• Aucun résultat trouvé

PREMIÈRE PARTIE Les pulsations

L’œuvre de Bachelard présente une image manifestement duelle, en raison de son découpage thématique et disciplinaire. Si l’on en croit les déclarations de Bachelard et certains témoignages, celui-ci aurait longtemps vécu la dualité de sa carrière comme une faille ou une césure, au point de l’énoncer dans les termes d’une « double vie » qui nous rappelle dans une certaine mesure les malheurs de la conscience déchirée, plus que l’unité paisible d’une pensée harmonieuse, en accord avec elle-même. C’est le sens de la thématique de la « bonne conscience » du travail alterné des images et des concepts, que nous avons mis en exergue de ce premier chapitre, et dont Bachelard répète qu’elle est péniblement acquise, surtout jamais pleinement garantie. On a même pu aller jusqu’à affirmer, sur cette question, que « jusqu’au bout Bachelard a connu et pâti la faille en soi-même »1, sans pour autant avoir cherché à surmonter ses propres contradictions, ni à

totaliser ses recherches par le biais d’un discours systématique. Et comme l’a rappelé Vincent Bontems dans son Bachelard, on ne doit pas négliger le fait que « beaucoup d’hypothèse ont été émises »2 sur la question des relations entre les deux domaines de l’œuvre. En approfondissant la question par une analyse attentive de la littérature bachelardienne, on s’aperçoit que l’exigence de trancher le débat entre dualisme et unité de l’œuvre est admise d’emblée comme une prémisse normative, dans l’espace ouvert par l’opposition des deux grandes options de l’alternative : soit surdéterminer les disjonctions, les antagonismes et les exclusions du scientifique et du poétique (dualité) ; soit rechercher les liens et les passerelles qui assurent la communication du scientifique et du poétique (unité). On a parfois l’impression, chez certains commentateurs, qu’il est question de veiller au maintien d’une orthodoxie, d’une idéologie, ou à la pureté d’une doctrine établie. Cependant, on peut se demander si la finalité de l’herméneutique du bachelardisme est vraiment de poser la question en ces termes, comme s’il fallait réduire une option à l’autre comme à son principe, et comme si la dualité de l’œuvre devait conduire à rabattre le problème de l’interprétation d’ensemble du bachelardisme sur les relations exclusives de l’épistémologie et de la poétique. Ne gagnerait-on pas à reprendre l’enquête à nouveaux frais, en se demandant non seulement de quoi il est véritablement question, mais aussi ce qui fait vraiment problème ?

1 C. Ramnoux, « Bachelard à sa table d’écriture », Revue internationale de Philosophie, n°150, 1984, p. 220.

2

On peut identifier deux manières d’escamoter le problème du dualisme et de court-circuiter le questionnement, en le disqualifiant a priori comme inutile.

1) Un premier écueil consiste à évacuer purement et simplement le problème. Il s’agit de penser que le découpage de l’œuvre en épistémologie des sciences physiques et en critique des œuvres poétiques, ainsi que les commentaires de Bachelard sur son travail, suffisent à donner une image satisfaisante de la pensée bachelardienne, au point qu’il ne serait surnuméraire de chercher une cohérence d’ensemble de l’œuvre. S’il est incontestable que le découpage thématique du bachelardisme est un point de départ incontournable de l’analyse des textes, et que l’appel au « sens caché » de l’œuvre poserait plus de problèmes qu’il n’en résoudrait, il n’en demeure pas moins que ces deux considérations ne suffisent pas, selon nous, à liquider le problème de la nature et du sens du dualisme bachelardien. Deux arguments simples peuvent ici être avancés, à savoir (a) que l’œuvre n’est pas épuisées par le découpage doublement thématique, étant donné que les textes sur le temps ne sont ni épistémologiques ni esthétiques, et (b) que les déclarations de Bachelard ne sont pas toujours convergentes sur cette question, mais parfois presque contradictoires.

