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Reboul et Moeschler montrent que l’approche moins « conventionnelle » de Grice permet de surmonter les difficultés de la théorie des actes de langage. Là où Searle doit s’appuyer sur la notion d’acte primaire et d’acte secondaire, et sur le principe de coopération emprunté à Grice, Grice lui-même analyse de tels actes comme des implicatures conversationnelles consécutives à la violation du principe de relation (ou de pertinence). Mais cette avancée est assortie d’une restriction :

« On notera cependant qu’elle n’explique pas pourquoi le locuteur a recours à un mode de communication qui n’est pas complétement explicite. » ( RM 98 :57) et d’une nouvelle ouverture :

« La première théorie à essayer de le faire a été la pragmatique de la pertinence de Sperber et Wilson. » ( ibidem)

5.3.1. Le modularisme de Sperber et Wilson

La question qui se pose est de comprendre pourquoi la communication peut se passer de l’explicite et, ce qui revient au même, comment et par quel processus l’interprétation d’un énoncé non explicite est possible. L’explication, pour aboutir, doit considérer que l’insuffisance des interprétations conventionnelles ou purement linguistiques doit être compensée par les procédés pragmatiques d’interprétation. Il est nécessaire d’élaborer un modèle théorique qui puisse rendre compte de ce double processus d’interprétation.

Si Reboul et Moeschler en tiennent pour le modèle de Sperber et Wilson, c’est que son caractère central est de considérer que la pragmatique n’est pas une partie de la linguistique et qu’elle en déborde le cadre « étroit ». Sperber et Wilson adoptent en fait le modèle proposé par le philosophe et psychologue américain Jerry Fodor, lui-même inspiré par la psychologie des facultés de Gall « fermement ancrée dans le fonctionnalisme et le représentationnalisme » (RM 98 : 66). Cependant une première version du modularisme de Fodor se révélait insuffisante à rendre compte de tous les phénomènes en jeu, de sorte que Sperber et Wilson en sont venus à une version différente, le modularisme généralisé.

Jerry Fodor et le modularisme

Selon la première version de Fodor, le traitement de l’information, quelle que soit sa source (visuelle, auditive, linguistique, etc.), se fait par étapes successives, chaque étape étant prise en charge par une « composante de l’esprit » différente. Les données perceptives sont ainsi traitées dans un « transducteur » qui les traduit en un « format accessible » pour être transmises à un système périphérique, composé de différents modules (visuel, auditif, olfactif, linguistique, etc.) capables de livrer chacun dans son domaine une première interprétation – « largement codique dans le cas des énoncés » (RM 98 : 66) – des données fournies par la source ou le canal considéré. Ces données arrivent alors à un système central qui les « complète » les unes par les autres mais aussi par « confrontation avec d’autres informations déjà connues ou formées simultanément par d’autres systèmes périphériques et grâce à des processus inférentiels. » (ibidem)

Mais on observer et décrire ces processus cognitifs du système central ? Et peut-on décrire « aussi bien l’interprétatipeut-on des dpeut-onnées et le raispeut-onnement propre à la vie

quotidienne que les réflexions complexes et subtiles propres à la recherche scientifique et aux activités artistiques » (RM 98:67) ?

Fodor pensait que ce serait difficile, voire impossible. Pessimisme que ne partagent pas Sperber et Wilson, puisque « l’étude de l’interprétation pragmatique des énoncés permet de jeter une lueur sur le fondement des processus propres au système central. » (RM 98 : 68). Il s’agit donc d’étudier l’interprétation pragmatique des énoncés.

Le modularisme généralisé

Sperber et Wilson doivent pour cela proposer une nouvelle version du module de Fodor, le modularisme généralisé. Ils renforcent d’abord la distinction entre système central et modules périphériques : les données conceptuelles entrent dans le système central après avoir été transformées dans les modules périphériques. Mais quel module va « expliciter le processus de l’interprétation pragmatique » ? Les modules perceptuels ? Comment exerceraient-ils leurs inférences sans concepts ? Les modules conceptuels ? Sur quelles données perceptives exerceraient-ils leurs inférences ? D’une dichotomie modulaire si forte, que resterait-il de la distinction entre linguistique et pragmatique ? Leur opposition ne serait plus pertinente.

