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Or, c’est la problèmatique post-méthodique, la présentation et l’exploitation d’un corpus déjà élaboré, qui permet d’aborder la question lexicale.

référentielles, discursives, socio-culturelles de la situation pour permettre l’accès au sens. Cette tâche de mise en relation est traitée dans les préfaces des méthodes, ainsi que dans les conseils d’application du livre du maître. Certaines méthodes organisent même les modalités de présentation des contenus selon les composantes de Moirand (1982), et intègrent même les composantes sémiotiques ou sémiologiques (systèmes de signifiants associés au code linguistique) et socio-pragmatique (énonciations, rôles) de Boyer (1994).

3.1.1. Communication de classe

Dans une approche communicative, le lexique joue un rôle pivot dans la dynamique d’apprentissage par la place qu’il prend à travers la communication de classe, qui est l’espace d’ expression vivante de la réalisation linguistique, à l’opposé de la méthode qui en est l’espace figé de présentation. La communication de classe est une véritable situation de communication et d’apprentissage que les méthodes nouvelles encouragent et développent. Elle doit refléter les principes méthodiques dans toutes ses activités : visionnage d’un film, d’une diapositive ; commentaire d’une photo, d’un dessin ; écoute, commentaire, explication d’un dialogue ; animation d’un thème de conversation ou de débats ; conduite d’un échange spontané, d’une explication, etc.

L’enseignant doit aussi souvent, dans le cours même de ce processus, adapter son activité, prolonger sa préparation, compléter son commentaire, corriger son explication. Il doit en tout cas faire écouter, faire parler, faire lire, faire écrire, faire reproduire, répéter, imiter, transformer, faire remarquer, faire observer, faire réfléchir, etc. Il doit tenir compte des phénomènes de compensation des apprenants dans leur maîtrise imparfaite des composantes de la compétence de communication.

Dans les procédures d’exposition et d’explication, la focalisation sur l’information et l’attention accordée, à travers le feed-back, aux signes d’une bonne saisie donnent lieu à des échanges. L’enseignant encourage l’apprenant à communiquer avec ses mots à lui, et tolère de sa part une grande approximation syntaxique et grammaticale. L’enseignant lui-même peut avoir à s’exprimer dans un registre plus relâché ; il doit procéder à des simplifications, à des approximations. Tous les procédés de la communication exolingue sont alors mis en œuvre.

Le mot, le vocable, joue alors un rôle prééminent dans la stratégie de l’enseignant, car il est l’objet premier sur quoi s’exerce l’attention de l’apprenant. Le mot joue comme point d’ancrage, valorisé en tant que substitut linguistique des signes non linguistiques perçus dans la situation. Le mot est le vecteur de la saisie par l’apprenant, dans la chaîne parlée du natif, de la

dénomination, acte premier de l’activité lexicale, pour des objets ou des états du monde dont l’apprenant a déjà une représentation chargée de sens. L’apprenant ne se préoccupe pas encore de leur ordre d’apparition syntaxique ou de leurs variations morphologiques. Son attention est concentrée sur le rapport entre l’occurrence du mot et les éléments de la situation d’émission qui peuvent lui être rapportés.

La dénomination est insuffisante lorsqu’il n’y a pas partage des savoirs. L’apprenant est confronté à des domaines de dénomination qui n’entrent pas dans le champ de son expérience. Il ne peut s’en faire une représentation. L’enseignant doit alors construire cette représentation, et s’appuyer sur des mots non plus pour traduire du sens déjà-là (dans l’esprit de l’apprenant) en attestant sa présence homologue dans l’esprit de l’enseignant, mais pour construire ce sens, c’est-à-dire pour le montrer dans la situation.

Dans la restitution, l’apprenant s’empare avidement de ces sons et de ces mots qui révèlent pour lui une identité sémantique forte et non équivoque.

En cas d’échec de la communication, l’enseignant encourage l’allophone à s’appuyer sur des procédures de facilitation pour collaborer à l’explicitation des difficultés de compréhension. L’enseignant tolère alors les approximations, les néologismes, les innovations sémantiques, les adaptations lexicales calquées sur la langue maternelle, intégrant un lexique nouveau dans un code inadapté. Il tente de les interpréter, il les confirme ou les infirme, les fait confirmer ou infirmer, il les reformule dans un code plus adapté, et les complète, usant de paraphrases, de synonymes, de circonlocutions, d’exemplifications, faisant appel aux savoirs disponibles de l’apprenant.

