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Par souci de clarté mais aussi parce que leurs histoires sont bien différentes l'une de l'autre, les conversions en forêt domaniale et dans les bois communaux seront traitées séparément. Malgré la cohérence politique et juridique des forêts publiques assurée par le régime forestier, les gestions techniques de ces deux types de forêt restent distinctes jusqu'aux Trente glorieuses. Dans les bois des collectivités, les Eaux et Forêts gardent avant tout un rôle de veille administrative et de régulation de l'offre d'affouage. En forêt du Domaine, l'accent est mis sur la valorisation économique et l'alimentation des entreprises françaises en bois d'oeuvre et d'industrie. Loin d'être négligeable pour notre étude, la gestion des forêts communales durant le XIX° siècle et la première moitié du XX° siècle est marquée par de profondes mais silencieuses mutations : elles préparent progressivement les bouleversements de la seconde partie du siècle. De 1824 à 1950, ces évolutions seront abordées tour à tour en terme de continuité et de changement, voire de rupture avec la période d'Ancien Régime sans qu'il soit vraiment possible de dater les points tournants de portée générale. La tendance des cinquante dernières années à l'augmentation générale de l'activité de la filière forêt-bois, corollaire de la croissance nationale, va bien sûr dans le sens d'une homogénéisation des pratiques sylvicoles entre forêts domaniales et communales. Il reste cependant deux équations de gestion différentes. Si les orientations de production de la forêt du Domaine sont

directement en prise avec l'évolution de la politique économique de l'Etat, la gestion des forêts des collectivités apparaît comme le produit d'une interaction entre les différents contextes locaux et les besoins économiques globaux de la filière forêt-bois. Tributaire d'un tissu rural relativement dense jusqu'au lendemain de la seconde guerre mondiale, la gestion forestière communale ne s'oriente que tardivement vers la conversion des Taillis-sous-Futaie. Le début des Trente glorieuses marque approximativement le tournant entre deux périodes d'inégale importance.

Au delà de la dichotomie classique entre bois communaux et forêts domaniales, la tentation a par ailleurs été grande de séparer l'étude des conversions domaniales mosellanes de celles des autres départements lorrains. Malgré une histoire administrative différente durant l'Annexion de 1871 et derrière les a priori véhiculés par la bibliographie, nous verrons qu'en fait il y a une unité dans la gestion sylvicole des forêts du Grand Plateau Lorrain de part et d'autre de la limite fossilisée entre la France dite de l'intérieur et la Lorraine annexée. Afin de révéler les rapports complexes et largement méconnus entre les sylvicultures françaises et allemandes, nous avons choisi une approche territoriale synthétique de l'histoire des conversions lorraines durant la période 1870 à 1918. Quatre périodes de 30 à 60 ans chacune peuvent finalement rendre compte des grandes phases de développement du progrès sylvicole dans les forêts du Domaine privé de l'Etat. La chronologie de ces périodes d'étude se fonde sur les principales coupures événementielles de l'histoire contemporaine : elles correspondent approximativement aux inflexions majeures de la politique forestière française. L'importance et la qualité des sources suivent le rythme événementiel et paraissent même des marqueurs fidèles de l'intérêt politique porté au développement des conversions, sources de matériaux de

construction et de richesses nationales. La politique générale de la France, la politique sectorielle forestière et l'état des sources forment un tout dont la cohérence est à souligner.

Avec des mailles relativement larges, la grille de notre analyse géorétrospective se trouve assez mal adaptée pour saisir les évolutions de l'espace forestier liées aux courtes périodes de conflit. Que ce soit entre 1914 et 1918 ou entre 1939 et 1945, la gestion sylvicole d'exception des temps de guerre ou d'occupation échappe à notre investigation. Vu l'inertie du mouvement de conversion, le pas de notre chronologie ne paraît cependant pas devoir être remis en cause. Dans la mesure où une structure administrative régule l'exploitation des bois et assure la continuité de l'oeuvre de conversion, l'influence de quelques années de gestion sylvicole spéciale reste globalement relativement négligeable sur le très long terme d'une transformation séculaire. Localement nous serons bien sûr amenés à étudier les conséquences directes de la guerre sur la qualité des bois et des peuplements, qui conditionne elle même le progrès des conversions. Pour quelques rares massifs lorrains, une exploitation sauvage de la ressource à un moment donné de l'histoire ruine l'espoir d'une gestion durable. Plus largement partagé par les forêts du Grand Plateau Lorrain, le problème des bois mitraillés durant les affrontements pèse lourdement sur le cours des conversions. Sur un autre registre, bien plus dramatique que le précédent, les pertes subies au combat par le corps forestier ne sont pas non plus sans graves conséquences sur les possibilités de mise en oeuvre des conversions durant l'Entre-Deux Guerres. La Grande guerre laisse ainsi une empreinte très profonde et étend son influence humaine et sylvicole sur plusieurs décennies. Elle apparaît indirectement comme une importante contrainte au développement régional du progrès sylvicole.

Le plan suivi pour expliquer l'état actuel de l'espace des conversions de Lorraine s'articule concrètement en trois sous-parties et sept chapitres. La première sous-partie se confond avec le chapitre d'analyse critique des sources : données d'archives, statistiques forestières, éclairages bibliographiques et outils complémentaires de géographie rétrospective sont passés en revue et discutés. La seconde sous-partie concerne la géohistoire des conversions en forêt domaniale. Quatre chapitres la structurent : les influences des périodes 1824-1860, 1860-1918, 1918-1950 et 1950-1990 dans le bilan des conversions régionales sont tour à tour développées. La troisième et dernière sous-partie traite des conversions de l'espace forestier communal. De 1824 à 1950, il s'agit de montrer les évolutions lentes de la gestion des bois des collectivités et la préparation des peuplements à la phase active des conversions. Celle-ci s'amorçe vraiment à partir des Trente Glorieuses et ouvre l'étude d'une nouvelle période 1950-1990. La conclusion de la partie géohistorique répond synthétiquement aux questions posées à l'issue de la description géographique.