sociaux par lesquels ils sont transmis.

Si nos textes se proposent de gérer l’éducation, il ne faudrait pas pour autant laisser entendre qu’ils conçoivent l’éducation comme une manière de gérer les problèmes sociaux. On peut ainsi gérer l’éducation sans l’utiliser comme un moyen de gérer les populations. L’éducation, dans les plaquettes, ne se conçoit pas comme un moyen de prévenir la délinquance des mineurs. Les termes « violence », « délinquance » ou même « mineur » (qui a une connotation judiciaire ou « policière ») sont ainsi relativement absents du corpus. Ce point est important car plusieurs sociologues ont depuis longtemps pointé que les dispositifs éducatifs locaux ne distinguent pas toujours clairement éducation et prévention de la délinquance14. Les

villes de notre corpus ne semblent pas tomber dans ce piège, du moins ne l’énoncent-elles pas ainsi dans ces plaquettes.

En revanche, la tendance qui consiste à se placer dans le registre « utilitaire », du côté de l’organisation matérielle de l’éducation, fait sans doute partie d’une propension plus générale à euphémiser les termes relatifs à la conflictualité des rapports sociaux. Tout se passe comme si les acteurs préféraient systématiquement des termes positifs ou mélioratifs à des termes dénotant l’antagonisme. Ainsi, si on a vu que le terme valorisant de « mixité » apparaît près de 100 fois, son exact opposé, la « ségrégation » n’apparaît qu’une fois dans les 61 projets. Plus frappant encore, on ne compte que 40 occurrences du verbe « lutter », pourtant très commun, mais qui dénote un affrontement, alors que le terme « favoriser », qui laisse dans le vague ceux ou ce à quoi on s’oppose quand on « favorise » apparaît plus de 1000 fois. Enfin, dans le même ordre d’idée, le terme « d’autorité », potentiellement négatif car pouvant faire l’objet d’« abus », n’apparait que 17 fois, cependant que l’un de ses corollaires positif, le « respect » apparait plus de 300 fois.

Cette tendance n’est pas à mettre sur le compte d’une volonté délibérée de masquer les difficultés sociales ou les processus par lesquels les inégalités scolaires se construisent. On a montré que ces documents sont aussi des documents de communication, qui à l’évidence visent à promouvoir l’action éducative de la commune (parfois dans une perspective de marketing urbain pour les plus grandes d’entre elles) plus qu’à s’appesantir sur les difficultés qu’elle rencontre, ou que l’institution scolaire rencontre. Des catégories génériques, peu provocantes ou dérangeantes émergent ainsi dans le discours (à l’image de l’« épanouissement et le développement de la curiosité des enfants »). Ces catégories se retrouvent parfois presque quasiment mot pour mot dans des projets éducatifs de villes différentes.

14 Dominique Glasman formulait déjà cette crainte lors de la journée de préparation de l’Observatoire PoLoc, le 30 mai 2012 :

http://observatoire-reussite-educative.fr/ressources/cr-de-journees/journee-de-mutualisation/premiere-journee-30-mai-2012- l2019education-a-l2019echelle-des-territoires-locaux-questions-enjeux-et-perspectives

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Mais ce faisant, ces documents, en cherchant à promouvoir un consensus local, comme l’a montré l’analyse sémantique, contribuent à repousser dans le domaine polémique des questions qui ne sont que politiques, et qu’en tout état de cause, une politique éducative locale se devrait d’aborder.

4. Analyse comparée des plaquettes des projets éducatifs : des variables

différenciatrices ?

La comparaison des plaquettes en fonction des données qui leur ont été associées se fera grâce aux fonctions Table lexicale et Spécificités du logiciel TXM. Cette dernière fonction permet de mettre en lumière les mots surreprésentés ou sous-représentés dans les corpus, en leur attribuant des « scores » qui neutralisent la variable de la taille du corpus. Cette partie tentera d’établir si les variables choisies ont une influence réelle sur le lexique employé dans les plaquettes. Les commentaires interprétatifs seront volontairement limités dans cette partie pour permettre de conserver le pouvoir intriguant des mots qui émergent à l’analyse et leur capacité à susciter des questionnements chez le lecteur.