4.4 Notes techniques sur les procédés de prétraitement des gisements pour les procédés biologiques
4.4.3 Prétraitements de la biomasse lignocellulosique
Les résidus d’agriculture (pailles, tiges de céréales, ensilage d’herbe), les résidus de sylviculture, les cultures énergétiques et les déchets verts sont essentiellement constitués de biomasse lignocellulosique. La lignocellulose est également présente dans les fumiers, lisiers et dans les déchets ménagers.
La biomasse lignocellulosique est majoritairement constituée de parois végétales composéesde trois principales fractions : la cellulose, les hémicelluloses et la lignine, en proportions variant selon la nature de la biomasse et son stade de croissance ou maturité. Les plantes contiennent également d’autres polymères structuraux tels que les cires et protéines et, selon les espèces, des sucres non structuraux, solubles oufacilement hydrolysables.
La cellulose est un polymère linéaire de cellobiose (2 unités de glucose), les polymères étant associés entre eux par des liaisons hydrogènes. La structure de la cellulose comprend des zones ordonnées cristallines qui sont majoritaireset difficiles à hydrolyser et des zones désordonnées amorphes. Les hémicelluloses sont des polymères de xylose (majoritairement représenté), mannose, galactose, rhamnose, glucose et arabinose. De structure amorphe, ils sont plus facilement hydrolysables que la cellulose. Les hémicelluloses sont liées à la cellulose par des liaisons hydrogènes et covalentes. La lignine est un hétéropolymèreamorphe d’unités phénylpropanes, insoluble dans l’eau, qui assure la rigidité des parois végétales et la résistance aux attaques microbiennes. Elle est liée aux polysaccharides par des liaisons covalentes, notamment via les éthers ferruliques. L’ensemble de la cellulose et des hémicelluloses (les holocelluloses) constituent les sucres fermentescibles mais leur accessibilité aux microorganismes et enzymes est limitée par la structure complexe de la lignocellulose. Les prétraitements de la biomasse lignocellulosique ont été alors largement étudiés pour améliorer la digestibilité des fourrages et isoler la cellulose en vue de la production de pâte à papier et de bioéthanol de deuxième génération [232] [233]. Dans le cas de la production de bioéthanol, les objectifs du prétraitement sont la solubilisation de la lignine et des hémicelluloses, la réduction de la cristallinité de la cellulose, l’augmentation de la porosité et de la surface accessible. Les Tableau 62 et Tableau 63 présentent un résumé de l’impact des prétraitements sur la composition et les caractéristiques de la biomasse lignocellulosique.
A l’échelle du pilote de démonstration, les prétraitements les plus utilisés pour la production de bioéthanol 2e génération sont les prétraitements mécaniques et l’explosion à la vapeur, l’auto-hydrolyse
et l’acide sulfurique dilué [234] [235] [236].
A l’échelle industrielle, une usine produisant 40 000 tonnes d’éthanol par an a démarré en octobre 2013 à Crescentino-Italie. Cette usine pouvant traiter jusqu’à 270 000 tonnes/an de biomasse (pailles de blé et de riz, Arundo Donax) utilise un procédé continu d’explosion à la vapeur en deux étapes : la technologie ProesaTM développée par Chemtex Italia SPA [237]. Dans une première étape la biomasse
est imbibée d’eau à l’état vapeur ou liquide (ou un mélange des deux) à une température comprise entre 100 et 210 °C pendant 1 min à 24 h. Une fraction du liquide est retirée et le solide subit une explosion
à la vapeur générant un solide et une deuxième fraction liquide. Les coûts annoncés sont de 230 à 250 US$ par tonne de sucres récupérés [238].
