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Géographie de l’éducation prioritaire et inégalités économiques entre les communes

RESSOURCES À MOBILISER

3. En guise de conclusion : sélection des « ressources éducatives » et constitution du PEDT comme dispositif cognitif collectif

3.2. Bonnes pratiques, ou circulation horizontale et configuration locale ?

Le second élément de conclusion, que la richesse des données recueillies nous permet d’avancer, ne vise pas tant à tempérer la tonalité critique de ce chapitre, qu’à rappeler une part de ce qui la rend possible, à savoir, justement, l’existence d’autres configurations et pratiques.

Rapport scientifique Observatoire PoLoc 89 Car il est clair que quelques autres villes, où nous avons mené l’enquête, récitent d’autres horizons d’attente, si ce n’est en matière de finalité du projet éducatif, du moins en terme de « participation » et en fait de « fabrique ». Nous pensons à cette ville où l’élu se questionne sur la manière d’engager cette participation sans tomber dans une logique de vitrine, pour faire comme si.. c’était fait. Et au technicien de la même ville qui, il est vrai, se « méfie toujours de ce que l'on entend par concertation », non pas pour l’esquiver, mais pour y réfléchir à deux fois, et qui relate son expérience de l’épisode dite alors « plateau- repas » pour la construction du projet :

« Tous les mardis midi […] chacun devait venir avec des éléments de réponses. Donc c'était assez contraint, c'était rigoureux. Je préparais des ODJ systématiques, des relevés de décisions, des comptes rendus. On a vraiment une traçabilité du « projet », bon qui ne sert plus à grand-chose maintenant, car on n'utilise jamais les expériences vécues. Mais du coup, c'était un projet avec.... enfin, ça fonctionnait, ça tournait. Après, ça ne veut pas dire que ça fonctionnait sur le terrain, on a fait des grosses erreurs qui ne sont pas à reproduire. » (Technicien, commune urbaine, 100 000 h.)

Certes, pour des réunions associant uniquement des « professionnels », la question des parents, demeurant, de son avis même, bien plus complexe.

Le second exemple est extrait de l’interview d’un technicien d’une petite commune urbaine de 7000 h, ne comportant qu’un seul groupe scolaire au recrutement très populaire (l’enseignement privé, qui n’a pas voulu rentrer dans le PEDT, scolarisant sans doute, en grande partie, les autres). Cet entretien est intéressant car il montre comment ce qui s’est ici joué, au gré de la réforme des rythmes, n’est pas qu’un dispositif de concertation visant à faire « consensus », mais la mise en œuvre d’un lieu d’analyse et de résolution des problèmes organisationnels qui n’a pas évacué la question de ses impacts sur les professionnels. Et qui d’ailleurs a conduit à dénouer les conflits professionnels, plutôt qu’à les trancher.

Ici, de fait, les enseignants préféraient libérer « leur » vendredi :

« Après y’avait une réticence par rapport aux changements d'horaires c'est-à-dire que voilà pour les enseignants ils auraient préféré un vendredi aprèm’ complètement dégagé comme ça se fait à…. Nous on a pas voulu le faire parce que, pour deux raisons. La première c'est que… enfin pour les élus ils perdaient un peu le fil de la réforme. C'était de raccourcir la journée de l'enfant sauf que là on ne raccourcissait rien du tout on faisait une demi-journée banalisée et c'est vrai que pour les élus ça les avait un peu gênés et en plus l'allègement de la loi Hamon avait eu lieu bien avant que nous on ait déjà un peu tout calé ici. On s'y était pris plutôt assez tôt quoi. Du coup on a conservé ce système-là. Cette année aussi, il n’est pas exclu que l'année prochaine on trouve une autre formule… parce que le premier constat qu'on fait à la fin d'une année c'est que le temps quinze heures quarante-cinq seize heures quarante-cinq reste trop court pour les animateurs et on a beaucoup d'animateurs qui du coup se sentent un peu frustrés d'arrêter leur activité. Donc heu.. on se demande si on va pas faire comme dans certaines autres communes, où ils gardent lundi jeudi des horaires normaux …et mardi vendredi ils arrêtent à quinze heures et ils font quinze heures seize heures trente de péri… Et je me demande si c'est pas ça la formule qui est la plus intéressante…».

