• Aucun résultat trouvé

L’aspect émotionnel d’une simulation future

2. Aspects théoriques

2.3.2 L’aspect émotionnel d’une simulation future

Dans le cadre de cette étude, une attention toute particulière est portée sur l’aspect

émotionnel, spécifiquement sur l’influence de la valence émotionnelle (positive vs. négative) sur la mémorisation des simulations futures.

Il a été déjà établi que les simulations futures sont récurrentes dans notre vie quotidienne et qu’environ 60% d’entre elles sont chargées émotionnellement (D’Argembeau et al., 2011). De plus, dans leur étude, Barsics et ses collaborateurs (2016) soulignent l’importance de la

distinction entre émotion anticipée (émotion qu’on s’attend à ressentir au moment de l’événement anticipé) versus l’ émotion anticipatoire (réponse émotionnelle au moment de

l’imagination d’un événement futur positif ou négatif). En effet, il semblerait que seulement une portion des projections futures (en moyenne 9 par jour) impliquant des émotions

anticipées soit effectivement accompagnée par une émotion anticipatoire. Les auteurs ont pu également constater qu’un des facteurs prédicteurs de la présence d’émotions anticipées et anticipatoires était l’importance personnelle donnée à l’événement en question. Ce résultat s’intègre parfaitement avec le cadre théorique du Modèle des Processus Composants de l’émotion (Scherer, 2001) qui considère que justement la pertinence (et plus spécifiquement le sous-critère de la pertinence relative aux besoins et objectifs de l’individu) soit l’un des critères d’évaluation qui amène au déclenchement d’une émotion dans une situation donnée.

Autrement dit, la présence d’une émotion au cours d’une simulation future nous indiquerait que l’événement imaginé est potentiellement important pour l’individu. Par conséquent, ce même événement devrait être mieux rappelé par la suite qu’un événement imaginé neutre (Spachtholz, Kuhbandner, & Pekrun, 2016).

En ce qui concerne plus spécifiquement le rôle de l’émotion dans la mémorisation des simulation futures, Szpunar et collaborateurs (2012) ont trouvé qu’après un délai de 10

minutes les composants (lieux, personnes, objets) associés aux événements futurs émotionnels (positifs et négatifs) étaient effectivement mieux rappelés que ceux associés aux événement neutres ; tandis qu’après un délai de 24 heures c’étaient les détails relatifs aux événements positifs et neutres qui étaient mieux rappelés par rapport aux détails associés aux événements négatifs. Ces résultats sont cohérents avec d’autres études comme celle de D’Argembeau et al.

(2011) qui ont constaté que les pensées positives orientées vers le futur sont plus fréquentes, plus spécifiques et associées à davantage d’imagerie visuelle. De plus, les temps de réaction pour générer des événements futurs positifs en laboratoire sont mineurs par rapport aux événements négatifs (D’Argembeau & Van der Linden, 2004). Selon les théories

motivationnelles, et plus précisément du focus régulateur (Higgins, Shah, & Friedman, 1997), ce dernier résultat indique que la force du but pour générer des événements positifs est plus élevée que celle pour générer des événements négatifs.

Les résultats ci-dessus semblent suggérer qu’il existe une sorte de facilitation envers la génération et la récupération d’événements à valence positive. Effectivement, ce type de résultats peut s’expliquer par la présence de plusieurs biais cognitifs dont le biais de positivité (Baumeister, 1998), le biais optimiste envers le futur (Taylor & Brown, 1988), ainsi que le fading affect bias ou FAB (Walker & Skowronski, 2009) qui signifie littéralement « le biais

de l’affect qui s’atténue ». Afin de comprendre les résultats de Szpunar et al. (2012), un bref survol sur les implications de ces biais est nécessaire.

Le biais de positivité se définit par le fait que la plupart des personnes tend à traiter, encoder et récupérer préférentiellement les informations qui amènent à un concept de soi positif (Baumeister, 1998). Un parallèle peut également être fait avec la fonction de self-coherence, ou cohérence de la mémoire autobiographique (Singer & Conway, 2011) qui nous amène à sélectionner préférentiellement les souvenirs qui sont cohérents avec nos buts, nos croyances et notre identité. Par conséquent, si l’on a une conception de soi positive, on aura également tendance à récupérer, de préférence, des souvenirs autobiographiques positifs.

Étant donné les liens existants entre la récupération de souvenirs du passé et la génération de simulations futures (cf. 2.1 Le souvenir du passé qui construit le futur), il n’est pas surprenant de retrouver qu’il existe également un biais optimiste envers le futur. Déjà en 1980, Weinstein avait trouvé que, par rapport à leurs pairs, les individus estimaient avoir plus de probabilités de vivre des expériences positives et moins de probabilités de vivre des expériences négatives dans leur futur.

