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Les trois fragilités du PEDT dans son contexte socio-historique (Daniel Frandji)

4. Le PEDT dans l’univers social : la troisième fragilité

Mais dans cette perspective, il nous faut alors encore nous interroger sur l’inscription de ces PEDT dans l’univers social : saisir non plus tant leurs objectifs et leurs finalités que leurs apports, réels, actuels et aussi possibles ou potentiels en ce domaine, du point de vue des enjeux de justice. Il nous faut encore nous interroger sur ces questions, et trouver les moyens d’accompagner les acteurs souhaitant le faire, car ceux- ci sont peu formulés et relayés, quand ils ne sont pas esquivés et détournés. Et c’est bien ici la troisième et dernière fragilité du PEDT en l’étape de sa généralisation à laquelle nous sommes confrontés. Pour un constat qui, là aussi, procède de nombreux indicateurs.

D’une part, nous constatons que parmi les savoirs qui contribuent à penser l’action éducative, ceux des sciences sociales, et notamment de la sociologie et des sciences de l’éducation qui s’y associent, sont peu mobilisés. Nos étonnements sur la prétention de « résoudre le problème de l’échec scolaire grâce aux apports de la chronobiologie » procèdent déjà de ce constat : que les apports de ceux se revendiquant de ces questions, ou de la médecine, aient à un moment été pertinents pour aider à penser les organisations temporelles, quotidiennes, mensuelles, annuelles, etc., est une chose et ne fait pas de doute. Mais que la tribune ainsi conférée par la réforme des rythmes à des savoirs d’expertise se revendiquant ou se reconnaissant dans ce vocable se poursuive ainsi sur le terrain, en est une autre. En fait, cela rejoint clairement aujourd’hui les divers glissements de « l’excitation provoquée par le pressentiment que le Graal organique des difficultés scolaires est sur le point d’être découvert »19, qui contribue, entre autres

Rapport scientifique Observatoire PoLoc 133 problèmes, au « déclin des métiers de l’enseignement » (Morel, op. cit., 2014, conclusion de l’ouvrage).

Mais le même propos vaut pour les considérations « spontanéistes » de l’enfant (déclinées en mode rural ou urbain) autant que toutes ces autres catégorisations ou caractérisations, psychologisantes des problèmes d’éducation, que nous retrouvons aussi sur le terrain des PEDT (un peu plus en mode urbain ? D. Glasman (op. cit., 2010, p. 18) a déjà de fait relevé le risque de ce psychologisme dans l’analyse des acteurs des PRE), pour ne décliner l’analyse de difficultés scolaires qu’en termes de « comportements » individuels qu’il s’agirait de « soigner », ici encore, ou de réguler.

Enfin, il faut rappeler que parmi tous les objectifs attribués aux PEDT, celui de la lutte contre les inégalités est extrêmement peu mentionné (cf. chap.1, chap.2 et chap.4). Le terme même d’égalité doit être activement recherché ; on lui préfère bien plus souvent celui de différences, de diversité ou de « citoyenneté » (mais une citoyenneté sans égalité ?). Certes, les problématiques qui sont entraînées et débattues dans la fabrique et la mise en œuvre des PEDT renvoient à des enjeux d’inégalités « territoriales ». Quand la question de l’égalité est mentionnée, elle se déploie aussi le plus souvent en termes « d’égalité d’accès » : il s’agit de donner à tous des accès à des activités sportives, culturelles, etc. et de « qualité » pour notamment contrer les inégalités économiques générées par le secteur des loisirs et autres apprentissages privés et du secteur marchand20. Mais la question des inégalités scolaires et en

