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Le but général de cette étude était d’évaluer dans quelle mesure l’émotion influence la mémorisation des événements futurs imaginés en termes de leur phénoménologie et de leur contenu, et plus spécifiquement, de comprendre s’il existe un effet différentiel de la valence émotionnelle. Autrement dit, notre objectif principal était d’examiner si les caractéristiques des simulations futures sont modulées de manière différente selon si la simulation a une valence positive ou négative pour le participant, et de comprendre comment cela évolue entre le moment de l’encodage et le moment de la récupération des simulations.

6.1.1 Phénoménologie

Concernant la phénoménologie, on peut dire que notre hypothèse générale sur la valence émotionnelle est partiellement confirmée, c.à.d. qu’on observe un biais positif pour certaines caractéristiques phénoménologiques, mais pas pour toutes. Les résultats ont mis en évidence que l’effet différentiel de l’émotion semble être plus prononcé pour la phase d’imagination que pour la phase de rappel. En effet, 5 caractéristiques diffèrent significativement en fonction de la valence pour la phase d’imagination (détails sensoriels, valence des émotions anticipées et anticipatoires, intensité de l’émotion anticipatoire, probabilité de l’événement) et seulement 2 pour la phase de rappel (valence des émotions anticipées et anticipatoires).

Concrètement, les analyses montrent que lors de la phase d’imagination les événements positifs sont évalués comme étant plus riches en détails sensoriels, plus intenses au niveau de l’émotion anticipatoire (c.à.d. au niveau de l’émotion réellement ressentie par le participant lors de la tâche d’imagination) et sont perçus comme étant plus probables de se réaliser par rapport aux événements négatifs. Ces résultats s’intègrent bien avec la littérature existante qui suggère l’existence d’un biais positif pour la phénoménologie des événements futurs

(D’Argembeau et al., 2011; Szpunar et al., 2012; Taylor & Brown, 1988).

Quant à la valence de l’émotion (qu’elle soit anticipatoire ou anticipée), elle a été mesurée sur un continuum allant de 1 (très négative) à 7 (très positive), 4 étant une absence d’émotion. Le fait que la valence soit fortement significative lors des deux phases de l’étude nous assure que la manipulation expérimentale de l’émotion a été efficace et que les événements que les participants ont imaginé sont bien discriminés selon leur valence positive ou négative. Les valences des émotions anticipées et anticipatoires sont, d’ailleurs, les seules caractéristiques qui diffèrent significativement entre les deux types d’événements lors de la phase de rappel.

À ce propos, plusieurs caractéristiques d’événements rappelés différaient significativement entre les événements positifs et négatifs avant la correction pour comparaisons multiples (clarté générale, clarté des personnes, détails sensoriels, voyage mental) indiquant tout de même une tendance vers un potentiel biais positif également pour la phase de rappel.

Étant donné que nous avons retrouvé un effet principal de la phase (voir ci-dessous), tous les événements sont moins riches phénoménologiquement lors de la phase de rappel, qu’ils soient positifs ou négatifs. Il est possible que nos échelles de Likert n’aient pas été suffisamment sensibles et/ou que la taille de notre échantillon était beaucoup trop petite pour détecter une différence entre les événements à valence positive et négative.

Il convient de brièvement aborder certaines variables phénoménologiques qui étaient significatives dans un premier temps, mais plus après avoir appliqué la correction de

Benjamini-Hochberg, car elles pourraient être potentiellement intéressantes pour des études futures. La familiarité du lieu et la facilité de l’imagination des événements négatifs se sont révélées plus élevées que pour les événements positifs. Effectivement, la présence de stimuli familiers signale normalement un contexte qui est sécure et donc rassurant. En revanche, les états négatifs signalent souvent la présence de menaces dans l’environnement. Il est possible que la présence d’un lieu familier pendant l’imagination d’un événement négatif reflète une tentative de contrebalancer les affects négatifs présents au cours de ce dernier. Certains

