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1 C ONTEXTE DE LA RECHERCHE

1.3 Les approches et pratiques en enseignement de la grammaire depuis le

1.3.3 Les pratiques déclarées et effectives d'enseignement de la grammaire

conception consiste à croire qu'un changement de programmes implique un changement de pratiques. Or, en prenant une certain recul historique, on constate que si les prescriptions officielles ont changé, les pratiques d'enseignement déclarées et effectives, elles, semblent être relativement stables.

Pour le Québec, les premières données quant aux approches pédagogiques et aux pratiques d'enseignement traitant de la langue (Patrice, 1978) démontrent que certaines activités grammaticales ont continué à abonder, malgré les prescriptions du programme Cadre (1969), en particulier les dictées et les “exercices à trous”, dérivés de la cacographie et issus des cahiers d’exercices. Par contre, une prise de conscience utilitaire et une véritable transformation des perceptions des finalités grammaticales ont émergé. Cette approche ayant une finalité communicationnelle a entrainé la grammaire dans un modèle fonctionnel, où les savoirs grammaticaux sont enseignés

selon leur fréquence d'utilisation et non selon leur importance pour la compréhension du système de la langue.

Ce modèle fonctionnel sera repris dans le Programme par objectifs (1980). Malgré la liberté quant à l'approche pédagogique à privilégier, une enquête réalisée par Bibeau, Lessard, Paret et Thérien (1987) a démontré que les enseignants ont encore opté pour ce qu’ils connaissaient le mieux, et que des pratiques issues de l'approche déductive, soit l’explication suivie d’exercices, souvent fournis par le biais de cahiers d’exercices grammaticaux, sont demeurées les plus courantes. Ce comportement s’avère compréhensible, compte tenu de la parenté entre le programme par objectifs, issu du paradigme behavioriste et inspiré par la taxonomie de Bloom (1956), et l'approche pédagogique déductive, associée traditionnellement à la même épistémologie. La faiblesse de la formation initiale en didactique du français, qui augmentait la dépendance au regard des ensembles didactiques, invariablement d'approche pédagogique déductive, malgré leur apparence inductive (Boyer, 2005), est un autre facteur qui peut expliquer les comportements (Hasni et Roy, 2006; Spallanzani, Biron, Larose, Lebrun, Lenoir, Masselter et Roy, 2001).

L'étude du groupe Description internationale des enseignements et des performances en matière d'écrits (groupe DIEPE, 1995) visait à comparer les différents aspects des interventions éducatives concernant l'écrit au secondaire, et ce, pour les populations de la Belgique, de la France, du Nouveau-Brunswick et du Québec. La comparaison portait aussi sur la compétence à écrire des élèves des différentes populations.

Une rédaction et des tests de connaissances servaient à mesurer les compétences des différents élèves. Quant aux pratiques effectives, elles ont été rapportées au moyen de questionnaires distribués aux élèves et aux enseignants.

Si aucune question ne portait spécifiquement sur les pratiques d'enseignement de la grammaire inspirées des approches inductive ou déductive, il a

tout de même été demandé aux enseignants quelles pratiques d'enseignement de l'écrit étaient privilégiées. Le Québec se classait premier quant à l'étude de notions et phénomènes grammaticaux et syntaxiques, de même qu'au recours à des exercices formels décontextualisés. D'autre part, le Québec se classait dernier quant à l'étude et l'analyse de textes et à la rédaction de textes, ce qui laisse supposer une approche plus traditionnelle et plus éloignée des pratiques de compétences que celle des autres populations étudiées.

Aussi, il semble, selon l'enquête du groupe DIEPE (1995), que dans le choix des éléments d'écriture à aborder, les enseignants du Québec étaient ceux qui accordaient le plus de place à l'enseignement de la grammaire, de l'orthographe et de la syntaxe. Il n'y a par contre pas d'indicateur quant à l'approche pédagogique privilégiée.

