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Chapitre 5 : Discussion

5.1. Principaux constats

5.1.1. Prévalence élevée des expériences de maltraitance subie dans l’enfance et des

Les mères adolescentes composant l’échantillon global (sans égard aux groupes créés par l’analyse de partitionnement des données) présentent une forte occurrence d’expériences de maltraitance subie dans l’enfance et ces dernières sont diversifiées. Ceci abonde dans le même sens que différents auteurs étant préalablement arrivés à la même conclusion (Bailey, Moran et Pederson, 2007; Dym Bartlett et al., 2014; Paquette, Zoccolillo et Bigras, 2007; Putnam-Hornstein et al., 2015; Valentino et al., 2012). Qui plus est, il importe de souligner

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que la forme de maltraitance avec la plus forte prévalence est la négligence émotionnelle. Ces résultats rejoignent, notamment, ceux de Paquette, Zoccolillo et Bigras (2007) dans leur étude portant sur la prévalence des différentes formes de maltraitance chez un groupe de mères adolescentes. En effet, tout comme c’est le cas dans notre étude, l’expérience de négligence émotionnelle serait largement répandue. Cependant, à notre connaissance, aucune autre étude utilisant des données sur les mères adolescentes n’a rapporté une occurrence aussi élevée que celle retrouvée chez les répondantes de notre étude. Ceci dit, cette forme de maltraitance, ainsi que les mauvais traitements psychologiques en général, sont encore peu étudiés par rapport aux autres formes de maltraitance (Egeland, 2009; Trickett et al., 2009) et trop souvent sous détectés en intervention (Trickett et al., 2009). Ainsi, il serait pertinent d’étudier de manière spécifique cette forme de maltraitance qui pourrait être répandue chez les mères adolescentes et ses conséquences potentielles. Ceci s’inscrit dans les mêmes repères que ceux mis de l’avant dans la théorie axée sur le traumatisme qui invite à intéresser à la nature spécifique de toute expérience de maltraitance.

Par ailleurs, lorsqu’en cooccurrence avec d’autres formes de maltraitance, la négligence émotionnelle rapportée devient moins sévère en termes d’intensité. En effet, elle est la seule forme de maltraitance corrélée négativement aux autres. Dans leur étude portant sur l’association entre l’expérience de maltraitance subie dans l’enfance chez un groupe de mères adultes et le tempérament de l’enfant, Lang, Garstein, Rodgers et Lebeck (2010) étaient d’ailleurs arrivés à la même observation. Ceci pourrait possiblement s’expliquer par le fait que, lorsqu’en cooccurrence avec l’abus émotionnel, la négligence émotionnelle, qui représente une forme de maltraitance se caractérisant par une omission (négligence), pourrait être vécue de manière moins intense aux dépens de comportements de commission qu’implique l’abus émotionnel.

Pour ce qui est du réseau de soutien, plus de 40 % des jeunes femmes avaient pu établir une alliance parentale positive avec leur mère à 5 mois postpartum. Par contre, nos résultats suggèrent qu’une faible alliance parentale avec la mère à cinq mois postpartum serait associée à la dépression postpartum chez la mère adolescente. Ceci rejoint sensiblement les propos de Milan et ses collègues (2007) qui suggèrent que les mères adolescentes qui entretiennent des

relations conflictuelles avec leurs parents seraient plus à risque de présenter des symptômes de dépression pendant leur grossesse. L’étude de Milan et ses collègues était limitée à la période prénatale, mais d’autres auteurs suggèrent que les symptômes dépressifs présents pendant la grossesse peuvent perdurer dans le temps, bien au-delà de la naissance de l’enfant (Meltzer- Brody et al., 2013). Ceci dit, près du quart de notre échantillon (24 %), sans égard aux groupes créés par l’analyse de partitionnement des données, a obtenu un score supérieur au point de césure sur l’Échelle de dépression postpartum d’Édimbourg (Cox, Holden et Sagovsky, 1987). Ce constat est préoccupant lorsque l’on considère que la dépression postpartum représente un important facteur de risque à l’APPM (Afifi, 2007; Cox et al., 2008; Meltzer-Brody et al., 2013; Putnam-Hornstein et al., 2013; Reid et Meadows-Olivier, 2007; Sellers et al., 2011; Whitson et al., 2011). Toutefois, même si cette prévalence dans notre échantillon est plus élevée que celle que l’on constate chez les mères adultes qui varierait de 13 % (Bydlowski, 2015) à 20 % (Kim, Connolly et Tamin, 2014), elle demeure inférieure à ce que la littérature portant sur les mères adolescentes suggère, soit de deux à cinq fois plus que chez les mères adultes (Lanzi, Carothers Bert et Jacobs, 2009; Lewin et al., 2014; Logsdon et al., 2005; Schmidt et al., 2006). Or, cet écart pourrait s’expliquer par les stratégies d’échantillonnage qui diffèrent d’une étude à l’autre. Ces stratégies ne correspondent pas nécessairement à la nôtre. En effet, outre leur jeune âge et le fait d’être enceinte, les mères adolescentes recrutées pour prendre part à notre étude ne devaient pas nécessairement présenter d’autres facteurs de risque précis, par exemple sur le plan de leur santé mentale, comme c’est le cas pour d’autres études (Lewin et al., 2014; Logsdon et al., 2005; Schmidt et al., 2006).

