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Chapitre 2 : Recension des écrits

2.1. Conséquences potentielles de l’expérience de maltraitance subie dans l’enfance

Depuis la fin des années 70, alors que l’article saillant intitulé The battered-child syndrome (Kempe, Silverman, Steele, Droegemueller et Silver, 1979) faisant état des conséquences de l’abus physique chez les enfants a été publié, l’activité scientifique portant sur la maltraitance s’est grandement développée. Il est généralement admis, aujourd’hui, qu’une expérience de maltraitance peut avoir des conséquences graves sur la personne l’ayant subie, particulièrement lorsqu’elle survient pendant la période cruciale du développement qu’est l’enfance (De Bellis, Keshavan, Shifflett, Iyengar, Beers, Hall et al., 2002; Leeb, Lewis et Zolotor, 2011). La gravité des conséquences potentielles de l’expérience de maltraitance subie dans l’enfance suggère qu’une prise en charge psychosociale est requise pour tenter de minimiser leur persistance dans le temps. Or, la proportion de signalements reçus par les organismes de protection de la jeunesse sous-estimerait la réalité et la véritable étendue de la problématique de maltraitance à l’égard des enfants (Saint-Jacques, Turcotte, Drapeau,

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Villeneuve et Ivers, 2009). Ainsi, par manque de détection, de soutien et de prise en charge, il arrive donc que les conséquences de la maltraitance s’aggravent et se cristallisent jusqu’à l’apparition ou au maintien de séquelles psychosociales persistantes ou d’une pathologie.

Des problèmes de comportements, divers symptômes somatiques, ainsi que des atteintes neurobiologiques peuvent hypothéquer la qualité de vie, le fonctionnement et la santé de la personne tout au long de son développement jusqu’à l’âge adulte (Cicchetti et Toth, 1995; Glaser, 2000; Gamache Martin, Van Ryzin et Dishion, 2016; Twardosz et Lutzker, 2010). Lorsque les conséquences de la maltraitance subie dans l’enfance perdurent jusqu’à l’adolescence, celles-ci sont susceptibles de se manifester en problèmes de santé mentale comme la dépression et mener à des troubles intériorisés ou extériorisés de comportement (Hazen, Connelly, Roesch, Hough et Landsverk, 2009). L’expérience de maltraitance dans l’enfance serait également associée au risque accru de développer un TSPT, tel que répertorié dans le DSM (APA, 2013), qui représente une des manifestations les plus graves du traumatisme non résolu chez la personne (Berthelot, Ensink, Bernazzani, Normandin, Luyten et Fonagy, 2015; Ensink et al., 2014; Hébert et Cyr, 2013; Milot, Collin-Vézina et Milne, 2016; Taïeb, Baubet, Pradère, Lévy, Revah-Lévy, Serre et al., 2004; Yule, Bolton, Udwin, Boyle, O'Ryan et Nurrish, 2000). Or, le TPST serait un facteur de risque associé au développement d’autres problèmes de santé mentale chez les personnes qui en souffrent (Asselmann, Wittchen, Lieb, Hofler et Beesdo-Baum, 2015), ainsi qu’à la transmission intergénérationnelle de la maltraitance (Banyard, Willilams et Siegel, 2003; Baril et Tourigny, 2015; Milot, Collin-Vézina et Milne, 2016; Pierrehumbert, Miljkovitch et Halfon, 2004). Il serait associé à un développement non optimal des compétences, notamment au plan des fonctions affectives, cognitives et exécutives, ainsi qu’au plan du développement personnel (Milot, Collin-Vézina et Milne, 2016). En contexte de parentalité, une personne souffrant d’un traumatisme non résolu causé par une expérience de maltraitance dans l’enfance éprouverait davantage de difficultés à établir une relation affective saine et positive avec son enfant lorsque comparée à des mères ne souffrant pas d’un traumatisme non résolu (Berthelot et al., 2015; Ensink et al., 2014).

Par ailleurs, les conséquences potentielles de l’expérience de maltraitance subie dans l’enfance seraient plus graves lorsque celle-ci est chronique (Éthier, Lemelin et Lacharité, 2004) et caractérisée par une cooccurrence de diverses formes de maltraitance (Hazen et al., 2009; Milot, Collin-Vézina et Milne, 2016; Romano, Zoccolillo et Paquette, 2006; Turner, Finkelhor et Ormrod, 2006). Cependant, dans la littérature portant sur la parentalité à l’adolescence, les définitions et les critères utilisés pour identifier les différentes formes de maltraitance varient grandement d’une étude à l’autre, rendant périlleux l’élaboration d’un véritable portrait des conséquences potentielles de chacune des formes de maltraitance subie par les jeunes mères (Madigan, Wade, Tarabulsy, Jenkins et Shouldice, 2014). Néanmoins, pour ce qui est de la population générale (c’est-à-dire, enfants, adolescents – ce qui inclut les mères adolescentes – et adultes), la littérature scientifique abonde d’études faisant état des conséquences associées à la maltraitance. Celles-ci varient d’une forme de maltraitance à l’autre, ce qui suggère qu’il importe de comprendre la nature de l’expérience de maltraitance pour pouvoir anticiper ses conséquences potentielles (Leeb, Lewis et Zolotor, 2011), même si celles-ci ne sont pas mutuellement exclusives.