Chartrand (2011), à partir d'une enquête auprès de plus de 800 enseignants, ne mentionne pas la préférence d'approche pédagogique des enseignants, mais constate que 94% d’entre eux déclarent avoir fait faire des exercices de grammaire soit à chaque cours, soit une ou quelques fois par semaine, ce qui en fait la pratique d'enseignement la plus fréquente, devant les situations écrites et les dictées. Malgré cela, plus de la moitié des enseignants disent ne pas faire assez de grammaire. Ces résultats sont assez semblables à ceux de Bibeau et al. (1987) et laissent supposer une certaine stagnation des pratiques. La fréquence à laquelle les enseignants déclarent mener des pratiques d'enseignement en grammaire nous incite d'autant plus à chercher à nous assurer de l'efficience de celles-ci. Or, quelles pratiques, parmi celles à la disposition des enseignants, s’avèrent les plus efficientes?

Lord (2012) analyse les pratiques d'un petit échantillon (n=4) pour conclure qu'habituellement, les leçons de grammaire sont menées selon un « enseignement direct et informationnel de notions ou de règles par assertions plus que par explications et sans que des liens soient tissés entre le contenu présenté et d'autres contenus déjà abordés ou étudiés » (p.236). Les activités qu'elle décrit sont de l'ordre

du rappel de connaissances, du repérage de phénomènes, d'exercices d'automatisation des procédures, de l'information sur un sujet et de la correction d'exercices (dictées, cahier d'exercices, etc.). En d'autres mots, les pratiques observées sont plutôt déductives, où le maitre est un fournisseur de savoirs. Les pratiques issues de l'approche inductive17 sont absentes de son échantillon. Lord (2012) n'a pas la

prétention, à partir de cette recherche exploratoire, de pouvoir généraliser ses résultats à l'ensemble de la population scolaire québécoise, mais rien n'indique que les pratiques qu'elle décrit soient bien différentes de ce qui se fait ailleurs.

En résumé, nous pouvons constater que les difficultés grammaticales sont bien présentes chez les élèves québécois du secondaire, en particulier en ce qui concerne leur utilisation en contexte d'écriture. Quelles pratiques privilégier pour être efficient quant à l'enseignement de savoirs grammaticaux? Si les programmes impliquent un contexte qui favorise l'approche inductive, la tradition scolaire et son approche déductive semble être encore dominante. Dans le cadre de cette thèse, nous chercherons à comparer les effets des deux approches pour l'enseignement d'un objet de savoir, le complément du nom (CN). Nous justifierons ce choix dans la prochaine section.

2 L

E COMPLÉMENT DU NOM COMME OBJET DE SAVOIR

:

JUSTIFICATION Nous nous intéresserons à un objet de savoir bien précis, dans le cadre de cette thèse, soit le complément du nom (CN). Nous ne cherchons pas, pour cette recherche, à privilégier l'enseignement d'un savoir grammatical (dans ce cas le CN) plutôt qu'un autre, selon sa valeur représentative de la grammaire actuelle, ou selon ses retombées plus importantes qu'un autre savoir pour le développement de la compétence scripturale. Nous ne cherchons pas non plus à sélectionner un savoir qui viendrait légitimer une approche pédagogique ou une autre. Notre objectif, comme nous le verrons plus loin, vise à comparer l'efficience de pratiques issues des

17 Qu'elle nomme démarche de découverte.

approches inductive et déductive pour l'enseignement d'un savoir grammatical. En d'autres mots, nous privilégions un objet de savoir qui respecte les conditions de comparaison objective que nous tentons de mettre en place. Elles sont au nombre de cinq: (1) l'objet de savoir choisi doit correspondre à un objet enseigné; (2) il doit impliquer une variété de savoirs; (3) il doit pouvoir être réutilisé en écriture; (4) il doit avoir un intérêt scientifique; (5) il doit être un nouvel apprentissage. Voyons comment le CN répond à ces conditions.