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Géographie de l’éducation prioritaire et inégalités économiques entre les communes

RESSOURCES À MOBILISER

2. Participation entre mobilisation et enrôlement (la première faiblesse structurale)

2.1. Les acteurs de la concertation : entre pluralisme et limitation du périmètre de mobilisation

Le premier élément d’analyse porte sur le type d’acteurs invités par les collectivités à participer à l’élaboration du PEDT, qui trace une première ligne de démarcation entre ce que l’on peut appeler les policy outsiders et les policy insiders, en détournant quelque peu cependant ces notions du contexte de l’analyse où elles ont été produites13. Dans cette pléiade d’acteurs, les groupes mobilisés par les communes

sont, de manière générale, assez similaires dans l’ensemble des collectivités. On y retrouve principalement les élus, les équipes pédagogiques, les acteurs associatifs, les parents, ainsi que les services déconcentrés de l’État. Au-delà de ces grandes catégories, il apparaît très vite difficile de délimiter plus finement ce périmètre d’acteurs. Car si ces grandes catégories sont évoquées par les acteurs des communes comme mobilisées ou impliquées à un moment ou à un autre de la démarche de fabrique, les limites restent floues quant à la définition précise de ces groupes : s’agit-il de mobiliser les parents ou les représentants de parents ? Les professeurs de l’équipe pédagogique ou les directeurs d’école ? L’homogénéité de la désignation des acteurs mobilisés démontre en fait une diversité au sein de chaque territoire. Il n’y a pas de mobilisation type, celle-ci, ici comme ailleurs, varie en fonction des territoires.

S’il apparaît difficile de rendre compte d’une limite claire sur les acteurs mobilisés au sein de ces démarches, disons encore de « participation », force est de constater que ces dernières ont permis d’élargir la palette des traditionnels participants à la fabrique des projets éducatifs. Deux éléments majeurs viennent éclairer cette ouverture à des publics pourtant peu mobilisés précédemment. Premièrement, à l’instar de ce que considèrent les « théories pluralistes », il s’agit de penser l’évolution des espaces politiques des villes

13 Nous faisons de fait ici référence à la distinction opérée entre les policy outsiders et les policy insiders, c’est-à-dire « entre les groupes qui participent à la fabrique de l’action publique, pour certains au terme de mobilisations réussies, et ceux qui en sont exclus », mobilisée par C. Dupu et C. Halpern. « Les politiques publiques face à leurs protestataires » in Revue française de

science politique, 4, 2009, vol.59, p.701-722. Nous reprenons cette notion tout en considérant ses limites qui « attribue a priori des

rôles aux acteurs des politiques publiques et à leurs protestataires. Les phénomènes empiriques observés font au contraire état d’un brouillage des frontières, de l’émergence de nouveaux acteurs, montrant ainsi les limites de cette distinction. De plus, la notion vise ce qui est ainsi indiqué comme des « protestataires», dans des logiques militantes précises, qui n’ont pas leur équivalent dans le domaine éducatif.

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dans lesquels les systèmes d’acteurs seraient désormais plus fragmentés, avec un ensemble de petits groupes sociaux, plus ou moins organisés, autonomes et interdépendants14. Cette reconfiguration touche les acteurs eux-mêmes, mais également les ressources disponibles dans l’espace urbain : celles-ci ne se trouvent plus uniquement aux mains de quelques acteurs, mais sont davantage dispersées entre différentes strates d’acteurs, à la fois publics et privés. Ces situations pluralistes, qui entraînent de fait un haut degré d’incertitude dans la conduite des projets (Pinson, op. cit., 2009, p. 312), obligent à mobiliser les acteurs tout comme les ressources dont ils disposent, nécessaires au processus de production du PEDT. Le PEDT oblige à reconfigurer le partage du travail éducatif, et à (ré)organiser le travail de chacun :