Le Tableau I présente une synthèse des conséquences potentielles le plus souvent associées aux différentes formes d’une expérience de maltraitance subie dans l’enfance. Les conséquences potentielles associées à la négligence émotionnelle et à l’abus émotionnel seront regroupées sous l’appellation Mauvais traitements psychologiques, car ces deux concepts sont peu différenciés dans la littérature scientifique produite dans la dernière décennie (même si, en réalité, ils font référence à des comportements maltraitants qui s’opposent – la négligence étant une forme d’omission et la maltraitance, un acte commis).

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Tableau I. Synthèse des conséquences potentielles généralement associées aux différentes formes d’une expérience de maltraitance subie dans l’enfance

Formes de maltraitance Conséquences potentielles

Négligence physique

- Problèmes intériorisés de comportements (Manly, Kim, Rogosch et Cicchetti, 2001)

- Problèmes d’agressivité (Kotch, Lewis, Hussey, 2008)

- Risque accru de développement d’un ESPT (van Vugt et al., 2014)

Abus physique

- Pauvreté (Fergusson, Boden et Horwood, 2008)

- Perception négative du réseau de soutien (Crouch, Milner et Thomsen, 2001) - Trouble de l’attachement (Bailey, Moran et Pederson, 2007)

- Problèmes intériorisés et extériorisés de comportements (Pears, Kim et Fisher, 2008)

- Problèmes de santé mentale (Berlin et al., 2011)

Abus sexuel

- Risque accru de parentalité à l’adolescence (Noll et Shenk, 2013; Noll, Shenk et Putnam, 2009; Trickett, Noll et Putnam, 2011)

- Problèmes de santé physique (obésité, douleurs chroniques) (Trickett, Noll et Putnam, 2011)

- Trouble de l’attachement (Bailey, Moran et Pederson, 2007)

- Déficits cognitifs (Trickett, Noll et Putnam, 2011) et affectifs (Bailey, Moran et Pederson, 2007)

- Problèmes de santé mentale (dépression, anxiété, comportements auto- destructeurs, difficulté au plan de la gestion du stress, dépendances)

(Fergusson, Boden et Horwood, 2008; Romano, Zoccolillo et Paquette, 2006; Trickett, Noll et Putnam, 2011; Whiffen, Thompson et Aube, 2000)

- Troubles de la conduite (Romano, Zoccolillo et Paquette, 2006)

- Risque accru de développement d’un ESPT (Hébert et Cyr, 2013; Trickett, Noll et Putnam, 2011)

- Stress accru associé à l’accouchement (Ensink et al., 2014; Van Roode, Dickson, Herbison et Paul, 2009)

- Risque accru de souffrir de dépression postpartum et plus forte persistance des symptômes (Leeners, Richter-Appelt, Imthum et Rath, 2006)

- Risque accru d’avoir une perception de soi négative au plan des habiletés parentales et d’utilisation de méthodes éducatives déraisonnables (Bailey et

al., 2012; Banyard, 1997)

- Faible estime de soi (Bailey, DeOliveira, Wolfe, Evans et Hartwick, 2012) - Difficultés relationnelles (Bailey, Moran et Pederson, 2007)

- Faible niveau de scolarité (Bailey, Moran et Pederson, 2007; Trickett, Noll et Putnam, 2011)

Mauvais traitements psychologiques

- Problèmes de santé mentale (dépression, anxiété, troubles dissociatifs, comportements autodestructeurs) (O'Dougherty Wright, Crawford et Del Castillo, 2009; Egeland, 2009)

- Risque accru de développement d’un ESPT (van Vugt et al., 2014) - Problèmes intériorisés (Egeland, 2009) et extériorisés (Bailey et al., 2012;

Egeland, 2009) de comportement

- Difficultés relationnelles avec l’entourage (Egeland, 2009)

Le Tableau synthèse I permet de constater que certaines conséquences seraient associées à plusieurs formes de maltraitance, notamment les problèmes de santé mentale et de comportement. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que l’expérience de maltraitance subie peut être caractérisée par une cooccurrence de formes, ce qui rend ardu l’identification des conséquences particulières pour chacune d’elles. Ceci dit, l’expérience d’abus sexuel serait associée à plus de conséquences potentielles que les autres formes de maltraitance. Cependant, ceci pourrait être dû à un biais méthodologique. En effet, une importante proportion des études qui traitent des conséquences associées à l’expérience de maltraitance accorde une importance particulière à l’expérience d’abus sexuel (voir la revue systématique de Leenarts, Diehle, Doreleijers, Jansma et Lindauer, 2013; ou les études de Jackson et al., 2015; de Teicher et Samson, 2013; et de Thompson et Nielson, 2014). Ceci suggère que les conséquences potentielles de certaines formes de maltraitance sont moins étudiées (notamment, les mauvais traitements psychologiques) et seraient encore peu connues.

2.2. Fréquence de l’expérience et des formes de maltraitance dans l’enfance chez les