2) Un autre biais dans la position du problème de la nature de l’œuvre consisterait à réduire celui à des micro-problèmes, c’est-à-dire à des analyses détaillées, mais dispersées, sans ordre ni coordination. Il s’agit de penser, sur la base d’un principe d’économie, qu’il n’est pas nécessaire de poser la question générale de la nature de l’œuvre bachelardienne. Il suffirait, pour l’étudier convenablement, de se concentrer sur des questions précises et des problèmes spécifiés. On devrait s’attacher à travailler sur des aspects particuliers de l’œuvre, sans présumer de son unité ou se soucier de sa cohérence d’ensemble. Bien qu’une telle position ait l’avantage d’éviter les généralisations hâtives et intempérantes, souvent simplificatrices, elle se fonde sur l’idée spécieuse selon laquelle on peut étudier une œuvre

partes extra partes, en se passant de considérations sur l’ensemble qu’elle constitue. Sans

céder ici à une analogie organiciste qui serait pour le moins douteuse, on peut considérer toutefois qu’il ne va pas de soi qu’une telle élimination du sens global soit réellement possible, ni pertinente. Et on peut raisonnablement douter qu’un commentateur de l’œuvre bachelardienne, quand il se propose d’étudier certains ouvrages ou certains problèmes indépendamment des autres (épistémologie ou poétique), puisse réellement ne pas postuler, à titre d’idée régulatrice ou de principe de charité interprétative, une certaine cohérence de de travail philosophique en question, ou ne pas se faire une certaine idée à propos de cette cohérence d’ensemble. Or, si tel est le cas, il semble préférable d’expliciter au préalable le référentiel à partir duquel on construit une interprétation de l’œuvre.

Nous soutenons ainsi, en guise de première hypothèse directrice, que l’alternative de la dualité et de l’unité de l’œuvre de Bachelard est un problème mal posé. En sorte que nous souscrivons, tout en nous démarquant de son interprétation dans le détail des analyses, à l’orientation générale du livre d’Edmundo Morim de Carvalho sur Bachelard, intitulé

Poésie et science chez Bachelard. Liens et ruptures épistémologiques1. L’idée directrice de l’auteur dans cet ouvrage novateur, est que la « dualité irréconciliable » affirmée par Bachelard de façon récurrente, et quasi dogmatique, est en fait relativisée par ce qu’il développe lui-même dans les analyses qu’il consacre à la construction du savoir scientifique et au développement de la rêverie poétique, ainsi qu’à leur relation. Comme le souligne en effet l’auteur, pour préciser le sens de son travail :

Notre propos va être d’étudier la stratégie qui se noue autour des préceptes fondant leur séparation absolue, sans ignorer que ces deux voies demeurent effectivement séparées. Il revient, en somme, à postuler que Bachelard n’est pas fidèle au partage radical qui disjoint l’image et le concept et qu’il transgresse les normes qu’il s’est lui-même accordées2.

Dans cette perspective, Carvalho soutient que la thèse de la coupure absolue entre les deux versants de l’œuvre est la « fiction théorique majeure » du bachelardisme, dans la mesure où malgré les différences qui disjoignent effectivement science et poésie, on peut identifier des « rapprochements effectifs » ou des « passerelles » entre les deux domaines. L’auteur montre ainsi de façon convaincante, en s’appuyant sur des analyses textuelles détaillées, que la coupure ne passe pas toujours là où on pourrait le croire, de même que des correspondances et des liens se tissent entre des aspects apparemment indépendants l’un de l’autre. En sorte qu’il n’y aurait pas à choisir de façon exclusive, encore moins a priori, entre unité ou dualité de l’œuvre et dans l’œuvre, mais plutôt à suivre la pluralité effective des développements bachelardiens, en étant attentif au détail des analyses, au contexte des affirmations, aux questions traitées, aux orientations effectives de la recherche poursuivie, de même qu’aux hésitations, aux incohérences, et parfois aux inconséquences dont Bachelard peut faire preuve. Cela étant établi, il ne semble plus légitime de rabattre la dualité de l’œuvre sur une opposition posée comme principielle et indiscutable, celle de la science et de la poésie, que l’on pourrait ensuite transposer mécaniquement sur une série

1 E. M. de Carvalho, Poésie et science chez Bachelard. Liens et ruptures épistémologiques, Paris, L’Harmattan, coll. « Commentaires philosophiques », 2010.