D’autant plus que cela permet aussi de résoudre un autre problème éducatif généré par les questions d’organisation :

« C'est que le fait de finir à quinze heures quarante-cinq euh… y’a pas beaucoup de parents qui viennent chercher leur enfant à quinze heures quarante-cinq parce que la vie professionnelle elle reste telle qu'elle est

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c'est-à-dire que le parent il finit à dix-sept heures. Donc, on a beaucoup d'enfants qui sortent à seize heures quarante-cinq donc à la fin de notre temps d'activité ce qui fait aussi qu'il y a une rupture dans les relations entre les parents et les enseignants. Avant à seize heures trente les parents venaient chercher leurs enfants, ils parlaient à l'enseignant alors que maintenant ils viennent chercher les enfants à seize heures quarante-cinq, mais ils voient l'animateur et ça c'est... nous ça nous gêne. (…) Là y’a un problème parce qu'on a coupé la communication entre le parent et l'enseignant. »

Via une logique de débat, d’échange, et d’analyse, dans l’écoute, et simplement le respect du travail, ou comme le formule la circulaire « dans le respect des compétences de chacun » (circulaire n° 2013-036 du 20 mars 2013), qui a aussi conduit à trouver les moyens de dénouer un autre conflit : l’utilisation de l’espace, dont on a pu clairement observer dans bien d’autres communes, le type de stigmatisation très forte des enseignants qu’il a provoqué :

« La réticence, leur grande peur [aux enseignants] c'était qu'on leur enlève leur classe. Un enseignant à quinze heures quarante-cinq il a besoin de travailler encore une heure dans sa classe. Et là c'est vrai que si... bon nous on a de la chance parce que l'école est assez vaste. On a un gymnase. On a un dojo qui est attaché à l'école donc on a pas eu besoin d'utiliser leurs classes et ça déjà ça a été un soulagement pour eux. Mais ça se comprend, ils y ont toutes leurs données, leurs documents, leurs livres, etc., etc., et puis ils ont besoin de travailler en dehors du temps scolaire, c'est certain un enseignant ça fait pas trente-cinq heures un enseignant ici c'est cinquante heures minimum et je ne parle pas des horaires de la directrice. Donc voilà c'est des gens qui bossent beaucoup donc ils ont besoin de leurs classes quoi. Donc on a réussi à faire en sorte de les garder et déjà ça les a, ça les a soulagés, et je le comprends ».

S’il ne s’agit pas d’un dispositif de concertation ou de participation aux différents sens du terme que nous avons ici tenté d’explorer, cet exemple nous montre de fait la possibilité, et, on pourrait le penser, la nécessité, de voir le PEDT se constituer comme un dispositif cognitif collectif24. C’est-à-dire un lieu qui

mette en jeu l’analyse de la situation, qui révise, en les soumettant non seulement au débat, mais aussi au questionnement, les différentes attentes, analyses, perceptions et pratiques que se partagent les acteurs appelés à travailler ensemble. Il est tout à fait possible que ce type de travail s’opère ailleurs. Mais il est vrai que dans notre corpus d’entretiens, ceci n’apparaît qu’en creux du récit des différentes techniques de concertation-participation qui aujourd’hui se doivent d’être mentionnées en tant que telles. Celles-ci sont d’ailleurs mentionnées dans les plaquettes de présentation des PEDT, dans les réponses au questionnaire, dans les étapes du script d’accompagnement et dans les discours des techniciens et des élus, malgré toute la complexité de la tâche ainsi formulée, et malgré surtout la grande diversité de ce qui se réalise ici, comme nous l’avons vu. Il pourrait d’ailleurs paraître paradoxal de voir ici aussi formuler un « accompagnement », plus prescripteur, sous forme de diffusion de bonnes pratiques.