Surgissent alors des termes nouveaux, des relations lexicales ou sémantiques entre les termes. Des réseaux se constituent inter-activement, sur lesquels l’enseignant pourra s’appuyer ensuite, qu’il pourra reconstituer, en séries formelles ou sémantiques. L’échange, assoupli quant à l’exigence formelle, élabore ainsi sous le contrôle des participants des réseaux sémantiques qui valorisent par compensation la structuration lexicale.

Voilà en quoi une approche communicative fait jouer au lexique un rôle pivot dans la dynamique d’apprentissage. C’est l’objet de notre travail de présenter de façon plus détaillée, dans l’analyse de notre corpus (voir ci-dessous la Troisième partie) les différentes stratégies engagées dans un tel processus.

Par ailleurs, la problématique post-méthodique pose des problèmes différents dans l’exploitation lexicale selon le type d’enseignement. Son traitement n’est pas de même nature,

3.1.2. Enseignement fonctionnel

A la suite de Porcher (1975), Coste et Galisson (1976) font remarquer que la notion de français fonctionnel, brouillée par des apellations diverses, s’oppose au français général pour recouvrir « des domaines apparemment spécifiques » (ibidem : 230) de discours, mais met l’accent sur un français dont les utilisateurs ont besoin « comme d’un outil », comme « moyen (..) dans des activités à finalités non linguistiques » (ibidem : 231). C’est dans ce sens que nous entendons, par enseignement fonctionnel du français, une pédagogie par objectifs, dans laquelle les contenus linguistiques, déterminés par les objectifs communicatifs visés (objectifs définis en terme d’actes de paroles ou d’actes de communication) sont intégrés à des situations, en rapport avec des canaux d’échange ou des interlocuteurs spécifiques, dans lesquelles sont visés des objectifs non linguistiques. Les modes d’exposition et d’explication qui dominent dans un tel enseignement fonctionnel focalisent l’attention de l’enseignant et de l’apprenant sur les relations des unités linguistiques avec les éléments extra-linguistiques extraits des objectifs non linguistiques et donc avec les autres codes de leur représentation, en particulier avec les intentions visées par les actes de communication. C’est le domaine où la visée de mémorisation et de restitution implique une focalisation sur la forme, surtout en début d’apprentissage. Elle privilégie la compétence orale et la mise en relation des formes avec les situations de communication, très souvent mimées. Ce n’est que dans une deuxième phase que les formes sont mises en relation entre elles, et souvent à l’appui d’un développement du domaine de la lecture et de l’écrit. Il ne s’agit pas de simplifier les formes, qui doivent garder leur caractère authentique, mais de ne pas entrer rapidement dans une analyse de leur complexité interne.

3.1.3. Français intrumental

Coste et Galisson (1976) font de cette notion un synonyme de français fonctionnel. (ibidem 287), qui se rapproche par ailleurs des appellations : français de spécialité, français scientifique et technique. C’est en réduisant et en spécifiant des ères du français fonctionnel que nous entendons plutôt, par français instrumental, un français permettant d’exercer une activité professionnelle, une langue qui a des visées pratiques dans un domaine spécifique de savoirs et de spécialité : mathématiques, logique, savoirs professionnels spécialisés. Dans l’enseignement d’un tel français instrumental, qui vise plus l’explication que la restitution, les simplifications didactiques sont de moindre conséquence, pourvu que le sens ait été bien transmis, mais elles sont plus difficiles. Les modalités de présentation y ont une structure discursive et syntaxique souvent plus complexe, et s’appuient sur des écrits, authentiques ou non, complexes ou

simplifiés, plus structurés. L’enseignant pourra faire appel à des notions techniques abstraites ou implicites, pour lesquelles il n’aura pas pu trouver de modalités de représentation. Le volume lexical y est plus développé.

Les processus de saisie, de mémorisation et de réemploi des unités lexicales dans les informations de vie sociale et professionnelle sont d’autant plus efficaces que l’environnement auquel elles réfèrent est connu et expérimenté, de sorte qu’un enseignement linguistique sera plus performant auprès d’un migrant ayant déjà séjourné dans l’environnement référentiel qu’auprès d’un primo-arrivant. La formation initiale met en outre en relation avec des objets du monde, des notions, des rôles, des connaissances, qui constituent une expérience différée sur le monde et une extension du champ de l’expérience humaine. La dynamique d’acquisition lexicale en sera d’autant plus puissante.