2

d’oppositions secondaires considérées comme symétriques ou superposables, et censées se renvoyer directement termes à termes : le jour et la nuit, la rationalité et l’imaginaire, l’image et le concept, la raison et l’imagination, l’épistémologie et l’esthétique, le travail et la détente. Une telle réduction est une simplification, qui ne correspond pas au souci de la nuance présent dans les analyses bachelardiennes, mais qui instancie plutôt ce que Bachelard appelle la « rationalisation intempérante », qui désigne une forme d’explication qui au lieu de se préciser au contact de domaines ou d’objets qui impliquent des applications différentiées, simplifie les choses en cherchant un principe explicatif unique, applicable de manière invariable ou universelle1. C’est pourquoi nous plaidons pour un pluralisme cohérent du bachelardisme, nécessitant de porter attention à toutes les nuances d’une pensée qui s’est voulue en mouvement, ouverte à sa propre révision, et par conséquent impossible à résumer dans un tableau systématique figé. Usant de la métaphore, on pourrait dire que la pensée de Bachelard, telle une anguille, échappe à la préhension dès qu’on veut la saisir. Toujours est-il que si Bachelard « avance [et] défriche, plus préoccupé de découvrir que de construire architectoniquement »2, nous essaierons paradoxalement de dresser une carte du territoire du bachelardien et de ses lignes de force, afin de comprendre la cohérence plurielle de cette œuvre, sans minimiser ses difficultés et ses aspérités.

Pour avancer plus avant dans l’analyse et la compréhension du problème du dualisme bachelardien, nous allons maintenant examiner les interprétations du bachelardisme qui ont les premières récusé la « vulgate dualiste », et œuvré en faveur d’une réévaluation de la de la lecture strictement duelle Bachelard. Il s’agit des études inaugurales de Jean Hyppolite, de Georges Canguilhem et de François Dagognet, qui ont été malheureusement occultés par le succès de la lecture d’inspiration althussérienne et « marxisante » de l’épistémologie de Bachelard, qui a émergé et dominé en France à partir des années 19703.

Dans un premier texte consacré en 1954 à l’œuvre de celui qu’il présente comme son maître et ami, dont il soulignera encore dix ans plus tard la dimension d’« énigme », Jean Hyppolite nous invite à considérer la philosophie de Bachelard, selon une formule qui deviendra pour le moins proverbiale, comme un « romantisme de l’intelligence, une théorie transcendantale de l’imagination créatrice »4. Cette courte étude, qu’on peut dire inspirée,

1 Sur la différence entre « rationalité » et « rationalisation » chez Bachelard, on consultera les analyses développées dans le chapitre premier du Matérialisme rationnel. Cf. MR, pp. 42-43.

2

J. Gagey, Gaston Bachelard ou la conversion à l’imaginaire, Éditions Marcel Rivière et Cie, 1969, p. 14.

3 Nous examinons cette réception de Bachelard à travers le prisme du matérialisme historique dans la section 6 de l’annexe disponible en fin de volume (6. Le conflit des interprétations).

4 J. Hyppolite, « Gaston Bachelard ou le romantisme de l’intelligence », in Figures de la pensée

propose une interprétation d’ensemble du bachelardisme, dans le sens d’une « philosophie de la créativité humaine, de la volonté, du logos donneur de sens, dans une double perspective, la perspective de la science et celle de la poésie »1. Et Hyppolyte de souligner d’emblée, ce qui intéresse directement notre enquête sur le dualisme bachelardien :

Ce n’est pas son moindre intérêt que de la voir se développer sur ces deux voies très différentes en apparence. Elles paraissent parfois sortir d’un centre commun ou se rejoindre ici et là, elles paraissent d’autres fois s’opposer radicalement, se servir mutuellement d’antithèse dialectique ; l’une sert à purifier l’autre. On sent bien, pourtant, sans pouvoir encore l’exposer, qu’elles appartiennent à une même philosophie, à un même existentialisme spéculatif et esthétique2.

