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LES MÉCANISMES DE DÉVELOPPEMENT PROPRE

2.4. Et dans la pratique…

Dans ce contexte politico institutionnel un peu chaotique, les déforestations continuent sans aide de l’état et malgré les interdictions (Almeida et Campari, 1995 ; Schneider, 1995 ; Lele et al., 2000). Les systèmes de production mis en place paraissent rentables76, notamment l’élevage bovin, qui serait même un élément de sécurisation de l’agriculture familiale (Faminow, 1998 ; Ferreira, 2001 ; Veiga et al., 2004). On ne parle plus, de perte de fertilité des sols, de dégradation des pâturages, d’échecs agronomiques et économiques comme par le passé (Toledo, 1986 ; Browder, 1988 ; Uhl et al., 1988 ; Ruellan, 1993). Progressivement, les agriculteurs se sont construit de nouveaux savoirs et aujourd’hui, il n’est pas rare de voir des pâturages productifs de plus de 20 ans (Ferreira, 2001 ; Figuie, 2001 ; Veiga et al., 2004). La recherche publique est en grande partie responsable de ce succès, avec l’introduction de Brachiaria brizantha, la mise au point de techniques de récupération des pâturages dégradés77 et de nombreux progrès zootechniques. En parallèle, les activités alternatives non destructrices de forêt comme l’extractivisme, l’exploitation forestière durable, la bio-industrie ou encore l’écotourisme78, présentées dans les années 1980 comme socialement, écologiquement et économiquement durables (Anderson et Jardim, 1989 ; Peters et al., 1989 ; Anderson et al., 1991), se sont avérées moins intéressantes que prévu (Southgate, 1998 ; Wunder, 1999 ; Vosti, 2002). En pratique, la lutte des populations traditionnelles pour une reconnaissance de leurs modes de vie, a plus été un succès politique qu’économique. En fait, l’exploitation des forêts sur pied permet aux ruraux les plus pauvres de survivre, mais ne permet pas d’élever fondamentalement leur condition de vie. Ceci conduit à dire « qu’il y a peu de scénarios gagnant-gagnant entre conservation des forêts naturelles et réduction de la pauvreté » (Wunder, 2001). De 1970 à 1991, les états de l’Est de l’Amazonie les plus enclins au développement de l’élevage, de l’agriculture et de l’industrie, ont vu leur condition de vie augmenter (ICV). Le Mato Grosso et le Rondônia, par exemple, sont passés du deuxième plus bas ICV du Brésil, au second plus haut (Alvares, 2001). Il n’en ait pas moins vrai que les processus de concentration foncière et financière engendrent de fortes inégalités sociales et entraînent dans la précarité une proportion toujours plus grande de la population

76 De nombreux auteurs affirmaient le contraire dans les années 1980 et dénonçaient les irrationalités

économiques des déforestations (Browder, 1985 ; Bunker, 1985 ; Hecht, 1986 ; Repetto et Gillis, 1988 ; Hecht et Cockburn, 1989 ; Mahar, 1989 ; Binswanger, 1991 ; Mattos et Uhl, 1994).

77 Ce référer aux nombreux travaux de Jonas da Veiga (Embrapa-Cpatu).

78 Présent dans tous les plans de développement des états amazoniens, mais pratiquement inexistant dans la

(Nepstad et al., 2002). Sur les fronts pionniers, les mises en valeur des terres reposent encore sur l’idée que l’Amazonie est « illimitée » et la forêt est considérée avant tout comme une réserve nécessaire à l’implantation d’activités agricoles et pastorales. De ce fait, les atteintes à l’environnement se multiplient et les externalités négatives évoquées tout au long de ce chapitre sont de plus en plus perceptibles.