Cette connaissance du monde, ces savoirs généraux, partagés antérieurement par l’apprenant et l’enseignant, et qui dans la langue de l’apprenant sont déjà constitués en champs lexicaux, ne nécessitent plus que d’être dénommés dans la langue cible et mis en relation les uns avec les autres, c’est-à-dire à être construits comme champs lexicaux en français.

Sachant de quoi il parle, l’apprenant peut anticiper sur le contenu de la communication, peut lui donner des limitations, la borner, et vérifier les réponses à son attente et les limites de son bornage. Il pourra par ailleurs comparer la structure du champ lexical en L1 et en L2 et mieux saisir les nœuds et les relations.

L’exemple des relations familiales est sans doute l’un des plus pertinents. Le champ sémantique et sa représentation sont familièrs à tout apprenant, même s’ils ne peuvent être strictement calqués sur celui de l’enseignant. Les réalisations linguistiques marqueront alors à la fois les savoirs partagés, les identités sémantiques, et expliciteront les savoirs non-partagés, leurs différences. Ainsi en Afrique le frère aîné du père joue un rôle social plus important que le père géniteur, les demi-frères et demi-sœurs des familles polygames sont frères et sœurs. Chez les Tamouls, il y a prohibition de l’inceste entre le fils du frère aîné et la fille du frère puiné, qui ne sont dénommés ni « cousin » ni « cousine » mais « frère » et « sœur », tandis que la fille du frère aîné et le fils de la sœur puinée seront seuls reconnus dans une relation de cousinage telle que nous l’entendons dans notre culture. Dans les cultures asiatiques, une dénomination spéciale est utilisé pour l’ainé(e), qui n’est pas appelé, comme les autres enfants, « frère » ou « sœur ».

Encore, le préalable à toute (re)mise à niveau linguistique en mathématiques tient-il dans l’élaboration de corpus pédagogiques relevant de différents champs lexicaux : objets,

dans la vie courante, mais en se croisant les uns aux autres, se superposant, présentant aussi des incompatibilités. Ils s’ordonnent les uns par rapport aux autres selon des organisations hiérachiques et temporelles, mais aussi dans la vie sociale selon des ordres de priorité et d’urgence. En fonction du domaine de réalité étudié et du point de vue abordé, des règles d’organisation entre corpus sont privilégiées, que la réalité sociale ou culturelle commande. Ce sont les champs sémantiques qui commandent la structuration des champs lexicaux, et les choix ne peuvent en être arbitraires ni faire abstraction d’une certaine progression.

La simplification est plus difficile à effectuer dans un enseignement technique, qui suppose des savoirs mathématiques, notionnels, technologiques très précis, et plus approfondis. Les simplifications didactiques, quand elles sont possibles, sont très normées, et rejoignent leur modèle dans l’enseignement initial, sur lequel l’enseignant se rabat trop vite par nécessité et faute d’être initié à d’autres procédures et aux approches préalables, en particulier celles que les adultes emploient par compensation.

3.1.4. Le processus d’analyse lexicale

Dans ces situations, un processus d’analyse lexicale se met en place entre l’enseignant et l’apprenant.

Le vocabulaire joue, grosso modo, comme calque de la réalité, et l’apprentissage lexical est affaire de dénomination, les mots couvrant les mêmes objets, qui se distinguent les uns des autres par des valeurs légèrement différentes et par des relations secondaires spécifiques, de sorte que des équivalences peuvent leur être attribuées. Ainsi se construisent des réseaux sémantiques que recouvrent les réseaux lexicaux.

Un triple processus d’analyse s’opère : la relation de dénomination avec les choses ou les objets, la relation de signification entre les choses et leurs dénominations, les relations de sens entre les choses. Ce processus s’opère soit spontanément, dans l’application de la méthode, au cours de l’échange didactique, soit déductivement et de façon réfléchie et différée, dans la « préparation » de l’application de la méthode, ou dans le choix, l’adaptation ou la création des supports.

C’est le processus spontané qui est négligé par le didacticien et le concepteur de la méthode. Il relève d’un savoir pédagogique intuitif. On voit ainsi que la question lexicale, posée à partir de la mise en œuvre des méthodes « dites » communicatives, nous conduit à nous interroger sur le processus lui-même de traitement des données lexicales dans la communication de classe. C’est un processus spontané, sur lequel l’attention n’a pas été suffisamment portée, et

qui ne peut-être analysé qu’à partir d’observations de classes et de corpus, et c’est justement l’objet de notre recherche (voir la Troisième partie). Nous y reviendrons donc.