Si l’on suit l’interprétation proposée, c’est le motif de la créativité foncière de l’esprit humain qui constituerait l’« unité organique » de la pensée bachelardienne, en sorte que la source commune des deux pôles de la vie psychique qui se manifestent dans la science et la poésie résiderait dans leur dépendance à une imagination transcendantale, qui est qualifiée d’autogène, c’est-à-dire non dérivée de l’expérience sensible, mais en relation avec elle. Cette imagination se trouve par ailleurs qualifiée par Hyppolite d’« ontico-ontologique »3, ce qui semble signifier, pour l’auteur, que si l’imagination demeure nécessairement liée à l’existant, à l’étant et à l’expérience, c’est pour les transcender et les dépasser. Il faut comprendre par-là que l’imagination ne peut parvenir à la constitution d’un sens et d’une pensée élaborés qu’en s’arrachant à l’immédiateté d’une existence d’abord opaque, aliénée, en raison de ses déterminations premières et immédiates. Cette lecture spéciale semble subir l’influence d’un prisme hégélien, étant donné qu’il s’agit de mettre l’accent, selon des modalités théoriques et conceptuelles qui rappellent le parcours des figures de la conscience dans La Phénoménologie de l’esprit de Hegel, sur la possibilité pour l’esprit de s’arracher à l’opacité première de l’expérience immédiate, notamment organique et vitale, pour s’élever progressivement vers des formes plus élaborées de la pensée, de la spiritualité, et de la compréhension de soi et du monde. Cela n’est pas surprenant en tant que tel, dans la mesure où Hyppolyte a été, dans le sillage des travaux de Kojève et de Wahl, l’un des plus brillants commentateurs en France de la pensée hégélienne, dans la première moitié du XXe siècle4.

1

Idem, p. 644.

2 Idem, pp. 644-645.

3 Idem, p. 644.

4 En ce qui concerne les études consacrées par Hyppolite à la philosophie hégélienne, on lira notamment : J. Hyppolite, Genèse et structure de la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel, Paris, Aubier-Montaigne, 1946.

Néanmoins, pour séduisante que paraisse cette interprétation du sens global de l’œuvre, dont Hyppolite souligne qu’il faudra attendre qu’elle soit achevée pour en juger définitivement ou être à même de l’évaluer (on est en 1954), signalant au passage son désir que Bachelard intervienne lui-même dans ce débat – il ne semble pas possible de s’en satisfaire. On risquerait en effet d’uniformiser et d’annexer les multiples développements de l’œuvre par un excès d’unité, c’est-à-dire d’homogénéiser les travaux bachelardiens en cédant à une volonté d’unifier à tout prix les deux pôles du scientifique et du poétique, au risque de minorer leurs différences essentielles, et leurs diverses lignes de développement. En somme, on irait trop hâtivement à l’unification, à la conciliation, afin de ne pas morceler la pensée bachelardienne, mais au prix d’une simplification des données du problème, en minimisant les oppositions et les différences, dont il faut pourtant tenir compte, et surtout rendre compte ! Autrement dit, on pêcherait ici par excès d’une « pensée de survol », selon la formule que Merleau-Ponty proposait pour décrire cette forme de pensée générale qui laisse échapper les particularités sensibles du réel et les diverses significations en germe dans l’expérience préréflexive du monde. Hyppolite n’est d’ailleurs pas dupe de sa propre entreprise, ni insensible aux difficultés que soulève cette première tentative d’interprétation. C’est pourquoi, semble-t-il, il reprendra cette question en 1963, neuf ans plus tard, avec une lucidité accrue et en vue de construite une réflexion plus nuancée. En effet, dans le cadre de sa conférence « L’imaginaire et la science chez Gaston Bachelard », il émet un jugement rétrospectif plutôt sévère sur sa première étude, en soulignant alors clairement l’effet de séduction et le risque impliqués par le désir d’unifier les deux pôles du bachelardisme :

