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L’ EXPLOITATION FORESTIÈRE

1.2. L’Amazonie des routes : L’époque de la colonisation, de l’industrie et de l’agriculture

1.2.2.2 L’ EXPLOITATION FORESTIÈRE

L’Amazonie brésilienne possède des ressources forestières immenses avec un volume de billes de bois estimé à 60 milliards de mètres cubes, ce qui représente une valeur marchande de 4 milliards R$ de bois scié. Cependant malgré ce potentiel extraordinaire (56% du potentiel forestier tropical mondial) l’Amérique latine ne représente que 17% du marché mondial (Fleury, 1999). Selon Amaral Coelho (1998), l’Amazonie qui ne représente aujourd’hui que 4% du marché des bois tropicaux devrait devenir le principal fournisseur d’ici 2010. Ceci s’explique en partie par la faible densité des arbres de valeur. Alors qu’il n’y a que 7 à 8 tonnes de bois de valeur à l’hectare en Amazonie, on compte 15 à 20 tonnes en Afrique et de 25 à 30 tonnes en Asie. De plus en Asie, il y a une grande tradition de plantation d’arbres, de SAF, etc. qui permet d’avoir des productions de 70 à 120 tonnes à l’hectare. Selon Fleury (1999), au Brésil seuls 20% de la production de bois amazonien sont exportés, le reste est consommé sur place (Fleury, 1999). En 2004, selon Imazon, cette proportion serait

de 36% de bois exporté contre 64% expédié vers le centre et le sud du pays. Les exportations ont fortement progressé passant de 381 Millions US$ en 1998 à 943 Millions US$ en 2004 (Lentini, 2005). L’exploitation commerciale de cette richesse a débuté il y a 300 ans, à l’époque coloniale, cependant ce n’était qu’une activité secondaire. A partir des années 1920, avec la crise du caoutchouc, l’exploitation de bois devient une alternative économique intéressante et plusieurs exploitants de caoutchouc s’orientent vers l’exploitation de Meliaceae comme l’acajou (Swietenia macrophylla King) et le cèdre (Cedrela spp.) (Hoy, 1946 ; Aubréville, 1961). L’exploitation était de petite échelle et se pratiquait dans des zones accessibles par voies fluviales (Rankin, 1985). C’est dans les années 1960 que l’exploitation prend réellement de l’importance avec la création de nombreuses scieries, qui quittent les centres urbains de Manaus et Belém pour s’installer dans les zones rurales. De 1972 à 1996 le nombre de scieries en Amazonie légale est passé de 225 à près de 3.000 (Valverde et al., 1996). Selon la dernière étude d’Imazon, il y aurait en 2004, plus de 3.100 scieries réparties en 82 pôles forestiers (Lentini, 2005). En moins de 30 ans l’Amazonie est devenue la première zone productrice du Brésil. Au début des années 1990, près de 75% du bois consommé au Brésil venait d’Amazonie (Barros et al., 1996). La production de bois est passée de 195.000 m3 en 1959 à 50.145.998 m3 en 1989 (IBGE, 1991). Depuis 1990, on note une certaine diminution de la production du moins dans les statistiques officielles. Cette diminution peut être le résultat de fausses déclarations pour se rapprocher le plus près possible des volumes d’exploitation officiellement autorisés. Dans les faits, il est peu probable que l’exploitation ait diminué. Nous verrons dans les résultats que les estimations officielles peuvent être jusqu'à trois fois inférieures aux estimations faites sur le terrain. En 2004, la production officielle était de près de 30.000.000 m3 (production de planches et de billes de bois). Il faut donc prendre les chiffres officiels avec précaution. Le Pará représente, à lui seul, 57% du volume de billes de bois exploitées au Brésil et Belém est aujourd’hui le plus grand port exportateur de bois du pays (IBGE/SIDRA, 2004).