D’autres exemples de ce qui peut se faire en ce domaine apporteraient sans aucun doute des pistes d’action aux acteurs locaux. A condition toutefois de mener de manière plus approfondie l’analyse de ces expériences, y compris via - ce que nous n’avons pas pu faire ici - des méthodologies d’observation qui décryptent le fonctionnement de la parole, les logiques de la production du consensus, le positionnement vis-à-vis des conflits, les logiques de légitimité, les effets d’imposition des langages techniques et

Rapport scientifique Observatoire PoLoc 91 spécialisés, les différentes naturalisations des catégories du discours éducatif et pédagogique, des discours scientifiques et d’expertise qui s’imposent et se reconstituent dans ces échanges. Nous n’avons pas encore pu travailler dans cette direction, ni non plus d’ailleurs sur la question de la participation des « enfants » ou « adolescents », qui pose aussi bien d’autres questions. Mais, l’enjeu ici serait de toute façon de voir ce qu’il s’agit d’améliorer et comment dans le domaine des projets éducatifs territoriaux.

A défaut de ces procédures, le PEDT court le risque d’être standardisé, comme on le voit clairement dans le cadre de ces entretiens, qui, en rapport au registre de l’urgence, se contente de répéter les grandes catégories d’objectifs et d’enjeux qui circulent un peu partout ainsi dans le domaine de la consultance des questions pédagogiques. Et qui de fait peine à ne pas s’en tenir aux grandes catégories de problèmes constitutifs des différents « dispositifs » éducatifs, fragmentés, qu’une certaine conception des PEDT souhaite pourtant dépasser. Mais un autre paradoxe gît ici : il peut tout à fait en aller de même, si ces questions de « participation » se retrouvent prônées comme « technique », minimisant la dimension politique, et la pluralité des attentes et conceptions de l’éducatif que sont susceptibles de mobiliser les acteurs locaux. Ou alors, faut-il se contenter de prôner le renforcement de « l’information » aux parents (des professionnels conçus comme un tout vers les parents) ? Comme le comité de suivi de la réforme des rythmes le recommande dans son rapport de novembre 2015 :

« Dans le cadre du renforcement de la relation avec les parents d’élèves, il est important que les enseignants, les animateurs et les coordonnateurs explicitent les enjeux des différents temps scolaire et périscolaire aux parents » (rapport décembre 2015, op. cit., p. 20).

Démarche importante, mais qui peut être jugée insuffisante par rapport à ce que nous avons pu observer. Mais tout dépend, bien sûr, de l’objectif ici visé, et des finalités des PEDT en particulier. Et qui du même coup, ne serait pas vraiment mis comme enjeux, dans ces procédures. Au risque de voir la « grande mobilisation » produire ou renforcer de nouvelles frontières de in et de out, d’administration et de politique (Bongrand, Gervais et Payre, op. cit., 2012), de « marqué » et de « non marqué »25, de « pensable » et de

« non pensable » c’est-à-dire aussi, dans ce cas, de « profane et de sacré » (Bernstein, op. cit., 2007).

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Chapitre 4 : Les logiques plurielles de la complémentarité éducative

(Sidonie Rancon)

