• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : Recension des écrits

2.3. Les conditions associées à l’APPM chez les mères adolescentes

2.3.2. Précarité du réseau de soutien

La famille immédiate de la mère adolescente occuperait un rôle d’une grande importance au plan de son réseau de soutien et de la prévention de l’APPM. Les mères adolescentes qui entretiennent une relation conflictuelle avec leur propre mère ressentiraient plus de difficulté à répondre aux besoins affectifs de leur enfant de manière saine et adéquate et sont à risque accru d’utiliser des méthodes disciplinaires coercitives, voir maltraitantes, envers ce dernier (Sellers et al., 2011). Une récente étude québécoise abonde, d’ailleurs, dans le même sens et suggère que le besoin de soutien social de la mère adolescente serait associé au développement d’un trouble réactionnel de l’attachement chez son enfant, qui représente un facteur de risque pour la sécurité et le développement de ce dernier (Lalande, Cyr, Dubois- Comtois, Losier, Paquette et Emery, 2014). À l’opposé, une relation harmonieuse entre la mère adolescente et sa propre mère contribuerait à améliorer la qualité de la relation et les interactions entre la mère adolescente et son enfant (c.-à-d., plus d’affection et de soutien offerts à l’enfant et utilisation de méthodes éducatives adaptées et adéquates). Sellers et ses

collègues précisent, toutefois, que, dans ce type de relation harmonieuse, la mère de l’adolescente serait stricte au plan de ses directives (sans coercition) tout en permettant à sa fille de se responsabiliser et de développer son autonomie.

Pour leur étude, Sellers et ses collègues (2011) ont utilisé un cadre théorique proposé par Apfel et Seitz (1991) qui met l’accent sur la relation éducative établie entre la mère adolescente et sa propre mère. Apfel et Seitz attirent l’attention sur un phénomène moins souvent abordé, soit celui de la grand-parentalité à l’adolescence. Ces auteurs ont ainsi identifié quatre types de dynamiques qui peuvent s’installer entre les mères adolescentes et leurs propres mères, incluant un modèle d’ « apprenti parent » (traduction libre de parental apprentice). À travers ce modèle, la grand-mère occuperait un rôle d’éducatrice pour guider sa fille dans l’apprentissage de son rôle parental tout en visant le développement de son autonomie. Dans une optique de prévention de la maltraitance, les auteurs soutiennent que ceci serait favorable tant pour la mère adolescente que pour son enfant. En effet, les mères adolescentes ayant reçu un soutien de la part de leur mère présentaient de meilleurs résultats sur l’échelle Parent-child early relational assessment (Clark, 1985, tel que cité dans Sellers et al., 2011) ce qui témoigne d’interactions plus fréquentes, chaleureuses et harmonieuses avec leur enfant, ainsi que le recours à moins de méthodes éducatives déraisonnables et coercitives (Sellers et al., 2011).

Pour ce qui est des mères adolescentes ayant vécu une expérience de maltraitance dans l’enfance, il est entendu qu’elles pourraient grandement bénéficier d’un réseau de soutien, tant pour la dispensation des soins à leur enfant, que pour le développement de leurs habiletés parentales et de leur confiance en soi. Cependant, de par leurs expériences de maltraitance, de placement et de prise en charge par les services de protection de la jeunesse, il apparait qu’il soit ardu pour elles de maintenir une stabilité au plan de leurs relations. En effet, une expérience de maltraitance dans l’enfance (sans spécifications quant à la nature de celle-ci) serait associée au développement d’une faible estime de soi, ainsi qu’à une perception négative des relations interpersonnelles et des relations conjugales, ce qui nuirait à la capacité des jeunes mères de créer et d’entretenir des relations saines et égalitaires avec leur entourage (Cicchetti et Lynch, 1995, tel que cités par Milan et al., 2004b). Dès lors, ces relations de

45

soutien qui devraient être stabilisantes sont plutôt éphémères et contribueraient plutôt à renforcer leur isolement (Knight, Chase et Aggleton, 2006).

Dym Bartlett et Easterbrooks (2012) soulèvent néanmoins l’influence positive potentielle du réseau de soutien sur la transmission intergénérationnelle de la maltraitance, principalement la négligence, chez un groupe de très jeunes mères latino-américaines (âgées de 14 à 16 ans) ayant été victimes d’abus physiques durant leur enfance. Ces auteurs révèlent que les jeunes mères ayant été maltraitées seraient quatre fois plus nombreuses à être négligentes envers leur enfant, mais qu’un soutien adéquat et positif d’un parent non- maltraitant minimiserait significativement le risque de transmission intergénérationnelle de la maltraitance à l’égard de l’enfant de la jeune mère. À l’opposé, la perception négative des mères adolescentes victimes de maltraitance intrafamiliale (notamment, d’abus physique) de la part de leurs parents serait associée au risque accru de transmission intergénérationnelle de la maltraitance (Milan et al., 2004b). Cette perception affecterait de manière négative la qualité de la relation et du lien affectif entre la mère et son jeune enfant. Cette association serait toutefois modérée par une attitude optimiste et positive de la jeune mère face à la maternité qui minimiserait le risque d’APPM envers son enfant. Ceci dit, la présence d’un conjoint pendant la grossesse contribuerait à rendre plus positive la perception de la mère face à son expérience de maternité et ainsi à diminuer le risque d’APPM, ce qui suggère que la présence du partenaire dans la vie de la jeune mère compenserait pour l’absence ou la présence négative de ses parents maltraitants (Milan et al., 2004b).

De plus, il semble que la qualité du réseau de soutien et les liens affectifs qui le fortifient seraient plus importants que la présence du soutien social en soi (Easterbrooks et al., 2011). En effet, ce serait la qualité du réseau qui agirait comme facteur de protection contre la transmission intergénérationnelle de la maltraitance et non pas la proximité. Une analyse de partitionnement des données menée par Easterbrooks et ses collègues (2011) indique que les jeunes mères cumulant moins de facteurs de risque associés à l’APPM s’étaient davantage distanciées de leur famille d’origine après la naissance de leur enfant, n’habitaient plus avec eux et n’avaient pas recours à leur soutien (matériel ou présentiel). Les auteurs suggèrent que la prise de conscience des mères adolescentes de leur situation familiale, de leur historique et

de ses conséquences négatives aurait permis de se distancer et de prendre du recul face au passé pour mieux affronter les défis qu’implique leur nouvelle réalité. Toujours selon ces auteurs, les mères aptes à agir ainsi sont celles qui se sentiraient en contrôle de leur pouvoir d’agir, aptes à gérer leur indépendance et prêtes à miser sur leurs forces qu’elles sont en mesure d’identifier elles-mêmes. Certaines mères parviendraient à se former un nouveau réseau de soutien dans lequel elles ne retrouveraient pas les éléments négatifs de leur famille d’origine. Or, le revers de la médaille est que les mères de ce groupe présentaient des symptômes de dépression plus élevés que les autres, ce qui en soi représente une condition associée à l’APPM (Afifi, 2007; Cox, Buman, Valenzuela, Joseph, Mitchell et Woods, 2008; Meltzer-Brody, Bledsoe-Mansori, Johnson, Killian, Hamer, Jackson et al., 2013; Putnam- Hornstein, Cederbaum, King et Needell, 2013; Reid et Meadows-Olivier, 2007; Sellers et al., 2011; Whitson et al., 2011). De plus, ceci suggère que ces mères adolescentes atteignent leur autonomie aux dépends de leur santé mentale et que ceci pourrait, en revanche, affecter la relation qu’elles entretiennent avec leur enfant.