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3 L E PÔLE DE L ’ OBJET DE SAVOIR

3.1 La grammaire

Le mot « grammaire » est polysémique. D'ailleurs, sept sens différents du terme furent dénombrés par Combettes et Lagarde (1982). Les auteurs listent que le terme grammaire peut être considéré comme la propriété de toutes les langues (1), comme une discipline scientifique (2), comme une branche de la linguistique (3), comme les symboles reliés entre eux par un ensemble de règles (4), comme l’art de parler et d’écrire correctement (5), comme une activité scolaire (6) ou comme un produit manufacturé (7).

Par propriété de toutes langues (1), les auteurs désignent « l’organisation interne, la structuration d’une langue, les régularités de combinaisons, l’arrangement systématique des parties. » (Combettes et Lagarde, 1982, p.14) Peu importe la langue, celle-ci a un fonctionnement interne, que le locuteur possède intuitivement, et qui peut être appelé la grammaire d’une langue.

Par discipline scientifique (2) Combettes et Lagarde (1982) entendent une discipline « dont l’objet est l’étude des langues (grammaire comparée), de leur histoire (grammaire historique, philologie) ou de leur structure (grammaire descriptive, grammaire structuraliste). » (p.15) C’est donc le discours visant la description d’une langue qui peut être appelé grammaire. Dans cette définition, « grammaire » est l’équivalent de « linguistique ».

La grammaire peut également être perçue comme une branche de la linguistique (3), qui limite cette notion à la morphosyntaxe, excluant donc toute notion d’orthographe d’usage ou de phonologie.

Dans le cadre de la grammaire générative, le mot grammaire peut représenter « le modèle hypothétique construit par le linguiste sous forme d’un mécanisme fini capable d’engendrer un ensemble infini de phrase » (Combettes et Lagarde, 1982, p.18). La grammaire est alors un ensemble de symboles reliés entre eux par un ensemble ordonné de règles (4). Ce système permet de décrire le fonctionnement de la langue.

La grammaire peut également être définie comme l’art d’écrire et de parler correctement (5). Elle sera alors « une discipline qui a pour objet de définir le maniement correct de la langue » et correspondra à « l’ensemble des règles déterminant le bon usage » (Combettes et Lagarde, 1982, p.19). Cette grammaire s’avère une prescription de règles, et les auteurs concluent que cette définition « correspond à la conception la plus répandue. » (p.19)

La grammaire peut aussi être définie comme une activité scolaire (6), les élèves considérant qu’on peut faire de la grammaire, comme on peut faire de la mathématique, de l’histoire ou de la géographie.

Finalement, la grammaire peut renvoyer à un produit manufacturé et commercialisé (7). Pour parler de l'objet utilisé dans le contexte scolaire, nous utiliserons dans le cadre de cette thèse grammaire de référence, pour éviter la confusion et pour souligner la finalité de l'utilisation de cet ouvrage (Vincent, 2005, Nadeau et Fisher, 2006).

Le terme grammaire sera utilisé dans la présente thèse principalement selon la troisième définition, soit celle qui concerne principalement l'aspect morphosyntaxique de la langue, et excluant ainsi l'orthographe d'usage et donc la morphologie lexicale (Roy et Labelle, 2007) Nous sommes convaincu de

l’importance de la grammaire du texte pour déterminer la compétence d’un scripteur. Seulement, comme l’objet de savoir déterminé, le CN, fait davantage référence à des aspects syntaxiques et morphologiques, nous croyons que cette appellation permettra de circonscrire notre objet à ces dimensions.

Il est possible de croire que la cinquième définition, considérant la grammaire comme une prescription immuable, est celle qui est largement partagée par les élèves et les enseignants de l'expérimentation. Le contexte d'interrelation avec le milieu d'enseignement nous amène à utiliser « grammaire » selon cette définition ou d'autres, qui permettent de dialoguer avec les acteurs d'un milieu en évitant de s'enfermer dans un cadre conceptuel trop restreignant. C'est ainsi que nous parlerons aussi de « cours de grammaire » (définition 6) lorsque nécessaire, pour représenter une réalité telle qu'identifiée par les élèves et les enseignants.

Bref, il faut être conscient de l'aspect polysémique du terme, mais nous ne pourrons pas nous limiter à une signification exclusive, étant donné l'interrelation recherche-formation-pratique qui sous-tend cette recherche. Nous décrirons maintenant cet objet de savoir, mais en ayant préalablement pris soin de décrire l’essentiel de l’environnement dans lequel il s’inscrit, soit la grammaire actuelle.