La théorie de l’esprit

Sperber et Wilson introduisent un module particulier, qui va intégrer la conception centrale de Grice concernant notre capacité « à attribuer des états mentaux à autrui » et qu’ils appelleront le module « théorie de l’esprit » : c’est lui qui effectuera les interprétations des données pragmatiques des énoncés.

L’interprétation pragmatique va partir des données fournies par le module linguistique, qui livre une « forme logique : une suite ordonnée de concepts, les concepts correspondants aux composantes linguistiques de la phrase » (RM 1998 : 69), transformées de la structure de surface en structure profonde : sa signification linguistique. Ces concepts donnent accès aux prémisses utilisées dans les processus inférentiels d’interprétation de l’énoncé, prémisses constituées par la connaissance encyclopédique, « c’est-à-dire l’ensemble des données dont un individu dispose sur le monde » (ibidem).

Environnement cognitif

C’est donc à partir de la forme logique de l’énoncé que les processus inférentiels s’exercent donc sur d’autres informations constituant le contexte, composé à la fois de connaissances encyclopédiques, de « données immédiates perceptibles tirées de la situation ou

de l’environnement physique » et de « données tirées de l’interprétation des énoncés précédents », l’ensemble de ces sources formant ce que Sperber et Wilson appellent « l’environnement cognitif » de l’individu (RM 1998 : 69).

5.3.2. Construction du contexte : choix des prémisses et principe de pertinence

Le modèle de Sperber et Wilson, fondé sur une conception cognitiviste du processus de communication, perfectionne bien celui de Grice. Cependant, plus détaillé en ce qui concerne l’accès aux prémisses, il ne lui ajoute rien et il ne permet pas ainsi de résoudre le problème fondamental du choix des données, qui reste, on s’en souvient, notre question centrale. En effet, le modèle

« ne dit pas en détail comment on choisit, parmi toutes les données regroupées dans les entrées encyclopédiques des concepts concernés, celles qui entreront effectivement dans le contexte. » (RM 98 : 71).

Or il s’agit bien de ce qui est au cœur de notre questionnement : le choix des données entrant effectivement dans le contexte.

C’est autant un problème communicatif qu’un problème didactique. C’est en comprenant le fonctionnement communicatif que l’on comprend mieux le processus didactique à mettre en œuvre. Comment choisir les données encyclopédiques entrant effectivement dans le contexte ? A cette question se relie celle de la clôture du processus d’interprétation. A quel moment peut-on considérer que ce processus aboutit et peut s’arrêter ?

Sperber et Wilson vont faire à nouveau appel à Grice : c’est en transformant sa notion de pertinence qu’ils vont perfectionner leur modèle. Sperber et Wilson reprennent à leur compte la double intention sous jacente à la notion de communication non naturelle de Grice, qu’ils appellent intentions informative et communicative. Mais ils intègrent aussi la notion de communication ostensive-inférentielle qui représente l’intérêt de ne pas porter sur la seule communication linguistique mais aussi sur la communication en général. Elle permet en outre de démarquer, dans l’acte de communication, la composante ostensive de la composante inférentielle. C’est par là que cette notion se relie à la notion de pertinence. Ils remplacent en effet les maximes de quantité, de relation et de manière par la seule maxime de relation ou de pertinence, qui les suppose, et ils la relient aux notions d’intentions informative et communicative et de communication ostensive-inférentielle par un principe général, le principe de pertinence , selon lequel

« Tout énoncé suscite chez l’interlocuteur l’attente de sa propre pertinence. » (RM 98 : 75)

Ce principe de pertinence concerne tous les énoncés et sous-tend les processus d’interprétation quand il relève des actes de communication ostensive-inférentielle. En mobilisant l’attention de l’interlocuteur, l’acte ostensif donne une valeur à ce qui n’en avait pas auparavant et suscite une attente de pertinence, donc une tentative de lui attribuer une signification. L’interlocuteur « s’attend alors naturellement à ce que ce qu’on veut lui communiquer vaille la peine qu’il s’inquiète d’un objet qu’il n’aurait pas nécessairement remarqué. » (RM 98 : 76).

