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Quelle est la place des familles dans la justification de la complémentarité éducative ? A une période où les politiques publiques de l’enfance et de la jeunesse semblent accorder une

Géographie de l’éducation prioritaire et inégalités économiques entre les communes

RESSOURCES À MOBILISER

1. Des logiques de complémentarité éducative qui s’inscrivent dans des enjeux territoriaux divers

2.2. Quelle est la place des familles dans la justification de la complémentarité éducative ? A une période où les politiques publiques de l’enfance et de la jeunesse semblent accorder une

importance accrues aux questions de parentalités (M. Becquemin, 2014) 18, nous avons cherché à

18 « Depuis une trentaine d’années, les politiques de l’enfance et de la jeunesse, dont la protection sociale et judiciaire n’est qu’une expression parmi d’autres, font l’objet de profondes transformations. En effet, l’action publique tend à se recentrer sur les parents

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comprendre comment les élus et coordinateurs argumentent la coopération, la co-éducation recherchée avec les familles-parents dans le cadre de la mise en œuvre du PEDT. Au-delà de l’urgence des situations, comment se justifie cette complémentarité, par les acteurs interrogés, vis-à-vis des familles, des parents ?

La mise en place des temps périscolaires, avant ou après l’école, s’inscrivant dans le cadre de la mise en place du service public, renvoie premièrement à la question des besoins de garde des familles. Elle interroge donc d’abord la question des droits. L’inscription des actions éducatives dans le local laisse pourtant entrevoir, comme nous l’avons vu plus haut, une influence, plus ou moins grande suivant les territoires, des enjeux électoraux sur la manière de penser et d’envisager la complémentarité éducative avec les familles. Pour certaines collectivités, périurbaines notamment, la question du service aux familles est non seulement un enjeu d’attractivité important mais parfois aussi un enjeu électoral fort, comme le montre cet extrait :

« C'est hyper important d'avoir du lien avec les parents des enfants de l'école. Si vous êtes jamais présents sur ce créneau-là, politiquement , c'est des électeurs... voilà... vous laissez la place à toute... à ce qu’il se dise tout et n'importe quoi, alors que si vous êtes présent, que vous êtes au contact, que vous communiquez, que vous leur donnez des moyens et une certaine forme de satisfaction dans leur vie quotidienne, par des facilités d'encadrement de leurs enfants, c'est des électeurs en puissance (…) On est une commune plutôt riche donc voilà, y’a des moyens qui peuvent être alloués, on attend pas forcément l'aide... de quiconque pour lancer les choses, et on avait et le personnel, des infrastructures, et les moyens, quand vous avez déjà ça, c'est moins compliqué de se lancer dans des projets quoi.. voilà... donc pour nous c'était pas, ça n’a pas été compliqué franchement, ça a même été très simple. A partir du moment où on avait l'adhésion des familles, même aller en bataille contre les enseignants c'était pas un problème… » (Coordonnateur PEDT, périurbain).

Les logiques de services peuvent parfois se manifester par des propositions éducatives très actives et attractives renforçant les logiques concurrentielles entre villes mais aussi sans doute entre établissements de villes différentes. La recherche de continuité éducative peut justifier des propositions éducatives qui se situent dans le prolongement de certains modèles familiaux ou des aspirations familiales. Un exemple à ce titre concerne une collectivité qui a fait le choix de penser les activités périscolaires inscrites dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires, dans une complémentarité, dirait-on rapidement, de « forme » (pour reprendre la notion de forme scolaire développée par Guy Vincent, 199019) sous l’angle de ce que certains

chercheurs ont appelé la « pédagogisation des rapports sociaux » (Bernstein, 2007) ou l’« extension de la forme scolaire » (Thin, 1994) : ces activités, si elles se pensent comme ne devant pas « être de l’école après l’école » , ne sont pas moins définies comme du loisir non-formel, et renvoient à une pédagogie que

selon différentes inflexions : redéfinition et renforcement des droits parentaux, accentuation des responsabilités éducatives, déploiement des formes de soutien à la parentalité ». Michèle Becquemin. Institutions de protection de l’enfance et dispositifs de

parentalité. Etapes et conditions d’un réagencement normatif in Becquemin et Montandon (dir). Les institutions à l’épreuve des

dispositifs, les recompositions de l’éducation et de l’intervention sociale. Presses universitaires de Rennes, 2014.