auteurs ont déjà montré que l’humeur est en mesure de changer la valeur de la familiarité d’un certain stimulus : quand on se trouve dans une humeur négative on a besoin d’être rassuré, ce qui nous amène à davantage préférer des stimuli familiers par rapport à quand on se trouve dans une humeur positive (de Vries, Holland, Chenier, Starr, & Winkielman, 2010; voir aussi Schwarz, 2002). En effet, ces auteurs ont montré que quand on se trouve dans un état positif, la présence d’un stimulus familier n’est pas si importante et saillante que lorsqu’on se trouve dans un état négatif ; au contraire, l’humeur positive augmenterait la préférence vers les stimuli nouveaux et les comportements d’exploration. La présence de lieux nouveaux que les participants n’ont jamais visités pourrait donc expliquer pourquoi les lieux des événements positifs étaient moins familiers par rapport aux événements négatifs lors de la phase d’imagination. Dans ce cas on devrait également s’attendre à une moindre clarté des lieux pour les événements positifs versus négatifs, et il s’agit d’une tendance (non significative) qu’on retrouve dans la phase d’imagination de notre étude.

Cependant, cela n’expliquerait pas pourquoi les personnes impliquées dans les événements positifs aient tout de même tendance à être plus familières que dans les événements négatifs.

Il a été suggéré que les personnes tendent à avoir davantage de liens causaux avec les autres éléments de l’événement (p.ex. d’autres personnes ou objets) (Radvansky & Zacks, 2014), d’où l’idée que les personnes puissent lier ensemble les autres composants de l’événement.

Étant donné qu’il s’agit d’agents qui interagissent avec leur environnement, il fait sens qu’ils soient en mesure de le modifier, et donc d’avoir un rôle causal actif sur le reste du contenu.

Dans la même lignée, il serait donc probable que la simple présence de certaines personnes au cours d’un événement influence également la valence générale de ce dernier. Par exemple, retrouver une personne qu’on aime bien et qu’on ne voit pas depuis longtemps pourrait en soi constituer un événement positif. Il est même possible que dans certains cas ce soit la personne qui détermine à part entière la valence d’un événement donné. Nous pourrions donc spéculer que les participants aient davantage associé la présence de leurs chers (et donc de personnes très familières) aux événements positifs, car ils leur attribuent déjà une certaine valence positive. Au contraire, ils auraient préféré imaginer des inconnus (ou des personnes qu’ils n’aiment pas) lors d’un événement négatif, et cela d’autant plus si on considère que les personnes aient effectivement un lien causal avec le reste du contenu. D’ultérieures études sont nécessaires afin de confirmer cette hypothèse.

Finalement, le fait que les participants aient trouvé les événements négatifs plus faciles à imaginer va non seulement à l’encontre de nos hypothèses, mais également à l’encontre des études précédentes faites dans ce domaine (voir D’Argembeau & Van der Linden, 2004;

Szpunar & Schacter, 2013). Il faudrait pouvoir d’abord répliquer ce résultat afin de s’assurer que cela ne soit pas une fluctuation due au hasard. Néanmoins, une potentielle piste

d’interprétation nous est fournie par l’hypothèse du cognitive tuning (Schwarz, 2002) qui postule une adaptation de notre système cognitif à l’humeur actuelle. En effet, d’après cette hypothèse, lorsqu’on se trouve dans une humeur négative, on aurait tendance à mobiliser plus d’effort et adopter un style de traitement analytique, avec une attention particulière aux détails, et cela dans le but de détecter des potentiels dangers dans notre environnement. En revanche, lorsqu’on se trouve dans une humeur positive, on aurait tendance à mobiliser moins d’effort et adopter un style de traitement heuristique, avec moins d’attention aux détails vu qu’on se sent en sécurité. Bien que ces styles de traitement adoptés spontanément puissent être remplacés par les exigences de la tâche ou nos buts personnels (contre une mobilisation d’effort cognitif), ils sont tout de même susceptibles d'influencer nos performances cognitives dans de nombreuses circonstances. De plus, dans le cadre de cette étude, nous avons

explicitement demandé aux participants d’être le plus exhaustifs possible quant aux détails

des événements imaginés afin de générer des événements précis et spécifiques.

Par conséquent, selon cette hypothèse, les participants auraient mobilisé plus d’effort pour générer des événements positifs vu que les exigences liées à la tâche (c.à.d. l’attention aux détails) allaient à l’encontre du style cognitif heuristique induit par l’humeur positive. Au contraire, dans le cas des événements négatifs, on devrait observer un effet facilitateur de l’humeur étant donné qu’elle est congruente avec les consignes de la tâche. Cela pourrait, donc, expliquer pourquoi les participants ont trouvé les événements négatifs plus faciles à imaginer par rapport aux événements positifs.

