• Aucun résultat trouvé

L’hypothèse de la simulation épisodique constructive

2. Aspects théoriques

2.1.1 L’hypothèse de la simulation épisodique constructive

La même année que les premières études de neuroimagerie mettaient en évidence le « core network », Schacter et Addis (2007) ont proposé l’hypothèse de la simulation épisodique constructive afin de tenter d’expliquer cet apparent chevauchement entre le rappel du passé et l’imagination du futur.

Afin de comprendre pleinement cette hypothèse, il faut d’abord savoir que la mémoire épisodique est conçue comme un processus fondamentalement constructif, plutôt que reproductif, en ce sens qu’il s’agit d’une reconstruction de la réalité et non pas d’une reproduction de la réalité telle quelle (Schacter & Addis, 2007; Schacter, Norman, &

Koutstaal, 1998). Dit autrement, la mémoire épisodique n’est pas une faculté unifiée, au contraire, elle est composée de plusieurs « fragments » d’information qui ensemble

construisent une représentation mentale du passé. Cette dimension constructive est d’ailleurs la raison pour laquelle notre mémoire est sujette à toute sorte d’erreurs et distorsions.

L’hypothèse de la simulation épisodique constructive postule que la nature constructive de la mémoire épisodique est due, au moins en partie, au rôle que ce système de mémoire a dans notre capacité à simuler mentalement le futur. En d’autres mots, selon cette hypothèse, une des fonctions cruciales de la mémoire épisodique est de rendre accessibles les portions d’information stockées pour qu’on puisse les recombiner dans une simulation du futur.

Pour l’instant, les données existantes dans la littérature semblent appuyer cette hypothèse. Par exemple, dans une étude publiée récemment, McDermott, Wooldridge, Rice, Berg et Szpunar (2016) ont examiné les perspectives visuelles à partir desquelles des événements étaient récupérés ou imaginés afin de comprendre s’il existe une certaine préférence pour la perspective d’acteur (en première personne) versus une perspective d’observateur (en troisième personne) selon la dimension temporelle. Ils ont trouvé que les deux (récupération d’événements passés et imagination d’événements futurs) contenaient davantage de

perspectives d’observateur. Les auteurs ont par la suite examiné la fréquence à laquelle une perspective d’observateur a été présente, ainsi que les localisations spatiales (c.à.d. les différents points de vue) existantes lors de cette perspective. Bien que les événements futurs aient été plus susceptibles d’être imaginés à partir d’une perspective d’observateur, les localisations spatiales, à l’intérieur de cette perspective, étaient très semblables pour les événements passés et imaginés.

Ces résultats suggèrent qu’un mécanisme constructif similaire pourrait être à l’œuvre lorsque

les individus se souviennent d’événements dans une perspective qui n’aurait pas pu être vécue dans le passé et lorsqu’ils imaginent des événements dans une perspective qui ne pourra pas se produire dans l’avenir. Ceux-ci corroborent l’hypothèse de la simulation épisodique constructive.

Néanmoins, certains auteurs trouvent important de mettre l’accent sur le fait que la pensée épisodique future n’est pas simplement une expression directe de la mémoire épisodique (Klein, 2016; McLelland, Schacter, et al., 2015; Schacter & Madore, 2016; Szpunar, 2010a, 2010b; Wang, Yue, & Huang, 2016). En effet, le rôle de la mémoire dans la projection du futur n’a pas encore été complètement élucidé. Plusieurs auteurs comme Klein (2016) ou Szpunar (2010a, 2010b) mettent en garde, à juste titre, qu’assumer un rôle causal ou exclusif de la mémoire épisodique dans la génération des simulations d’événements futurs est

réducteur et hâtif par rapport aux évidences disponibles dans la littérature. Dans cette même publication, Klein propose que ce soit la composante autonoétique (c.à.d. la capacité de ré- ou pré-vivre mentalement un événement passé ou futur) de la mémoire épisodique, plutôt que la mémoire épisodique en soi, qui constitue la condition permettant la projection mentale dans le futur. Quant à Szpunar, les résultats de son étude (Szpunar, 2010b) suggèrent que la

génération d’événements futurs est sujette aux effets de l’amorçage, qui est bel et bien un processus implicite ne faisant pas partie de la mémoire épisodique. Autrement dit, Szpunar a démontré que la mémoire épisodique n’a pas un rôle exclusif dans la pensée épisodique future et que cette dernière peut être modulée par d’autres systèmes de mémoire, notamment la mémoire non déclarative (implicite).

2.2 Le rôle adaptatif de la simulation d’événements futurs

Au-delà des conceptualisations théoriques, un aspect sur lequel on retrouve un large

consensus parmi les chercheurs du domaine est l’attribution d’une signification fonctionnelle à la simulation d’événements futurs.

Ingvar (1985) lui-même avait parlé d’une optimisation de l’efficacité des comportements futurs. Quelques années plus tard, Taylor et Schneider (1989, cité par Szpunar, 2010a) ont proposé que la capacité de simuler des passés alternatifs et des futurs hypothétiques pourrait être utilisée pour réguler des états émotionnels et motiver des comportements dirigés par les buts.