Le terme de « grammaire actuelle » est utilisé par certains chercheurs (p.e. Lefrançois, 2003), alors que d’autres préfèrent celui de « grammaire nouvelle » (Nadeau et Fisher, 2006), de « grammaire rénovée » (Wilmet, 2007) ou de « grammaire moderne » (Boivin et Pinsonneault, 2008). Nous privilégierons le terme « grammaire actuelle », croyant qu'il représente bien le fait que la théorie grammaticale décrite est bien implantée en tant que référence actuelle, même si plusieurs regrettent que certaines applications de ses principes soient mal transmises (p.e. Gauvin, 2011). Nous avons exclu le terme de grammaire nouvelle qui implique un avant et un après, comme si la grammaire traditionnelle qui servait auparavant de référence était un bloc monolithique, ce qui n’en est rien, les réformes et réfections ayant été nombreuses au cours des années (Chervel, 1977). Il faut reconnaitre que les changements apportés

par la grammaire actuelle ont été des changements assez profonds. Ils reposent sur des travaux en linguistique amplement antérieurs à leur transposition scolaire (p.e. Brunot, 1908). Certaines présuppositions quant aux modifications concernent leur nature, qui, contrairement à ce que certains croient, dépassent la simple modification terminologique (Lefrançois, 2003; Nadeau et Fisher, 2006).

La grammaire actuelle repose sur deux grands principes : celui de soutenir le développement des capacités langagières, en particulier la compétence scripturale, et celui de comprendre les grandes régularités de la langue en développant des réflexes d’observation et d’analyse de celle-ci (Chartrand et Paret, 1989). Ces principes peuvent être illustrés par deux concepts essentiels de la grammaire actuelle, soit la phrase de base (PdB) et les manipulations syntaxiques.

Avec cette théorie grammaticale, la PdB devient l’élément central d’analyse, remplaçant le mot qui, lui, était au cœur de l’analyse de phrase traditionnelle. La PdB est « une phrase dont la structure est tout à fait conforme au modèle de base, parce qu’elle comprend deux constituants obligatoires, avec éventuellement un ou plusieurs constituants facultatifs et mobiles, et parce qu’elle n’a subi aucune transformation de type ou de forme » (Chartrand, 1999, p.76). Les deux groupes obligatoires sont le groupe sujet (GS) et le groupe prédicat (Gpred). Nous ajouterions à cela que les trois groupes constituants de la phrase de base doivent respecter un ordre précis (Boivin et Pinsonneault, 2008). Chaque phrase de la langue (en excluant les phrases à construction particulière) est donc perçue comme une phrase issue d’une PdB à laquelle peuvent avoir été apportées des transformations à l’aide des manipulations syntaxiques.

Chartrand (1999) définit les manipulations comme des « interventions effectuées sur des mots, des groupes, des phrases subordonnées et des phrases afin de

les analyser23 » (p.66). Les grammaires de référence consultées (Chartrand, 1999;

Côté et Xanthopoulos, 2006; Laporte et Rochon, 2007; Lecavalier, 2011) précisent qu’il y a entre 4 et 6 manipulations qui peuvent être effectuées, le nombre variant selon les regroupements de certaines d’entre elles (l’effacement, le déplacement, le remplacement, l’addition, l’encadrement, le dédoublement). C’est avec ces manipulations que l’on peut vérifier les comportements d’un groupe, et ainsi déterminer sa catégorie ou sa fonction qui régentent le comportement syntaxique ou morphologique. D’ailleurs, la grammaire actuelle se reconnait, entre autres, par sa centration sur les définitions morphosyntaxiques des catégories grammaticales plutôt que par les définitions sémantiques (Lebrun et Boyer, 2004)

Cette approche met en évidence les grandes régularités - p.e., un complément direct du verbe se pronominalise, se remplace par quelqu’un ou quelque chose – et insiste moins sur les exceptions. Aussi, la langue est vue comme un système où chacun des éléments étudiés s’imbriquent les uns aux autres, obligeant un apprentissage systémique des notions plutôt qu'un apprentissage compartimenté. (Chartrand, 2009).

Reste par ailleurs à distinguer les types de savoir, afin de définir les savoirs retenus en lien avec le CN.