INTRODUCTION

Le développement et la généralisation des Projets Educatifs de Territoires s’inscrivent dans (et inscrivent) un contexte de croissante territorialisation des politiques publiques et rendent compte d’un pouvoir croissant des collectivités locales dans la mise en place des politiques éducatives. Ces projets renvoient également à la valorisation des démarches partenariales dans la construction des politiques publiques, devant permettre une approche davantage locale (plus que localisée) et globale (plus que segmentée) des questions éducatives, en impliquant l’ensemble des acteurs éducatifs des territoires. C’est à ce titre que l’on voit se développer, dans les textes officiels autant que dans les discours des acteurs, les références aux notions de complémentarité éducative, continuité éducative et cohérence éducative, qui, si elles ne recouvrent pas totalement les mêmes idées, n’en contribuent pas moins à structurer les enjeux alloués à ces projets. La circulaire de généralisation des PEDT du 19 décembre 2014 mentionne que ces projets doivent permettre de « faire converger les contributions de chacun des acteurs du territoire au service de la complémentarité et de la continuité entre le temps scolaire et le temps périscolaire, dans l'intérêt de l'enfant ». Ces vocables, qui servent de cadre général à l’application des directives nationales concernant ces PEDT, au-delà de leur pouvoir fédérateur certain, n’épuisent pas pour autant la complexité des enjeux qu’ils recouvrent. Il nous a semblé important d’analyser ce à quoi ces notions font référence pour les acteurs chargés de mettre en place ces politiques éducatives locales pour mieux comprendre les déplacements réalisés dans l’appréhension des questions éducatives au niveau local, avec ces PEDT.

Notre méthodologie de recherche a consisté à interroger des acteurs locaux, les élus, les responsables du secteur éducation, les coordinateurs de projets PEDT1, afin de saisir comment

1 Près de 40 entretiens ont été réalisés dans le cadre de cette enquête, portant pour plus d’un tiers sur des communes rurales (Ariège, Loire, Landes), un tiers sur des villes moyennes (périurbaines et urbaines) et de petites villes périurbaines ainsi que

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s’argumentent, se justifient les actions éducatives entreprises sur les territoires, au nom de la complémentarité éducative. L’analyse n’a pas l’ambition de rendre compte des formes prises par la complémentarité éducative dans ses modalités de réalisation (ce qui pourrait faire l’objet d’une recherche ultérieure), mais plus de questionner cette notion à partir des argumentations des acteurs locaux et des enjeux sociaux, éducatifs, politiques auxquels elles se réfèrent. Que s’agit-t-il de résoudre, par le local (pour les acteurs), par ces politiques éducatives locales ? Que permet de penser cette recherche de continuité-complémentarité éducative ? A quelles conceptions des problèmes scolaires et éducatifs renvoie- t-elle ? Quelles subjectivités s’agit-il de former par cette complémentarité éducative ? Quels sont les besoins éducatifs qui la justifient ? Il sera avant tout question de montrer, que, loin d’être une évidence heuristique, elle recouvre des logiques plurielles, renvoyant à des enjeux sociaux divers. A travers cette analyse, il s’agira, à partir d’une brève description des argumentaires recueillis, de soulever des questionnements qui doivent aider à la compréhension des dynamiques en jeu dans ces projets, à la fois dans la manière dont ils posent les enjeux de démocratie éducative et leurs modalités de réponse.

Questionner la notion de complémentarité éducative pourrait paraître superflu pour un certain nombre d’acteurs pour qui la notion semble faire évidence. L’examen critique de cette notion est délicat, parce que, d’une part, elle semble faire consensus pour l’ensemble des acteurs sans qu’il soit pour autant aisé de pouvoir décrire les formes de cette complémentarité souhaitée, d’autre part parce qu’elle sous-tend, dans le mot même, une valeur positive et généreuse difficilement critiquable à première vue. Il faudra pourtant rappeler l’intérêt de penser l’objet de cette complémentarité éducative afin qu’elle ne serve pas de vecteur argumentatif vide, sous l’angle de ce que Bernard Charlot appelle (quand il parle du partenariat, de l’ouverture de l’école)2 « l’idéologie molle et consensuelle (…) qui propose de transformer des instruments

en réponse de fond aux problèmes que la société traverse et aux contradictions qu’elle affronte ».

1. Des logiques de complémentarité éducative qui s’inscrivent dans des enjeux