l’occurrence celle des inégalités d’apprentissage demeure très peu mentionnée (avec des exceptions notables dont, par exemple, dans notre corpus, le discours d’un élu qui en fait une ligne politique et explicite d’action). En fait, elle est surtout très peu opérationnalisée, c’est-à-dire mobilisée, par les acteurs interviewés, non pas simplement comme un objectif ou une « formule », mais comme un problème, sur lequel nous savons déjà un certain nombre de choses - même si pas assez - et qui implique notamment de s’intéresser aux présupposés sociaux engagés dans les contenus des activités scolaires et éducatives, les formes de transmission de ces contenus et savoirs, les prérequis qu’ils inscrivent, les opacités qui sont les leurs, etc. Ni les logiques de segmentation forte entre l’école et l’espace éducatif (« mode rural » ou « référencé à l’école de la troisième République »), ni les assouplissements de frontières procédant des « théories de la compétence » (voir pour cette expression le chapitre 4), en « mode urbain », ne donnent prise à ces questions : il s’agit soit de préserver la « forme scolaire » (sans « faire l’école après l’école »), soit de la renforcer en contribuant à l’étendre21, soit de la faire bouger, mais, gît ici le problème de la recherche compliquée d’une rupture avec le « spontanéisme », le « populisme pédagogique », le « dualisme » et l’apprentissage segmenté.

20 Sur ce point, le faible taux de gratuité totale des activités organisées par les collectivités doit tout de même questionner : seulement 42% des communes utilisent la gratuité y compris partiellement (chap. 1).

21 Daniel Thin avait déjà relevé le paradoxe de ces critiques formulées par des animateurs et travailleurs sociaux au cours des années 90 dont les pratiques et les analyses de la situation semblaient toutefois de plus en plus tramées par la forme scolaire. Il rappelait alors, avec ses co-auteurs de l’ouvrage « L’éducation prisonnière de la forme scolaire » la nécessité de ne pas confondre institution (école) et formes de relations scolaires (la forme scolaire) : « la dominance de la forme scolaire sur la socialisation pouvant s’accompagner d’une mise en cause de l’institution scolaire et de ses agents ». Daniel Thin. « Travail social et travail pédagogique : une mise en cause paradoxale de l’école », in Guy Vincent (dir.), op. cit., 1994.

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Jusqu’à quel point, et comment, sous quelles conditions, cet estompement de la problématique des inégalités peut-il faire bouger la « face d’ombre » de la figure de la méritocratie (la sélectivité sociale, le déficit éducatif qu’elle entraîne), ou au contraire contribue-t-il à la renforcer ? C’est peut-être là l’enjeu principal auquel est confronté le PEDT, le point nodal de ses fragilités, et donc de son devenir

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Annexe : Enquête par questionnaire PEDT juillet-octobre 2015

Introduction

Les questionnaires ont été remplis sur la base du volontariat entre le 10 juillet et le 15 octobre 2015 incluant donc des PEDT 2015/2016. L’enquête comprend des questions fermées à choix multiples et des questions ouvertes.

Trois départements ont fait l’objet d’un envoi officiel par le DASEN ou le centre de gestion à toutes les communes (Isère, Nouveau Rhône et Métropole de Lyon). Ces départements rassemblent toutes les typologies de communes avec une grande diversité politique et il est logique de les retrouver bien représentés. Les autres ont été touchés par quatre réseaux de maires (RFVE, AMGVF, AMRF et AMVBF) qui ont permis d’avoir toutes les catégories de communes y compris un échantillon représentatif de grandes villes avec Paris, Nice, Bordeaux, Lille, Rennes, Brest, Clermont Ferrand, Villeurbanne, Strasbourg, Reims, Montpellier, Montreuil, Dunkerque, Grenoble, Caen, Aix en Provence.

Nous avons aussi voulu de façon systématique observer les spécificités éventuelles des communes ayant des territoires en politique de la ville, éducation prioritaire et avec PRE.

Deux rapports sur les organisations de temps scolaire du CNSRRS et de l’AMF et la CNAF ont été publiés entre temps avec des échantillons plus importants. Nous y ferons référence .

Réponses enregistrées : Il y a eu 364 connexions, 147 vides, 22 doublons, 27 sans contact ou trop incomplets.

Réponses exploitées : 168 réponses, représentant 11 intercommunalités et 157 communes.