Cependant dans les zones de colonisation les plus consolidées, on note une certaine intensification de l’agriculture (notamment du soja, maïs, riz) et de l’élevage (élevage à viande et surtout explosion de l’élevage laitier79) (Becker, 2004). Dans certaines conditions, on remarque aussi l’introduction d’une composante arborée dans les systèmes de production : plantation d’arbres dans les cacaoyères, protection des arbres dans les pâturages ou encore mise en place de haie vives. Une étude de cas de Yamada et Gholz faite dans la commune de Tomé-Açu à 120 km de Belém montre qu’une communauté de paysans a développé une grande variété de SAF80 sur des surfaces de 10 à 20 ha qui rapportent autant d’argent qu’une surface de 400 à 1.200 ha de pâturage (Yamada et Gholz, 2002). Plusieurs de ces exploitations diversifiées sont prêtes à se lancer plus avant dans des systèmes agroforestiers ou sylvo-pastoraux et interrogent depuis peu la recherche brésilienne à ce sujet (Piketty et al, 2002). En fait, cette région, se présente comme une figure emblématique du lien entre crise écologique et crise de développement, mais aussi comme défi pour trouver de nouvelles voies de développement durable.

La problématique peut se résumer de la manière suivante : les systèmes de production mis en place répondent à une logique principalement économique engendrant de nombreuses contraintes sociales et écologiques. Cependant, on rencontre aussi des pratiques favorisant le maintien des ressources forestières. Quelles sont-elles ? Est-ce le reflet d’une véritable évolution des modes de gestion des ressources forestières sur les fronts pionniers ? Quels sont les scénarios d’évolution envisageables ?

Pour donner des éléments de réponse à ces questions notre travail, s’est réparti en deux phases :

79 Ce référer au livre de Veiga et Tourrand : « Produção leitera na Amazônia oriental », 2000.

80 Environ 70 espèces sont cultivées et 300 combinaisons polyculturales ont été identifiées. Les principales

espèces cultivées sont : l’açai, acerola, le poivre, la cacao, cupuaçu, hévéa, fruit de la passion, euritrina, palheiteira, imbauba, andiroba, cèdre, castanha, acajou et d’autres espèces arborées.

ƒ une phase de terrain pour étudier finement, les systèmes d’exploitation mis en place et les pratiques de gestion des ressources forestières (déforestation, maintien de réserve forestière, plantation d’arbres hors forêt) ;

ƒ une phase de modélisation prospective, mettant en scène les colons, principaux acteurs de la déforestation, leurs stratégies et pratiques de gestion des ressources forestières, afin de tester différents scénarios de la déforestation.

Un des intérêts de cette recherche est de se focaliser sur un front pionnier, lieu où commencent les processus anthropiques de dégradation de la biodiversité. Comme l’a déclaré Jacques Diouf, Directeur Général de la FAO (1999) « La solution aux problèmes de déforestation et de la dégradation des terres se trouve en dehors des forêts… Il est essentiel que la foresterie et l’agriculture travaillent main dans la main ». Même si la communauté scientifique est présente sur les fronts pionniers depuis longtemps la gestion des ressources naturelles n’y a que peu été étudiée. La recherche publique brésilienne travaille plutôt sur les aspects techniques (comme l’exploitation de nouvelles espèces forestières ou la gestion de pâturage), et la coopération internationale, essentiellement européenne et nord-américaine, sur les aspects humains et agronomiques (migrations, construction de sociétés pionnières, conflits sociaux, durabilité de l’agriculture familiale, développement des filière de production, etc.)81. Nous aborderons l’utilisation et la gestion des ressources forestières à l’échelle des exploitations agricoles dans le cadre d’une analyse à la fois historique et prospective avec des outils comme les SMA (systèmes multi-agents). Ce projet s’insère dans une équipe pluridisciplinaire composée de géographes, d’économistes, de sociologues, de vétérinaires, d’agronomes, de modélisateurs et de biologistes menant dans leurs domaines respectifs des travaux de recherche sur les dynamiques pionnières depuis une quinzaine d’années. La réunion de tous ces travaux réalisés à plusieurs échelles (exploitation et région) permettra de confronter différentes visions du développement régional et de mettre au point un modèle SMA.

81 Emilio F. Moran a soutenu sa thèse sur l’occupation de la transamazonienne en 1976, suivi par Nigel J.H.