Comme mentionné, les pensées positives orientées vers le futur semblent être plus fréquentes, spécifiques et vivaces (D’Argembeau et al., 2011). À ce propos, déjà en 1988 Taylor et Brown avaient fait l’hypothèse que de telles représentations détaillées des événements positifs (passés ou futurs) pourraient être un important facteur de motivation pour les comportements actuels (p.ex. travailler plus longtemps et intensément sur une tâche), les comportements prosociaux ainsi que, de manière générale, être un facteur extrêmement important pour préserver la santé mentale de l’individu. En effet, des études plus récentes portant sur la résilience (Bonanno, 2004) et des études issues de populations cliniques (Korn, Sharot, Walter, Heekeren, & Dolan, 2014; Wu, Szpunar, Godovich, Schacter, & Hofmann, 2015), semblent confirmer ce dernier point.

En ce qui concerne le lien entre le biais positif et la simulation d’événements futurs plus spécifiquement, Devitt et Schacter (2018) viennent de publier une étude montrant que la simulation d'un événement futur change la façon dont cet événement est mémorisé une fois qu'il s’est produit. Plus précisément, les auteurs ont mené deux expériences dans lesquelles les participants ont simulé des événements futurs émotionnels avant d'en apprendre l’issue

hypothétique via des récits qui leur étaient fournis par les expérimentateurs. Les résultats montrent que les récits neutres étaient considérés comme plus positifs s'ils étaient d'abord simulés positivement : ce schéma était évident à la fois dans un biais de réponse libérale

(c.à.d. plus fréquente) pour une information positive et dans des évaluations émotionnelles plus favorables pour l'événement rétrospectivement. En revanche, la simulation négative n'a pas eu d'impact sur la mémoire ultérieure. Ces résultats fournissent de nouvelles perspectives sur les conséquences cognitives de la simulation future épisodique et s'intègrent à la littérature du biais de positivité montrant que l'adoption d'une perspective optimiste entraîne également une mémoire plus positive du passé.

Néanmoins il est important de souligner, comme suggéré par Barsics et al. (2016), que le biais positif observé dans la fréquence des pensées positives orientées vers le futur semble se limiter uniquement aux émotions anticipées, sans s’étendre aux émotions anticipatoires.

Autrement dit, les individus estimeraient avoir davantage d’émotions positives vécues dans le futur par rapport aux émotions négatives, sans pourtant que cela affecte leur capacité

d’anticiper et ressentir aussi bien les émotions positives que négatives au moment spécifique de la simulation. Ce résultat s’inscrit bien dans une perspective adaptative du biais positif car en effet, si l’effet du biais s’étendait également aux émotions anticipatoires, cela entraverait notre capacité à ressentir et anticiper des émotions négatives et, par conséquent, notre capacité à anticiper des potentielles menaces de notre environnement et/ou des conséquences aversives de notre propre comportement.

Toutefois, le biais positif tout seul n’est pas en mesure d’expliquer pourquoi dans l’étude de Szpunar et al. (2012) les événements négatifs étaient moins bien rappelés que les événements positifs ou neutres. C’est là qu’entre en jeu le fading affect bias (FAB) (Walker &

Skowronski, 2009) qui se définit par le fait que l’affect associé à une expérience négative tend à s’affaiblir plus rapidement que l’affect à associé à une expérience positive. Pourtant, dans l’étude de Szpunar et collaborateurs (2012) c’étaient les détails associés aux événements négatifs qui étaient moins bien rappelés et non pas l’affect négatif en soi.

À ce propos, plusieurs auteurs suggèrent que de manière générale l’affect facilite l’encodage des informations en mémoire et le subséquent rappel de ces informations, favorisant le

binding, ou liaison, des détails dans une représentation cohérente (Demblon & D’Argembeau, 2016; Mather & Sutherland, 2011; Spachtholz et al., 2016).

Pour conclure sur l’étude de Szpunar et al. (2012), afin de justifier leurs résultats, les auteurs avancent une hypothèse qui lie le FAB avec le binding, et le subséquent rappel, des détails d’un événement donné. Ils proposent que l'affect associé à la simulation mentale d'un événement futur sert à relier les autres composants de cette simulation, rendant donc la représentation mentale de la simulation plus compacte et unifiée par rapport à sa structure. À

fur et à mesure que la composante affective se dissipe, l'intégrité de la simulation mentale y associée diminue également. Si l'affect négatif s'estompe plus rapidement que celui positif comme cela a été démontré par le FAB (Walker & Skowronski, 2009), alors des longues intervalles de rétention devraient davantage entraver la mémoire pour les simulations négatives par rapport aux simulations positives ou neutres, ce qui correspond aux résultats obtenus par Szpunar et al. (2012).

Au total, il y a donc des solides raisons pour considérer que la composante affective soit impliquée dans la mémorisation d’événements futurs et qu’elle puisse représenter un facteur prédicteur de la subséquente récupération de ces événements.

Documents relatifs