« Je vous le dis, nous avant on faisait de la garderie, on avait des animateurs, ce n'était même des animateurs, qui gardaient les gamins jusqu'à 19h le soir. Bon voilà. Là on a demandé à faire des activités périscolaires, avec une vocation éducative, une ouverture d'esprit, etc. Nécessairement, c'est quelque chose que l'on ne savait pas faire non plus. En tant que collectivité, on n’avait pas les moyens, notamment humains, pour faire ça. Donc si on veut être à la hauteur de ce que l'on a voulu nous imposer, c'était quelque chose de complètement neuf. Ce n'est pas dans nos compétences. Et quand on parle de PEDT, quand on parle de projet éducatif sur un territoire, ça signifie qu'il y ait des ponts, des passerelles, en tout cas c'est comme ça que je le comprends, entre les acteurs du périscolaire. C'est pareil, c'est nouveau. Je parle pour moi. Dans notre commune c'est nouveau de parler... D'actions, etc. En commun scolaire et périscolaire » (élu, commune de 8000 h. périurbaine)

Deuxièmement, ce nouveau cadre réglementaire des PEDT apparaît à la fois comme impulsant de l’ouverture à d’autres partenaires pour les collectivités, mais également comme un allié pour celles-ci afin d’élargir le cercle du projet à des acteurs a priori réticents, voire opposés :

« Élu : Ce qui a été finalement rajouté dans notre premier projet, c'est la dimension partenariat éducatif avec l'EN et les parents d'élèves, pour le coup, et pas que parents familles. (…). Quand on a parlé de PEDT, c'était de dire dans notre projet éducatif local, finalement il manquait quoi comme aspects ? (…)

Autre élu : oui coéducation, pour pas mal de partenaires, il fallait associer tout le monde Question : c'était nouveau ?

Élu : oui sur ce territoire.

Technicien de service : oui, car on ne gère pas du tout le périscolaire. Jusque-là on n’était pas du tout, à travers ce projet éducatif de base, en lien avec l'école. Car on ne gère pas, on n'a pas de compétences périscolaires. (…)

Élu : ce qui n'a pas été de soi pour certains partenaires, mais qui a été intéressant. Je crois que l'on y arrive petit à petit. Ça ne se décrète pas la coéducation, ça se travaille.

Question : quand vous dites que pour certains partenaires c'était compliqué, il s'agit de quels partenaires et pour quelles raisons ?

Élu : je crois que c'est surtout avec l'EN et le périscolaire. Sur ce territoire, ce n'était pas du tout une évidence. Il a fallu construire petit à petit, avec des retours. » (Élus et technicien de service communauté de commune de 5000 habitants en secteur rural).

« Le PEDT c'était plus on se saisit de cet objet, qui en plus nous permettait de mettre l'éducation autour de la table, ce qui n'était pas forcément le cas avant sur les PEL. Une ville pouvait faire un PEL mais l'EN était pas forcément signataire. Là, le PEDT ils n'ont pas le choix [rires]. C'était vraiment l'occasion ». (Technicien service commune de plus de 100 000 h., dans métropole urbaine)

Si l’enrôlement d’acteurs habituellement exclus de la construction du projet apparaît comme indéniable, il s’agit néanmoins de pointer les limites de cette ouverture : à qui s’adresse-t-elle et selon quels objectifs ?

Rapport scientifique Observatoire PoLoc 79 Car certains groupes d’acteurs restent associés de manière marginale. Du côté professionnel, c’est le cas notamment des animateurs périscolaires, parfois des directeurs ALSH, qui, dans les entretiens, soit ne sont pas cités, soit sont davantage officiellement associés au suivi qu’à la production du contenu du PEDT15,