19 Guy Vincent (dir). L’éducation prisonnière de la forme scolaire ? Scolarisation et socialisation dans les sociétés industrielles. Presses universitaires de Lyon, 1994.

Rapport scientifique Observatoire PoLoc 105 Bernstein nomme pédagogie visible20 : règlementation identique à celle de l’institution scolaire, un

pédagogue identifiable par une tenue spécifique et une attitude directive, idée de progression dans les activités proposées et de la répétition, etc. Il s’agit donc là d’une continuité éducative autant pensée dans son intentionnalité de satisfaire les besoins de garde des familles que de rendre compte des aspirations pédagogiques des familles, de favoriser des temps « productifs », ayant par ailleurs une plus-value scolaire.

La logique de services aux familles s’inscrit de manière différenciée sur les territoires et dessine différentes formes de coopération avec les familles et différentes finalités associées à la participation des parents dans la construction des politiques éducatives locales. Si dans l’exemple précédent, les acteurs municipaux valorisent la proximité d’alliance avec les familles, d’autres discours, moins empreints de cette logique de services, renvoient à une tension récurrente entre une volonté mobilisatrice, visant la responsabilisation des familles, la capacitation individuelle, et une approche déficitariste intégrant la complémentarité dans une logique compensatoire (la complémentarité, perçue comme une recherche de complément de ce qui manque).

Enquêtrice : « Donc la co-éducation, c'est une nécessité, pour répondre à ces enjeux-là ? » [enjeux de

société qui ont été développés précédemment]

Elue : « Elle est aujourd'hui, elle ne devrait pas l'être ! Ça devrait, chacun devrait connaître son rôle, de parent, d'enseignant, la ville de X, on est rentré aujourd'hui. Par moment j'ai l'impression qu'on va inventer le fil à couper le beurre je vous le dis franchement, parce que, on en est voilà... mais voilà si chacun retrouve le rôle qui est le sien... bon... sauf que... on n'en est pas là, parce qu'encore une fois il y a une vraie inégalité au départ. Si les parents, qui ne parlent pas la langue, qui n'ont pas de travail, qui ne sont pas intégrés, quand ils mettent leurs enfants à l'école, il y a déjà cette inégalité-là, et il y a donc déjà cette faiblesse du parent... (silence) dans l'accompagnement de son enfant, donc voilà. » (Elue d’une agglomération)

Dans les entretiens réalisés, la complémentarité vis-à-vis de la socialisation familiale a du mal à s’extraire d’une logique de remise en cause des modèles familiaux, qui sont le plus souvent rattachés aux transformations sociétales où est pointé du doigt le modèle de consommation et l’invasion du numérique dans les foyers. Lorsque la complémentarité pose plus foncièrement la question des rythmes, influencée par le contexte de la loi de refondation de l’école, elle s’inscrit souvent dans une critique des choix familiaux, concernant notamment les horaires de couchers ou la recherche d’activisme ainsi que des modes de vie modernes et ses incidences sur le rythme social des enfants et la place de l’autorité familiale. A ce titre, l’approche interventionniste auprès des familles met également en jeu les contradictions et les tensions entre une approche transformatrice (empowerment) et une ambition régulatrice (des comportements, des modèles de socialisation, des incivilités).

« Dans le cadre des droits de l'enfant on a une rencontre des professionnels et associations qui nous permet, chaque année, de passer une journée sur un thème défini par les élus, et cette année notamment,

20 Basil Bernstein. Pédagogie, contrôle symbolique et identité, théorie, recherche, critique. PUL, 2007 et également D. Frandji & P. Vitale (dir.). Actualité de Basil Bernstein. Savoir, pédagogie et société. Presses universitaires de Rennes, 2008.

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c'est sur les droits et devoirs, mais pas seulement des enfants, aussi des parents. Parce qu'en fait on se rend compte aussi, ce sur quoi, ce qui nous pose pas mal de problèmes mais c'est pas spécifique à la ville (…) parfois des difficultés de comportement des parents. (Élue, ville moyenne).