Pour terminer sur la phénoménologie des événements lors de la phase d’imagination, un autre but de cette étude était de répliquer les résultats de Jeunehomme et D’Argembeau (2017) concernant les prédicteurs phénoménologiques du rappel des événements imaginés. Aucune caractéristique phénoménologique mesurée lors de la phase d’imagination n’était en mesure de prédire le rappel subséquent des événements. Cependant, il est important de noter que le taux de rappel moyen dans cette étude s’élève à 77% qui est plus élevé par rapport à ce qui est généralement rapporté dans la littérature du domaine (autour du 50% pour Jeunehomme &

D’Argembeau, 2017; McLelland, Devitt, et al., 2015; Szpunar et al., 2012). Il est possible que nous n’ayons pas collecté suffisamment d’événements non rappelés afin de détecter une différence par rapport aux événements rappelés. De plus, comme mentionné supra nous n’avons pas utilisé de mots-indice pour faciliter la génération des événements futurs. Les participants ont généré des événements personnels tout en respectant les critères qui leur ont été fournis (c.à.d. des événement spécifiques et détaillés, se déroulant dans un lieu et à un moment précis et contenant les 5 composants). Il s’agit d’un processus qui nécessite un traitement cognitif approfondi ou, comme mentionné ci-dessous, analytique pour chaque événement imaginé et, de ce fait, pourrait davantage renforcer l’encodage et le rappel des événements par rapport à lorsqu’on utilise une procédure d’indiçage. En effet, cela correspond à l’effet de la « profondeur de traitement » (Craik & Tulving, 1975) qui implique que plus le matériel à mémoriser est soumis à un traitement profond, conceptuel, mieux il est encodé.

Craik et Tulving expliquent cet effet par le niveau d’élaboration auquel est soumis un stimulus donné : plus le matériel à mémoriser est traité en profondeur et plus il est relié avec des connaissances préalables. Ces relations sont par la suite co-activées une fois que

l’individu tente de récupérer ce matériel, ce qui faciliterait son rappel.

Malgré un taux de rappel relativement élevé, nous avons pu tout de même observer un autre effet du biais positif dans la phase de rappel : comme postulé par notre hypothèse, les

événements positifs ont été davantage rappelés par rapport aux événements négatifs. Ce résultat est également cohérent avec la littérature du domaine (Jeunehomme & D’Argembeau, 2017; Szpunar et al., 2012).

Finalement, nous étions aussi intéressés à examiner les différences phénoménologiques des événements entre la phase d’imagination et la phase de rappel, indépendamment de leur valence émotionnelle. Nos résultats corroborent ceux de Jeunehomme et D’Argembeau (2017, Tableau 5) suggérant que pendant la phase d’imagination les événements sont dans

l’ensemble plus clairs, détaillés, intenses au niveau du ressenti émotionnel (anticipé et

anticipatoire), ainsi que caractérisés par un plus fort sentiment de pré-expérience et de voyage mental dans le futur par rapport aux événements récupérés une semaine plus tard. Cependant, nous n’avons pas pu répliquer une meilleure clarté des personnes, qui, dans notre étude restent tout autant claires pendant l’imagination et le rappel, mais diffèrent en fonction de l’émotion.

Autrement dit, les participants ont récupéré les personnes de manière aussi claire qu’ils les ont imaginées et, de manière générale, les personnes impliquées dans les événements positifs étaient plus claires que celles impliquées dans les événements négatifs. Dans le cadre de cette étude, ce résultat est cohérent avec l’hypothèse, discutée auparavant, qui explique une

majeure familiarité des personnes au cours des événements positifs grâce à la présence de personnes plus connues par le participant, ce qui va de pair avec une majeure clarté et un meilleur rappel de ces dernières.