5.1.2. Types d’expériences de maltraitance subie dans l’enfance chez les mères adolescentes

Les résultats de l’analyse de partitionnement des données permettent d’identifier trois groupes différents représentant trois types distincts d’expériences de maltraitance subie dans l’enfance chez les mères adolescentes : le premier type représente des mères ayant principalement subi une expérience de négligence émotionnelle dont plus de 90 % d’une intensité élevée à extrême; le deuxième type représente des mères ayant principalement subi

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de l’abus sexuel, dont le quart d’une intensité élevée à extrême, et de la négligence émotionnelle, dont plus de 80 % d’une intensité élevée à extrême; et le troisième type représente des mères ayant subi une cooccurrence de plusieurs formes de maltraitance d’une intensité élevée à extrême, à l’exception de la négligence émotionnelle qui est toujours présente mais de plus faible intensité. Une étude portant sur la prévalence des formes de maltraitance chez des mères adolescentes québécoises (n’ayant pas utilisé la même analyse que nous) présente des résultats en partie cohérents avec les nôtres (Paquette, Zoccolillo et Bigras, 2007). En effet, les auteurs suggèrent que la négligence émotionnelle, ainsi que l’abus sexuel, seraient les formes de maltraitance les plus souvent présentes sans cooccurrence avec d’autres formes de maltraitance. Or, dans notre étude, ces deux formes de maltraitance se retrouvent plutôt en cooccurrence et caractérisent le deuxième type, en plus d’être cooccurrentes à toutes les autres formes de maltraitance dans le troisième type. Ceci dit, concernant la négligence émotionnelle, même si cette forme de maltraitance est présente dans tous nos types, il est vrai que pour les mères appartenant au premier groupe, qui représentent plus de la moitié de notre échantillon, cette expérience est subie sans cooccurrence. Ceci rejoint les résultats de Paquette et ses collègues et indique que, pour plus de la moitié des mères de notre échantillon, l’expérience de maltraitance subie dans l’enfance se caractérise par cette seule forme. Ainsi, nos résultats et ceux de Paquette et ses collègues suggèrent que cette forme de maltraitance est une problématique largement répandue chez les mères adolescentes québécoises, même lorsqu’elles proviennent de contextes différents (Paquette et ses collègues ayant étudié un échantillon qui diffère sensiblement du nôtre sur les plans de la trajectoire scolaire, notamment).

Ceci dit, tel que mentionné dans le deuxième chapitre, nous n’avons pu trouver d’études ayant examiné l’expérience de maltraitance subie dans l’enfance chez des mères adolescentes, de manière à en faire ressortir des types ou profils distincts. Cependant, deux études portant sur des populations générales d’adolescents (Hazen et al., 2009) et d’enfants (Pears, Kim et Fisher, 2008) l’ont fait et les résultats sont similaires à ceux obtenus dans le cadre de notre projet de recherche. En fait, ils identifient trois (Hazen et al., 2009) et quatre (Pears, Kim et Fisher, 2008) profils dont un avec une expérience de mauvais traitements psychologiques (sans distinguer l’abus émotionnel de la négligence émotionnelle) répandue

dans tous les profils, ce qui correspond à notre premier groupe/type. Ils identifient également un profil caractérisé principalement par l’abus sexuel (ce qui correspond à notre deuxième groupe/type) ou physique, puis un autre qui présente une cooccurrence de plusieurs formes de maltraitance (ce qui correspond à notre troisième groupe/type). Ces résultats similaires entre trois études de contextes différents soulèvent l’hypothèse que les différents profils d’expérience de maltraitance subie dans l’enfance pourraient être transférables à plusieurs contextes et à plusieurs populations, nonobstant leurs âges, statuts ou conditions de vie, ce qui pourrait potentiellement représenter des repères empirique et clinique intéressants dans une optique de généralisation des connaissances. Ainsi, il se pourrait que l’expérience de maltraitance subie dans l’enfance se décline de manière similaire chez différentes populations, mais qu’à travers leurs trajectoires, certains enjeux précis surviennent, comme la maternité à l’adolescence dans le cas de nos répondantes.

Nos analyses révèlent qu’il existe des différences significatives entre tous les types d’expérience de maltraitance subie dans l’enfance selon les différentes formes qui les caractérisent, selon les dimensions à l’étude. Ces différences seront discutées dans les sections suivantes. Or, préalablement, il est intéressant de souligner que, contrairement à nos résultats, Hazen et ses collègues (2009) n’identifiaient aucune différence significative quant aux conditions associées aux expériences de maltraitance entre les profils « abus sexuel, physique et émotionnel » et « abus physique et émotionnel ». En effet, les différences se situeraient plutôt entre ces deux profils et le troisième, caractérisé par une faible expérience de maltraitance, au plan d’une occurrence plus élevée de détresse psychologique chez les jeunes maltraités. Or, l’étude de Hazen et ses collègues portait sur un groupe d’adolescents âgés de 12 à 18 ans, alors que notre étude porte sur des jeunes mères âgées, en moyenne, de 18 ans. Ainsi, peut-être que les différences au plan des conséquences de l’expérience de maltraitance varient peu chez les victimes au début de l’adolescence, mais que ces difficultés se précisent et se distinguent en fin d’adolescence et, possiblement, encore plus en contexte de parentalité. Ceci rejoint ce que Gamache Martin, Van Ryzin et Dishion (2016) mettent de l’avant à l’effet que ce serait pendant la période de l’adolescence que les conséquences engendrées par la maltraitance subie dans l’enfance commencent à prendre forme, à se cristalliser et à se

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manifester différemment en fonction des formes de maltraitance subie (Gamache Martin, Van Ryzin et Dishion, 2016).

5.1.3. La maltraitance subie dans l’enfance et les conditions associées à l’APPM chez les