Carte 1.2-4 : Production de bois au Brésil en 2003 (Planches et grumes en m3)

0 500 km

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Données : IBGE/SIDRA, 2004; réalisation Bonaudo

Plusieurs facteurs ont contribué à cette explosion de l’exploitation forestière : les aides fiscales, la réduction du bois d’œuvre dans le Sud et le Sud Est du Brésil, mais aussi dans d’autres régions exportatrices de bois comme l’Afrique et l’Asie. La construction de routes et la mise en place des projets de colonisation ont aussi eu un impact direct sur l’augmentation de l’exploitation du bois. De grandes compagnies se sont installées en Amazonie et ont commencé à acheter la production des scieries locales. Selon les données de la SEFAZ23 (1988) citées par Ros-Tonen (1993), le plus grand nombre de scieries de toute la région nord se situe dans le Pará (43,9%) et le Rondônia (40,3%), soit les deux états où furent mis en œuvre les projets de colonisation. En 2004, le Pará concentre toujours la majorité des entreprises (51%), suivi du Mato Grosso (27%) et du Rondonia (13%) (Lentini, 2005). Sur les trente dernières années, il y a eu un déplacement du front forestier du Sud-Est vers le Nord et l’Ouest de l’Amazonie. Les exploitations suivent la colonisation agricole et les axes de pénétration.

Aujourd’hui sur plus de 2.500 espèces d’arbres présentes en Amazonie, seulement 350 essences sont exploitées pour leur bois24 et seulement 35 à 40 sont exportées. Les Méliacées restent les espèces les plus valorisées et les plus recherchées. Dans les années 1980, l’état du Rondônia approvisionnait 60% du marché mondial de l’acajou américain. En 1992, les Méliacées représentaient 38,6% du total du bois scié (AIMEX, 1995). A partir de 1986, c’est le Pará qui devient le principal producteur et exportateur. Selon certaines estimations de Greenpeace (1992), la production annuelle de cet état atteint environ ½ million de mètres cubes en billes, dont la plupart est illégale car provenant de réserves indiennes. En juillet 1996, du fait de la surexploitation de cet arbre, un décret présidentiel interdit son exploitation pour 2 ans. Cette interdiction a été maintenue jusqu’à aujourd’hui. Dès 1997, cette espèce était classée en annexe III25 de la liste de la CITES et en 2002, elle est passée en annexe II26. L’activité forestière représenterait aujourd’hui 15% du PIB amazonien (Verissimo, 2000), et elle emploierait directement et indirectement plus de 350.000 personnes, soit 5% de la population active d’Amazonie. Cependant, il apparaît que les gains de cette industrie soient très mal répartis et qu’ils ne contribuent pas à l’amélioration du niveau de vie de la plupart des populations concernées. En effet, cette exploitation prédatrice et majoritairement illégale27 ne génère aucun impôt. Les populations locales installées sur les projets de colonisation sont des fournisseurs importants de l’industrie du bois. Cependant ces ventes sont réalisées à travers des accords le plus souvent tacites en dehors de toute législation et générant fraudes et conflits. De plus, les prix proposés par les exploitants sont très bas (de l’ordre de 30 à 50 US$ pour un cèdre ou un ipê), les volumes irréguliers et les conditions d’extraction très préjudiciables pour l’écosystème forestier (surexploitation, ouverture excessive de pistes et de routes provoquant de graves problèmes d’érosion). Pour toutes ces raisons, l’exploitation de bois n’est pas perçue par les colons comme une source durable de revenus. L’industrie forestière est minière et spéculative. En effet, les entreprises exploitent les essences de hautes valeurs jusqu’à épuisement puis se délocalisent vers d’autres zones vierges. L’exploitation forestière est aussi souvent l’occasion de s’approprier des terres, puis les implanter en

24 Le nombre d’espèces exploitées a augmenté de façon considérable d’une vingtaine d’espèces en 1970 à

environ 350 aujourd’hui.

25 L'Annexe III a pour but de mettre en place une surveillance du commerce d’une certaine espèce.

26 L'annexe II énumère des espèces qui ne sont pas nécessairement menacées d'extinction à l'heure actuelle mais

qui pourraient le devenir si leur commerce n'était pas soumis à une réglementation stricte. Le commerce de ces espèces est aujourd'hui autorisé, à la condition que les spécimens soient obtenus en toute légalité et que leur commerce ne se fasse pas au détriment de la population sauvage. Aux alentours de 29.000 espèces sont énumérées à l'Annexe II.

pâturage. Les cycles de l’exploitation forestière et de l’élevage sont complémentaires (Piketty et al., 2002 ; Bonaudo et al., 2005b).