Tableau 62. Principaux prétraitements de la biomasse lignocellulosique utilisés pour la production de bioéthanol
adapté de Monlau et al. [98] et Mosier et al. [232] Prétraitements Impacts
Broyage Réduction de la taille0.1 mm à 50 mm selon les études
Thermique (auto-
hydrolyse) 150-230 °C, 6-34 bar pendant quelques min
Explosion vapeur 150-230 °C, 6-34 bar pendant quelques min suivi d’une décompression rapide ; peut-être catalysé par SO2 ou
H
2SO4Explosion CO2 30-50 °C, 140-180 bar CO2 supercritique pendant 1 h environsuivi d’une décompression
rapide
AFEX “Ammonia fiber explosion” 1-2% ammoniaque liquide, 90-100°C,suivi d’une décompression rapide >30 bar, 30 min environ
ARP “Ammonia recycle percolation” ammoniaque aqueux 10-15%, 150-170°C
Acide dilué 140-200°C, 0.4 à 4 % acide sulfurique ou chloridrique, quelques min
Alcalin 20-55 °C, 1 à 10 % de base (soude, chaux), quelques jours
Oxydation Oxydation en voie humide >120 °C, quelques min ou
H
2O2 en milieu alcalinOrganosolv Solvant (e.g. éthanol, méthanol) + eau+ catalyseur acide, 160-200 °C
Liquides ioniques Liquide ionique (ex 1-ethyl 3-méthyl imidazolium acétate) 50-120 °C, 30 min environ Champignons
filamenteux Champignons de pourriture blanche, aération, humidité, 25 à 30 °C, quelques jours
Tableau 63. Impact des prétraitements sur la biomasse lignocellulosique, adapté de Monlau et al. [98] et Mosier
et al. [232] Augmentation surface Réduction cristallinité Solubilisation hémicellulose Solubilisa- tion lignine Alteration structure lignine Co-produits Broyage ++ + Thermique (auto- hydrolyse) ++ ++ + furfural/ HMF phénols Explosion vapeur ++ ++ + furfural/ HMF phénols Explosion CO2 ++ ++ + AFEX ++ ++ + ++ ++ phénols ARP ++ ++ + ++ ++ phénols
Acide dilué ++ ++ ++ furfural/ HMF
phénols Alcalin ++ + ++ ++ phénols Oxydation + + ++ ++ Organosolv ++ ++ ++ ++ Traces de solvant Liquides ioniques ++ ++ ++ ++ ++ Champignons filamenteux + + + ++
Le coût énergétique des prétraitements impliquant l’action de la chaleur étant directementlié à la teneur en eau de la suspension traitée, de fortes concentrations en matières sèches doivent être favorisées. Ainsi, Schell et al. (2003) [234] ont montré, à l’échelle pilote, la possibilité d’opérer un prétraitement à l’acide dilué à une concentration de 200 kg/m3.
Plus récemment, les prétraitements ont été étudiés afin d’améliorer la méthanisation [239] [98] et à un degré moindre la production d’hydrogène par fermentation sombre [98] de la biomasse lignocellulosique. La société Biogas Systems GmbH est sur le point de proposer un procédé d’explosion à la vapeur « Economizer SE » dédié au prétraitement de résidus agricoles (paille, fumier, cultures énergétiques, etc.) avec une capacité de 0,5 à 3 tonnes de substrat par heure.
Afin d’améliorer la production d’hydrogène, l’objectif du prétraitement sera de maximiser la concentration en sucres solubles [99] [100]. Ainsi des prétraitements d’extraction des sucres solubles pourront être réalisés à partir de biomasses telles que le sorgho sucrier. Par exemple, Antonopoulou et al. (2008) ont réalisé des extractions de 1 heure avec 30 L d’eau à 30 °C pour 5 kg de sorgho sucrier. La fermentation sombre est alors réalisée sur cet effluent liquide.
Concernant la production d’hydrogène par fermentation sombre, le prétraitement aura comme objectif la solubilisation des hémicelluloses et de la cellulose. Les prétraitements acides à haute température et l’explosion à la vapeur seront donc des prétraitements de choix. Toutefois, ces prétraitements conduisent à la génération de co-produitstels que:
- le furfural, issu de la dégradation des pentoses,
- le 5-hydroxyméthylfurfural (HMF), issu de la dégradation des hexoses - des composés phénoliques issus de la dégradation de la lignine.
Selon leurs concentrations, ces composés peuvent inhiber la production de biohydrogène lors de la fermentation sombre [240] [169]. La suspension ou fraction liquide issue du prétraitement doit alors être détoxifiée avant la fermentation sombre. Les inhibiteurs peuvent être partiellement éliminés par adsorption sur charbon actif ou par addition de chaux pour les composés phénoliques, ( [241]).Certaines études ont considéré des prétraitements basiques de la biomasse, mais ces derniers sont plus efficaces s’ils sont combinés à une hydrolyse enzymatique [242]. Dans ce cas, le procédé est identique au procédé de production de bioéthanol. Le prétraitement basique permet d’améliorer l’accessibilité des holocelluloses aux enzymes, la fraction solide est rincéepuis soumise à l’hydrolyse enzymatique en conditions stériles et la fermentation sombre est réalisée sur l’hydrolysat liquide ou sur la totalité de la suspension. Les conditions stériles sont nécessaires afin d’éviter la consommation des sucres libérés par les microorganismes endogènes. L’ajout d’enzymes dans le fermenteur représente une alternative intéressante aux prétraitements d’hydrolyse enzymatique, dans la mesure où aucune étape de stérilisation n’est nécessaire [243]. Les études combinant prétraitements et fermentation sombre de la biomasse lignocellulosique sont récentes et limitées à l’échelle du laboratoire (Tableau 64).