J’ai tenté d’unifier les deux pôles de sa pensée, l’axe de la science et celui de la poésie. Je viens de relire l’œuvre avec enchantement, ce que j’ai écrit jadis m’apparaît trop simple, trop systématique. Je découvre à nouveau la grandeur et la richesse inépuisable de cette philosophie qui ne s’est jamais arrêtée dans son progrès, qui ne s’est jamais endormie, même dans ses rêves, sur le mol oreiller de l’habitude. J’ai le sentiment de toute la difficulté qu’il y a à rassembler en un système sa pensée. Tout ne s’arrange pas si facilement et il faut nous en féliciter. L’unité de la pensée du savant et de celle du poète n’est pas une unité scolaire, qu’on découvre dans une idée générale, une fausse abstraction. Il y a sûrement un centre, un point de réconciliation, un foyer vivant où tout converge1.

1 J. Hyppolite, « L’imaginaire et la science chez Gaston Bachelard », in Figures de la pensée philosophique,

Hyppolite suggère par ailleurs, sans pour autant prolonger cette intuition, approfondir, ou étayer cette inspiration qui nous a semblé pourtant d’emblée fulgurante et prometteuse, que c’est sans doute vers les question du temps, de l’instant et de la durée, qu’il faudrait se tourner pour envisager des correspondances, et non une unité, entre la « pensée pure » et la « poésie pure ».

Que retiendrons-nous des lectures et des suggestions d’Hyppolite ? Nous y trouvons un exemple significatif, dans la mesure où nous pouvons en dégager à la fois un appel à la prudence interprétative, et une invitation à l’audace théorique. Prudence, en premier lieu, car le risque majeur de tout commentateur est de succomber à la tentation d’uniformiser indument la pensée bachelardienne, de l’enfermer dans une image globale appauvrissante, peu conforme à sa richesse effective. De ce point de vue, Hyppolite souligne d’ailleurs un aspect fondamental de l’œuvre, qu’on peut avoir tendance à négliger : son évolution, ce qui signifie qu’on on ne peut aborder correctement l’œuvre sans tenir compte des inflexions, des changements d’orientation et de perspectives qui interviennent au fur et à mesure des travaux épistémologiques et poétiques. Audace, finalement, car s’il est peu probable qu’on atteigne la « solution » du problème, qui serait l’unité parfaite de la science et de la poésie, la perspective demeure néanmoins ouverte pour travailler en direction des convergences et des recoupements qui existent entre les deux versants de l’œuvre bachelardienne.

C’est dans une perspective semblable que Georges Canguilhem1 intervient dans le débat, à l’occasion du volume collectif en hommage à Gaston Bachelard, dirigé par ses soins et publié en 1957, et regroupant plusieurs études recueillies parmi ses collègues, ses élèves, ses disciples et ses amis2. Canguilhem inaugure son propos en allant droit au but, en soulignant une difficulté notable : si c’est bien le « même homme » qui a effectivement écrit sur la science et sur la poésie, et si l’on peut, après une lecture attentive de l’œuvre et une réflexion approfondie, identifier une « même démarche » dans les divers travaux de Bachelard, cela n’apparaît pas nécessairement en première approximation. Canguilhem suggère notamment que le lecteur qui aborde les ouvrages de Bachelard sans en connaître préalablement l’auteur, ou sans savoir que c’est le même homme qui a écrit ces livres, pourrait, et même devrait, s’étonner d’apprendre que c’est le même auteur qui parvient à conjuguer l’étude difficile de la connaissance scientifique et une réflexion plus libre sur les rêveries créatrices ou les élans poétiques. On voit pointer ici un argument intéressant, d’une

1 G. Canguilhem, « Sur une épistémologie concordataire », in Hommage à Gaston Bachelard. Études de

philosophie et d’histoire des sciences, Paris : PUF, 1957, pp. 3-12. 2

certaine façon naïf mais utile pour la compréhension du problème, qui est proposé sous forme d’une expérience de pensée mais qui n’a pas toujours été saisi ou apprécié à sa juste mesure par les commentateurs des textes bachelardiens, à savoir que l’unité verbale du nom