Depuis, un nombre croissant d’études expérimentales et cliniques suggère l’existence de multiples bénéfices associés à la pensée épisodique future principalement en ce qui concerne

la prise de décision (O’Neill, Daniel, & Epstein, 2016; Snider, LaConte, & Bickel, 2016;

Stein et al., 2016, 2017) ; la régulation émotionnelle et le bien-être psychologique (Demblon

& D’Argembeau, 2016; Jing, Madore, & Schacter, 2016, 2017; MacLeod, 2016; Taylor, Pham, Rivkin, & Armor, 1998) ; la représentation du soi et de l’identité personnelle (D’Argembeau, Lardi, & Van der Linden, 2012; Rathbone, Conway, & Moulin, 2011) ; le comportement prosocial (Cernadas Curotto, 2016; Gaesser & Schacter, 2014) ; la mémoire prospective et la formation d’intentions (Neroni, Gamboz, & Brandimonte, 2014) ainsi que la planification et la résolution de problèmes (Arnold, Iaria, & Ekstrom, 2016; Jing et al., 2016;

Klein, Robertson, & Delton, 2010, 2011; Sheldon, McAndrews, and Moscovitch, 2011, cité par McLelland, Schacter, et al., 2015).

Concrètement, des bénéfices concernant la prise de décision ont été retrouvés chez une population tout-venant (O’Donnell, Oluyomi Daniel, & Epstein, 2017) et chez des populations cliniques amenant à des meilleurs comportements de santé chez des obèses (O’Neill et al., 2016) ainsi que chez les dépendants à l’alcool (Snider et al., 2016) et aussi chez les fumeurs (Stein et al., 2016).

Récemment, Jing et ses collaborateurs (2016, 2017) ont effectué deux études testant l’effet d’une induction de spécificité épisodique, c.à.d. un bref entraînement au rappel des détails (personnes, lieu, actions) présents au cours d’une vidéo visionnée au préalable, et cela chez une population d’étudiants universitaires. Dans la première étude les auteurs se sont intéressés aux capacités de résolution de problèmes et de reappraisal, ainsi qu’au bien-être général des étudiants, face à des événements futurs stressants. En comparaison avec un groupe contrôle n’ayant pas reçu l’induction de spécificité, le groupe expérimental a rapporté moins d’anxiété, une moindre probabilité perçue d’issues négatives, ainsi qu’une moindre difficulté de maîtrise de ces dernières. Il a aussi rapporté une majeure probabilité perçue d’issues positives et davantage de comportements de maîtrise. Dans la deuxième étude, les étudiants ayant reçu l’induction de spécificité ont pu générer davantage d’issues alternatives face à des événements futurs négatifs par rapport aux étudiants contrôle.

Par ailleurs, dans une étude ciblant spécifiquement la pensée émotionnelle future (Barsics, Van der Linden, & D’Argembeau, 2016), les auteurs ont directement examiné les croyances des participants concernant les fonctions associées à leurs pensées émotionnelles futures.

Dans plus de 60% des cas, les participants ont rapporté des liens avec la planification, la formation d’intentions ou la prise de décision ; tandis que dans le 40% des cas restant, les pensées émotionnelles futures étaient perçues comme relatives à la régulation émotionnelle

soit du moment présent (c.à.d. se rassurer pour se sentir mieux maintenant), soit en vue d’un moment futur (c.à.d. se préparer pour faire face à des émotions difficiles dans le futur). Bien que ces fonctions soient auto-rapportées, il est intéressant de constater que les individus-mêmes soient conscients des utilités que pourraient avoir leurs cognitions orientées vers le futur.

2.3 Présentation de la question de recherche : les souvenirs du futur

Comme le démontrent les études mentionnées ci-dessus, il existe plusieurs évidences pour accorder une fonction adaptative à la simulation d’événements futurs. De ce fait, il est nécessaire que les événements qui sont simulés soient également encodés et maintenus en mémoire afin de pouvoir être récupérés selon les besoins de l’individu (Szpunar, Addis, McLelland, & Schacter, 2013). Autrement dit, pour qu’on puisse véritablement bénéficier des simulations futures, il faut premièrement que ces simulations soient mémorisées et,

deuxièmement, qu’elles soient accessibles au moment où on veut s’en servir.

Cependant, de même que pour les pensées ou les raisonnements, pas toutes les cognitions que nous avons au cours d’une journée vont être disponibles par la suite. Étant donné que nos ressources cognitives sont limitées, notre esprit effectue une sélection d’informations potentiellement importantes pour les encoder et les rendre ensuite accessibles en mémoire.

Bien que les simulations orientées vers le futur semblent être mieux encodées que d’autres simulations non-orientées (Klein et al., 2010, 2011; Klein, Robertson, Delton, & Lax, 2012), il est clair que pas toutes les projections futures sont retenues en mémoire.

La question qui se pose assez intuitivement est donc la suivante : qu’est-ce qui fait qu’une certaine simulation future sera encodée en mémoire et pourra ensuite être récupérée ? Autrement dit, comment une simulation du futur devient-elle, à son tour, un souvenir du futur ? Telle est la grande inconnue. En effet, les mécanismes impliqués dans la mémorisation d’événements futurs n’ont pas encore été clairement déterminés.

Néanmoins, on observe une certaine convergence de résultats d’études qui ont investigué ces mécanismes de manière empirique.

Documents relatifs