Sperber et Wilson relient ensuite les notions d’effort et d’effet à celle de pertinence. Car chercher une signification nécessite un « effort de chercher des prémisses parmi les données encyclopédiques » et « de faire un raisonnement au terme duquel [on] aboutit à des effets, c’est-à-dire à une ou plusieurs conclusions (…) tirées du processus inférentiel » (RM 98 : 76). Ces effets cognitifs ou conclusions auxquelles aboutit ainsi le processus inférentiel construisent et modifient la représentation du monde de l’interlocuteur : implications contextuelles, changements dans la force de conviction, éradication d’une croyance ou suppression d’une information ancienne contredite par une nouvelle plus convaincante.

Ils en viennent ainsi à proposer une définition « informelle » de la pertinence d’un acte de communication ostensive-inférentielle :

« I. Moins un acte de communication ostensive-inférentielle demande d’effort pour son interprétation, plus cet acte est pertinent.

« II. Plus un acte de communication ostensive-inférentielle fournit d’effets, plus cet acte est pertinent. » (RM 98 : 77)

Ils formulent aussi un principe non normatif mais inconscient de pertinence, axé sur la recherche et l’optimisation du rendement de la communication :

« Pour qu’un acte de communication ostensive-inférentielle soit pertinent (…) il faut que les effets obtenus compensent les efforts. » (RM 98 : 78).

Cette notion de pertinence permet de rendre compte du choix des prémisses et de l’arrêt du processus d’interprétation que les maximes conversationnelles de Grice ne permettaient pas : c’est en effet la recherche de la pertinence qui, dans le module central, oriente la sélection des informations, quelles que soient leurs sources, pour l’interprétation des énoncés et qui détermine l’arrêt automatique du processus « lorsque des effets suffisants pour équilibrer les efforts sont atteints » (RM 98 : 79).

5.3.3. Format linguistique et interprétation : le mentalais

Sperber et Wilson, grâce à la notion de pertinence, ne se contentent pas de résoudre la question du choix des données. Elle leur permet aussi de rendre compte de la possibilité pour une représentation d’être vraie et pour le langage de représenter le monde. Cela intéresse la pragmatique dans la mesure où celle-ci recherche dans une représentation son utilité et son efficacité et où, pour elle, le vrai s’identifie à l’utile. Or, pour être utile et, tout au moins, non nuisible, il faut que notre représentation du monde par le langage soit « appropriée au monde », et que nous puissions

« l’évaluer et la modifier constamment, en y ajoutant et en y retranchant ou en changeant l’évaluation de certains de ses éléments au fur et à mesure des éléments d’information que l’on acquiert » (RM 98 : 83)

Cela est possible si les informations sont représentées dans le même format cognitif ou logique. Un tel format, il faut le postuler comme hypothèse. Car deux langues sont deux formats différents qui doivent, pour communiquer entre elles et être traduisibles l’une dans l’autre, être réductibles chacune à un même format. Ce format admis par Sperber et Wilson à la suite de Fodor, c’est le mentalais. « La représentation du monde se fait dans un langage interne et universel, le langage de la pensée, souvent baptisé le mentalais. Elle permet la comparaison entre représentations de même format » (RM 98 : 86). On ne peut dire quelle forme les représentations en mentalais doivent avoir pour être évaluées quant à leur vérité, mais seulement qu’elles ne doivent pas avoir « d’ambiguïté ni de flou quant aux objets désignés ni quant aux propriétés qu’on leur attribue » (RM 98 : 86).