paradoxalement cependant lorsque ce sont eux qui, in fine, mettent en œuvre, et plus encore pensent et réalisent ces contenus dans les divers temps éducatifs (les contenus édictés par la collectivité se réduisant de fait souvent à des « axes » assez abstraits ou uniquement des « domaines d’activité » - comme nous le voyons dans les réponses du questionnaire dans le chapitre 1-). D’autre part, les interlocuteurs des communes soulignent à de nombreuses reprises les difficultés de mobilisation du corps enseignant, pour des raisons organisationnelles (manque de temps) ou d’hostilité (supposée ou réelle) envers la réforme. Cette difficulté avec ce groupe d’acteurs spécifique souligne également la question du rapport au conflit au sein des démarches de concertation. Dans certains cas la difficulté à « inclure » des acteurs renvoie à la difficulté constituée par la présence d’intérêts divergents. Cela peut conduire à leur éviction ou du moins, comme ici, à un contournement de la mobilisation plutôt qu’au traitement du conflit :

Question : « j'avais ensuite une série de questions pour évoquer le PEDT en lui-même, sur la phase d'élaboration, de concertation. Comment cela a fonctionné, avec qui l'avez-vous fait ?

Réponse : on a dû faire quatre réunions en plénières, avec tous les... on va dire les participants à la communauté éducative comme on appelle. Donc enseignants, parents d'élèves, l'inspecteur EN, le médecin, les élus. Ce sont des réunions plénières où on discutait des orientations que la mairie voulait mettre en place. Alors au début ça a été chaud parce que tout le monde, enfin surtout la communauté éducative enseignante voulait sortir le plus tôt possible de l'école, à 15h45. Nous, on était un peu contre parce que d'abord on fait un temps jusqu'à 18h30, vous imaginez le temps après la classe pour ceux qui restaient. C'était compliqué. Donc on a eu au moins 4 réunions et entre-temps on a eu des réunions plus spécifiques avec les directeurs d'écoles.

Question : c'était à part ces réunions ?

Réponse : oui c'était un peu à part. Et puis le service scolaire voulait que je reste un peu en dehors parce qu'à certains moments c'était un peu difficile. C'était le service scolaire qui allait dans les écoles, voir les directeurs d'école dans les écoles pour expliquer notre démarche. Moi j'étais un peu protégée » (Élu commune de 8 000 h. périphérie de métropole urbaine).

Et autant dire que ce problème apparaît plus vif peut être encore, en rapport aux « parents » ou autres « citoyens ». Ici, dans les entretiens des élus et des techniciens, les registres de classification ou de catégorisation sont à considérer, que ces classifications distinguent ces acteurs sur une échelle de coopération, ou sur des logiques de qualification-disqualification de leurs compétences sociales, culturelles, langagières, voire citoyennes. De fait, les parents « démissionnaires »16 sont toujours présents dans l’espace discursif, critique ou dénonciation à laquelle s’ajoute aussi celle des « parents consommateurs » et individualistes :

« Eh bien vous savez les parents, enfin c’est comme ça chez nous, mais je suppose qu’ailleurs c’est pareil. Ben vous avez une mobilisation des parents qui est très très faible. Très très faible. Très très faible. Malgré heu… justement la conscience qu’ont les utilisateurs et donc les parents d’une qualité qui existe au sein de notre structure, etc., mais ensuite quand vous demandez une mobilisation pour s’investir dans les conseils

15 On retrouve les mêmes analyses dans l’enquête par questionnaire. Voir dans le chapitre 1 la partie sur les acteurs mobilisés. 16 Pour la prégnance et les déclinaisons de ces catégorisations, voir Pierre Périer. École et familles populaires. Sociologie d’un différend. PUR, 2005.

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d’administration, dans un bureau, etc., c’est relativement compliqué. On consomme, on est des consommateurs » (élu, communauté de commune, 10 000 h., secteur rural)

Et ce même si, dans le même territoire, comme ailleurs en milieu rural, comme dans des communes ou des parties de communes plus massivement composées de classes moyennes ou supérieures, c’est la logique d’une prestation de services (et le souci pour leur « qualité ») qui est argumentée pour le projet éducatif, et le souci du peuplement (du non-dépeuplement), qui peut certes aussi (nous le verrons dans le chapitre suivant) s’argumenter en terme de développement local. On s’adresse alors à des « usagers » :