Tableau 64. Exemples d’études à l’échelle du laboratoire de prétraitements de la biomasse lignocellulosique pour
la production de biohydrogène par fermentation sombre. Adapté de Monlau et al. [98] [169]
Lignocellulo-
sic biomass Pretreatment conditions
L H2 kg-1
VSpretreated
Gain in
H2 (%) References
Mechanical Wheat stalk Grinding, 1 mm 17.6 - (Yuan et al., 2011)
Acid
Wheat straw 2% HCl + microwaves 8min 68.1 1460 (Fan et al., 2005)
Cornstalk 0.2 % HCl , boiled 30 min 150 5300 (Zhang et al., 2006)
Wheat bran 0.27 MPa, 60 min, 0.01M HCl 86 69 (Pan et al., 2008) 0.01M HCl, boiled 30 min 81 58 0.01M HCl + 9 min microwave (800 W) 93 81
Lignocellulo-
sic biomass Pretreatment conditions
L H2 kg-1
VSpretreated
Gain in
H2 (%) References
Grass 4 % (w/v) HCl, boiled 30 min 72.2 1538 (Cui and Shen, 2011)
Rice straw
various acids, 150°C 0 (Chang et al., 2011b)
inhibitors removal by lime
and activated carbon 110-220 (Chang et al., 2011b)
Sugar cane
bagasse 1% H2SO4,121°C, 1 h 1.48 b -40
Fangkum and Reungsan, 2011
Soybean straw 4% HCl (w/v), boiled 30 min 47.6 750 (Han et al., 2012)
Sunflower stalks 4% HCl, 170°C, 1 h 0 Monlau et al., 2014
Alkaline
Cornstalks 0.5 % NaOH 57 1966 (Zhang et al., 2006)
Sweet sorghum
stalk 0.4% NaOH, 20°C, 24 h 127 144 (Shi et al.2010)
Beet-pulp
Alkaline (pH=12, 30min) 150 29
(Ozkan et al., 2010) pH=12, 30min)+ Microwaves
(170°C, 700W, 30 min) 86.5 -27
Grass 4 % NaOH (w/v), boiled 30
min 39.5a 760b (Cui and Shen, 2011)
Soybean straw 0.5% NaOH (w/v), boiled 30
min 10.5 92 (Han et al., 2012)
Oxidation Soybean straw
16 % H2O2 (w/v), boiled 30
min 23 320 (Han et al., 2012)
Wheat flour 2 % H2O2 (w/v), 4h, 60°C 31 - (Hawkes et al., 2008)
Enzymatic after a pretreat-ment step
Corn straw
Steam explosion 1.5 MPa, 10 min, + cellulase(25 FPU / g)
68a - (Li and Chen, 2007)
Bagasse 100°C, 2h + cellulase (20 FPU g-1) 31.3 (Chairattanamanokor n et al., 2009) 100°C, 2h, 4% NaOH (w/v) + cellulase (20 FPU g-1) 300 Wheat straw Acid (120°C, 90 min, 2% H2SO4 (w/v) + Enzyme Methaplus 125 2233 (Nasirian et al., 2011) Sunflower stalks 55°C, 24 gh 4% NaOH+ Cellulase(50 U/gTS), β- glucosidase (25 U/gTS), xylanases (50 U/gTS), 49 2030 Monlau et al. 2013c Enzymatic
Poplar leaves 2 % (v/v) viscozyme L 45b 206 (Cui et al., 2010)
Wheat straw
Cellulase and hemicellulases (5 mg protein. g-1 wheat
straw)
19.6 85 (Quemeneur et al.,
2012) Biological Maize leaves Aerobic bacterium Bacillus
amyloliquefaciens 73.1 333 (Ivanova et al., 2009)
a mL H
2 kg-1 TS b mol/molsugar cons