Il est donc nécessaire de faire une distinction entre la formulation linguistique de la représentation, très incomplète, et la représentation elle-même, plus complexe. La distinction entre la phrase et l’énoncé, et même entre l’énoncé et la proposition, était nécessaire à Grice pour distinguer signification et interprétation. Cependant Sperber et Wilson mettent en doute la transparence gricéenne. La forme logique n’est, pour eux, que rarement pleinement propositionnelle. Ils prônent la nécessité de recourir aux procédés pragmatiques « d’enrichissement de la forme logique » (Sperber et Wilson 1986 : 87), en particulier dans le cas d’ambiguïté (lexicale, syntaxique ou pragmatique) des énoncés et pour l’attribution des référents. Pour Sperber et Wilson, ce qui est dit est déterminé linguistiquement, mais pas uniquement (sauf cas rare). « Ils considèrent que la sous-détermination linguistique concerne tout à la fois ce qui est communiqué et ce qui est dit » (RM 98 : 89). Ils s’opposent à Grice, pour qui la pragmatique n’intervient pas dans la détermination de ce qui est dit (la proposition

la forme logique de l’énoncé, « qui est ce que l’on obtient à la fin du processus d’interprétation opérée par le module linguistique », et la forme propositionnelle « qui est ce que l’on obtient (lorsque le processus est couronné de succès) à la fin du processus pragmatique d’enrichissement de la forme logique » (RM 98 : 90).

Reboul et Moeschler considèrent pour leur part que l’on peut « aller plus loin » et dire que « toutes les informations qui entrent dans notre représentation du monde y apparaissent sous une forme propositionnelle » (ibidem : 90) qui « consiste donc en une explicitation de l’énoncé » (ibidem : 91). Mais celle-ci n’épuise pas la totalité de ce qui est explicitement communiqué dans l’énoncé. Il faut pouvoir aussi déterminer ce que les philosophes analytiques appellent « l’attitude propositionnelle » du locuteur, ou « l’état mental du locuteur, c’est-à-dire son attitude vis à vis de la proposition exprimée ». De sorte que

« déterminer ce qui est explicitement communiqué dans l’énoncé, c’est donc déterminer un certain nombre d’explicitations de cet énoncé, dont la forme propositionnelle de l’énoncé et l’attitude propositionnelle du locuteur. » (1998 : 91)

Reboul et Moeschler en viennent donc à proposer un schéma de l’interprétation linguistique en trois étapes ou modules de traitement : transducteur, linguistique, pragmatique. Ce schéma accorde au module pragmatique un rôle spécifique dans le traitement des données. Il se fonde sur la circulation, sur le va-et-vient des informations d’un module à l’autre et sur la transformation de toute donnée, à partir des prémisses (traitées dans le module pragmatique), en représentation et en forme logique puis propositionnelle (dans le module linguistique). Ces données sont extraites de plusieurs sources externes ou internes (énoncés, contexte, connaissances encyclopédiques, états mentaux, forme logique des énoncés, forme propositionnelle). Ce processus d’interprétation se fonde sur deux types d’explicitation des énoncés, car il consiste à dévoiler ce qu’il veut communiquer (l’implicite) à partir de ce qui est dit (l’énoncé explicite) et à travers la forme et les attitudes propositionnelles.

Cette distinction, qui offre l’avantage de surmonter le paradoxe de Moore16 a, pour Reboul et Moeschler, une conséquence importante sur le système de Sperber et Wilson : la frontière entre interprétation linguistique et interprétation pragmatique se déplace :

16

« Il fait beau et je ne crois pas qu’il fait beau ne peuvent être vrai ensemble dans la conception de Moore qui considère qu’il n’y a pas d’autres explicitations que la forme propositionnelle de l’énoncé. Dans un modèle de la pertinence, cet énoncé relève de deux types d’explicitation, l’une, dite de premier ordre, qui porte sur la forme propositionnelle de l’énoncé, sur la vérité de laquelle le locuteur s’engage, l’autre, d’ordre supérieur, qui porte sur les états mentaux et la force illocutoire, sur la vérité desquelles le locuteur ne s’engage pas. » (RM 98 : 96).

« Au lieu de la faire coïncider avec la distinction dire / communiquer, ils la font passer dans ce qui est dit, admettant ainsi que la sous-détermination linguistique est plus importante que ce que l’on croyait jusque-là. » ( RM 98 : 92).