Dans cette tension récurrente entre « approche mobilisatrice » et « approche déficitariste », les acteurs justifient l’importance de la concordance des discours autour de l’enfant, dans l’idée que seule une cohérence de discours et de normes serait éducative. Parfois même, à travers cette recherche de complémentarité, se laisse entendre comme une véritable concurrence entre des valeurs éducatives prônées par les acteurs éducatifs associatifs ou institutionnels et certains modèles familiaux, qui justifient parfois de manière contradictoire, la volonté de partager un « langage commun » et des « valeurs communes ».

« Ça veut dire que cet enfant, l’éducation qu’il va recevoir, pour que fasse son chemin dans son cerveau il faut qu’il y ait une cohérence dans toutes ces… ces interventions… s’il a un message à la maison, qui est différent de celui de l’école et qu’il en entend encore un troisième au centre de loisirs ou dans l’association qu’il fréquente, ce sera difficile pour lui, de faire la part des choses et se donner une ligne directive. (…) Cette politique éducative générale serait de faire en sorte que les enseignants, les animateurs, parlent le même langage (…) et aussi les parents, c’est là où y’a la difficulté un petit peu à mon avis… d’arriver à toucher les parents. Parce que le message le plus important que reçoit un gamin, le plus important c’est celui des parents. (…) Je vous donne un exemple, moi je suis enseignant, et votre fiston qui est âgé de 8 ans il est dans ma classe, et je vais lui expliquer l’évolution de l’homme, le grand singe qui est devenu ensuite l’homme de Cro-Magnon tel qu’il est aujourd’hui. Je vais lui expliquez cette évolution, comme ça, et vous à la maison vous allez lui dire c’est Dieu qui a créé Adam et Eve, le gamin il sait plus où il en est, il va se dire alors attends, c’est maman qui a raison ou c’est le maître ? C’est pas évident, déjà c’est un exemple. A l’école nous on enseigne des connaissances scientifiques, des choses prouvées, avérées, universelles, qui font l’unanimité et en centre de loisirs c’est pareil, disons que ça peut pas être contredit ». (Président d’une association, milieu rural)

Face aux observations faites dans le cadre de notre enquête, nous sommes amenés à nous demander dans quelles mesures cette cohérence prônée autour de la recherche d’un « langage commun », visant la coéducation, ne (re)produit pas les effets de domination cognitive et culturelle (voire morale) dans le cadre des formes et composantes de la situation pédagogique valorisée. Dans quelles mesures est-elle autre chose qu’une mise en ordre de la société civile (D. Lapostolle, 2009) qui serait pensée sous l’angle d’une régulation des modèles de socialisation, capable de penser, dans la confrontation des regards, les modalités du renouvellement (Hannah Arendt21) du commun ? Comment peut-elle être un moyen de créer une nouvelle alliance avec les familles populaires, dans une visée de démocratisation éducative et scolaire ? Pour justifier cette recherche de cohérence, les acteurs interrogés font souvent appel à la notion de « valeurs » à partager. Outre que cette notion de valeurs est ambigüe, voie opaque, il serait important de se demander dans quelles mesures la recherche de cohérence éducative n’est pas que le révélateur de concurrences de valeurs mais le moyen de penser de nouvelles modalités de construction du bien commun. Par ailleurs, la cohérence ne pourrait se réduire à une pensée de l’unicité des règles et des normes mais pourrait être l’occasion d’interroger la relation entre valeurs collectives et valeurs individuelles dans la

21 La notion de renouvellement chez Arendt, n’implique pas seulement le maintien d’un ordre social mais bien plus la possibilité d’envisager des possibles non réalisés.

Rapport scientifique Observatoire PoLoc 107 construction du commun. A l’heure où l’on demande à l’école de renforcer son rôle de sensibilisation, de

formation aux valeurs collectives, constitutive de notre modèle de société, on peut s’interroger sur les potentiels de ces espaces intermédiaires entre l’école et la famille, à reconnaître et débattre des valeurs individuelles. Il pourrait être important, à ce titre, de pouvoir considérer, au-delà des continuités éducatives nécessaires, des discontinuités positives pour tous, capables de reconsidérer l’acte éducatif dans son potentiel transformateur, permettant à l’enfant de mettre à distance des situations vécues, de découvrir des liens nouveaux, de former de nouveaux cadres de relation.

2.3.

Quelles problématisations des enjeux scolaires dans les justifications de la