« On est un territoire qui est en forte croissance démographique, une des plus fortes du département, donc ça veut dire que derrière il faut être capable de mettre en place des services qui répondent à l’attente des…. heu… des usagers notamment des jeunes couples. On a développé une activité économique importante donc qui crée derrière des besoins et ces besoins, il faut être capable de répondre. Et toutes les politiques de la petite enfance et de l’enfance ont pour volonté de répondre à cette demande qui arrive du milieu économique hein. (…) Moi j’ai été sensibilisé dès le départ à ce phénomène dans la mesure où, dans le milieu rural, si vous n’avez pas la possibilité d’offrir ce type de services… Ben les gens ne restent pas ou les gens ne viennent pas, donc ils vont dans des milieux plus urbains ou périurbains.

Et on a toujours été très vigilants sur la qualité donc… la qualité de services en place, la qualification des personnels aussi… et essayer d’avoir une offre de… et quantitativement et qualitativement de qualité…» Les savoirs c’est l’instituteur ou le professeur (…). On n’élève pas des enfants encore une fois comme on va… au supermarché quoi. Ils ne doivent pas toujours tout demander aux élus par la mise en place de services de qualité d’autant plus quand derrière il y a un désengagement heu de plus en plus important… de la famille en général. » (élu, communauté de commune, 10 000 h., secteur rural).

De toute façon, la mobilisation de certains acteurs, si elle est réelle, reste encore à interroger dans sa forme : tous les acteurs ne sont pas mobilisés pour les mêmes raisons ni pour les mêmes ressources : certains, tels que les parents, les enfants ou les enseignants sont donc surtout impliqués et interpelés dans un rôle d’usager et/ou de bénéficiaire du projet. Leur mobilisation prend alors principalement la forme, classique, d’opérations d’information. Elle peut être aussi celle d’une demande « d’avis », effectuée en amont du projet, ou au cours de la « fabrique » pour les choix de mise en œuvre, ou encore en aval, la parole de ces derniers étant alors parfois seulement convoquée comme réponse à un questionnaire, dans le cadre d’une procédure d’évaluation :

« On a déjà fini plusieurs évaluations, auprès des enfants, des familles, des enseignants, sous différentes formes. On a essayé plein de choses ». (Coordinateur Communauté de commune de 5000 h. environ, secteur rural).

« Parce que maintenant on se l'est dit, entre nous, mais qu'est-ce qui est ressenti par tout un chacun ? On a travaillé en comité de pilotage sur une enquête parents, une enseignante et une enfant aussi, que l'on va mettre en place au début de cette année scolaire-là. On a travaillé sur les trois enquêtes. Les enquêtes parents et enseignants ont été diffusées, les résultats ont été rendus dans le comité de pilotage, pour avoir une évaluation un peu plus globale que ce que l'on avait abordé entre nous en novembre de l'année dernière avec les représentants des parents d'élèves, le centre extrascolaire, la mairie, etc. Ce que l'on voulait voir si il y avait urgence, si on s'est planté, si on fait mal, qu’est-ce que l'on peut améliorer » (Coordinateur commune d’environ 5 000 h., secteur périurbain).

Il ne semble donc pas si aisé de définir les acteurs mobilisés au sein de ces espaces de concertation. Mais au-delà des frontières toujours plus floues entre policy outsiders et policy insiders et de l’indéniable ouverture du processus d’élaboration du PEDT à de nouveaux acteurs, il s’agit ici d’interroger, tout comme

Rapport scientifique Observatoire PoLoc 81 les critiques portées aux théories pluralistes, les reconfigurations en cours : quel est le degré d’ouverture de ces mobilisations ? À quel type d’acteurs cela profite-t-il ? Selon quel rôle ? Nous reprenons ici la thèse de Gilles Pinson pour pointer le risque de la création d’espaces certes pluralistes, mais « segmentés »17 autour

de certains acteurs, sélectionnés et légitimés par la collectivité.