La remarque leur paraît suffisamment importante pour qu’ils la reprennent, au moment de traiter à nouveau des relations entre langage et vérité, pour critiquer le relativisme en pragmatique :

« ce que font Sperber et Wilson, c’est déplacer la frontière de la sous-détermination linguistique et de la sous-détermination de la vérité (ou, plus exactement, de la détermination des conditions de vérité). Elle passait chez Grice entre ce qui est dit et ce qui est communiqué. Elle passe chez Sperber et Wilson à l’intérieur de ce qui est dit. La frontière de la sous-détermination linguistique dessine ainsi à la pragmatique un territoire dans lequel la détermination des conditions de vérité est partiellement incluse » (ibidem : 97).

Coopération

Reboul et Moeschler insistent sur l’une des originalités du modèle de Sperber et Wilson, qui est de considérer que « le contexte n’est pas donné une fois pour toutes, mais qu’il est construit énoncé après énoncé » (1998 : 70). Ils ont une optique cognitiviste :

« l’activité cognitive a pour but la construction et la modification de la représentation du monde que se fait l’individu. La communication doit jouer un rôle dans ce processus, en lui permettant d’ajouter de nouvelles informations à celles dont il dispose déjà. » (ibidem : 73, 74).

Les prémisses

Le modularisme permet de représenter le fonctionnement du cerveau : la forme logique fournit les adresses des concepts. Elles sont recherchées dans la mémoire à long terme. Les concepts fournissent une information qui est organisée « sous forme d’entrées différentes correspondant à des types d’informations différentes » : Entrées 1) logique : sur les relations logiques entre concepts (contradiction, implication, etc.), 2) encyclopédique : sur les objets correspondants au concept, 3) lexicale : sur les contreparties du concept dans une ou plusieurs langues naturelles.

L’accès aux données se fait par l’intermédiaire de l’adresse du concept. L’entrée logique produit des instructions appliquées aux autres concepts de la forme logique de l’énoncé. Puis l’entrée encyclopédique produit des informations susceptibles d’entrer dans le contexte, de le constituer en relation avec la forme logique et avec les informations tirées de l’environnement et des énoncés précédents. Après quoi la forme logique ainsi enrichie constitue une prémisse supplémentaire et « les processus inférentiels nécessaires s’appliquent pour livrer une ou

5.4. La pragmatique implicite de Prieto II

Confrontons à nouveau les conceptions de Luis J. Prieto, proposées en 1964, à la problématique posée par les pragmatistes cognitivistes, telle qu’elle se dégage de la synthèse de Reboul et Moeschler (1998). Il est étrange de remarquer combien, à travers un cheminement très différent, on aboutit, dans la description du processus de communication, à des résultats très proches. Ils se révèlent, cependant, à notre point de vue, plus rigoureux chez Prieto et plus proches des processus réels engagés entre les locuteurs. Nous allons ici examiner ces convergences, ces divergences, et les raisons de notre jugement de valeur.

5.4.1. Sous le signe, des convergences

Il y a de grandes convergences entre le fonctionnalisme de Prieto et la pragmatique cognitiviste.

Le signe et la frontière « à l’intérieur de ce qui est dit »

Prieto est loin de soutenir la représentation modulariste : elle lui est totalement étrangère. Elle était inactuelle dans la recherche linguistique européenne des années 1960-1970. La psycholinguistique n’est pas sa spécialité, Prieto ne fait pas l’hypothèse du mentalais. Il ne se demande pas comment passer d’une langue à une autre, d’un format à un autre, du format linguistique au mentalais, du langage humain au langage machine. Il ne se demande pas comment communiquer avec une machine, mais comment l’on communique entre humains. Il fait donc l’économie de la métaphore modulaire et ne s’engage pas à développer une description des facultés ni à faire une hypothèse sur la structure interne ou psychique du cerveau et sur le fonctionnement cognitif. Il reste linguiste et sémioticien et laisse aux psychologues le soin d’élaborer des systèmes compatibles avec le fonctionnement du langage.

Le mentalais, langage universel qui peut être exprimé par toute forme linguistique particulière et dans lequel toute langue peut être traduite, est une hypothèse qui permet d’abandonner le format linguistique au profit d’un format machine, d’un langage machine. Dans la machine intelligente, il s’agira donc de ramener toute forme linguistique au mentalais, traduisible ensuite en langage machine sous forme logique et sous forme propositionnelle. Ce faisant, la question de l’interprétation codique est réglée : toute forme linguistique se voit