Pour conclure, si D’Argembeau et Van der Linden (2004) ont montré que les souvenirs d’expériences passées sont dans l’ensemble plus clairs et détaillés par rapport aux

représentations d’événements futurs, nous pouvons maintenant affirmer que ces dernières sont, à leur tour, plus claires et détaillées des souvenirs d’événements futurs (souvenirs passés

> simulations futures > souvenirs des simulations futures). Cette apparente hiérarchie est parfaitement en accord avec le concept de reality monitoring développé par Johnson et Raye (1981; voir aussi Johnson et al., 1988). En bref, ces autrices ont suggéré que les souvenirs provenant de nos perceptions devraient avoir davantage d’informations perceptives (p.ex.

couleur et son), d’informations contextuelles (heure et lieu) et des détails plus significatifs, alors que les souvenirs provenant de nos cognitions (comme les simulations futures) devraient avoir davantage d’informations sur les processus cognitifs (sensoriels, perceptuels ou

réflexifs) qui les ont générés. Bien évidemment, ces différences de mémoire reflètent des différences présentes à la base entre la perception et l’imagination, ce qui joue un rôle crucial dans la distinction entre réalité et imagination.

6.1.2 Contenu

Comme mentionné, un autre objectif de cette étude était de voir si on retrouvait un biais positif également au niveau du contenu des événements. Plus spécifiquement, comprendre si le contenu des événements positifs était plus riche du contenu des événements négatifs. Les résultats suggèrent que ce n’est pas le cas, ni pour la phase d’imagination ni pour le rappel.

Comme mentionné, les consignes pour la tâche d’imagination exigent que les 5 composants soient présents au moins une fois pour chacun des événements, indépendamment de leur valence. Si cela n’avait pas été contraint par les exigences de la tâche, il est probable que les participants n’auraient pas systématiquement imaginé autant de composants pour les

événements positifs et négatifs. En alternative, il est également possible que seule la

phénoménologie, et pas le contenu, des événement soit sujette à une modulation de l’émotion.

En effet, vu le rôle fonctionnel de la pensée épisodique future, il est plausible qu’on soit capable d’imaginer des événements négatifs de manière aussi complète que des événements positifs. En cas contraire, on serait entravé dans notre capacité à anticiper des éventuelles situations négatives que l’on aimerait éviter, ce qui ne serait plus adaptatif. En d’autres termes, la qualité phénoménologique (p.ex. clarté ou familiarité) des composants semble différer en fonction de l’émotion, ce qui n’en est pas de même pour leur quantité qui, elle, reste invariable pour les deux type d’événement.

En revanche, nous avons pu reproduire les résultats de Jeunehomme et D’Argembeau (2017) par rapport au rappel préférentiel des lieux, des personnes et des émotions ce qui renforce davantage l’idée que ces composants soient particulièrement importants pour la structure et la cohérence générale de l’événement imaginé.

Pour résumer les hypothèses qui ont été avancées sur le rôle de ces trois composants, on trouve que, premièrement, la construction d’un contexte spatial (et donc du lieu) dans lequel les autres éléments peuvent être intégrés est fondamental pour les processus d’imagination et de récupération des événements (Robin, Wynn, & Moscovitch, 2016). Deuxièmement, nous avons déjà mentionné des connexions causales que les personnes pourraient avoir avec le reste des composants et, de ce fait, jouer un rôle central dans la structure d’un événement (Radvansky & Zacks, 2014). Troisièmement, Szpunar et al. (2012 ; cf. 2.3.2 L’aspect émotionnel d’une simulation future) proposent que l’émotion agisse en tant que collant afin d’encoder les autres éléments ensemble dans une représentation mentale unifiée.

Autrement dit, les lieux, les personnes et les émotions joueraient les trois des rôles d’intégration des autres éléments de l’événement, mais la dynamique de ce processus, les

apports spécifiques de chacun de ces trois composants et leurs éventuelles interactions sont loin d’être éclairés. Comme discuté auparavant, il est possible que les personnes et les

émotions soient liées plus que l’on ne le pense, notamment par le fait que certaines personnes apportent une valence affective qui leur est intrinsèque. On pourrait, d’ailleurs, faire la même affirmation concernant des lieux auxquels on est particulièrement attaché. Il est donc

nécessaire de comprendre dans des études futures, d’une part, dans quelle mesure c’est la nature du composant lui-même qui joue un rôle d’intégration, et d’autre part, dans quelle mesure la valence émotionnelle qui leur est associée contribue à façonner la valence générale de l’événement.

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