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La conversion : une évolution très sensible des espaces forestiers

Progressivement mises en défends du monde des champs avec l'application de l'ordonnance forestière française de 1669 adaptée en Lorraine par l'édit Léopold de 1701, les forêts domaniales et communales continuent depuis lors leur lente évolution suivant les exigences nationales tempérées par les contraintes locales. Adopté pour la variété de ses produits ligneux, bois de feu ou de charpente, le traitement en Taillis-sous-Futaie marque à partir de la fin du XVII° siècle le début d'une longue procédure de divorce entre l'espace forestier et l'espace agraire. Peu à peu la gestion des bois s'ordonne : les périmètres sont précisés, fossoyés, abornés ; les coupes sont délimitées. Dans les forêts des collectivités, les populations doivent policer leur pratique de l'affouage et admettre, non sans mal, la définition du Quart-en-Réserve. Une fois la forêt devenue privative et rationnalisée, les peuplements sont bouleversés par la révolution du taillis et des réserves. Loin de pérenniser une structure idéale de Taillis-sous-Futaie, l'application du mode d'exploitation colbertien hâte le vieillissement des boisements et la régularisation de leur étage dominant.

Produit d'une volonté humaine contre nature, une forêt précaire s'installe tout au long du XVIII° siècle43. Bien sûr, la frondaison des grands bois demeure, le paysage fermé des forêts reste, mais derrière les apparences tout change. Jusqu'aux essences qui la composent la forêt se métarmorphose. Dans l'Est de la France, le Chêne s'impose face au Hêtre pourtant essence

climacique. La structure des peuplements se simplifie finalement par la hiérarchie sans transfert possible d'un étage dominant de baliveaux de chênes vieillis sur un maigre taillis de charmes et de morts-bois. Appuyée sur des arguments économiques, la raison sylvicole ordonne la fin des illusions forestières du Grand Siècle. Après la Révolution et l'Empire, une rénovation s'impose. La conversion en futaie des Taillis-sous-Futaie est alors proposée pour sortir de l'impasse. A travers le Code forestier de 1827, l'Etat s'engage dans une nouvelle révolution forestière et promeut la production de bois d'oeuvre dans les forêts de son domaine privé. Compte tenu de la permanence d'une importante population rurale, la gestion des bois communaux reste encore dans le prolongement de celle pratiquée sous l'Ancien Régime.

Avec le développement des conversions forestières, étendues aux bois des collectivités dans le courant du XX° siècle seulement, c'en est fini de la structure étagée et de la composition mélangée des peuplements de Taillis-sous-Futaie. Suite à la conversion, le traitement en futaie prévu par l'Ecole forestière de Nancy implique la régularisation des peuplements à l'intérieur d'une même parcelle. Entre les parcelles d'une même forêt, la discontinuité des lisières apparaît comme une conséquence de la juxtaposition des différents stades du cycle de futaie. Enfin l'activité sylvicole devient sensible au sein de l'espace rural. La dynamique des paysages lorrains n'est plus seulement le fait du cycle des saisons ou du choix des cultures agricoles. La conversion révèle au grand jour l'économie forestière.

La conversion : l'introduction d'un cycle de production visible

La conversion est par définition trasitoire même si la transition s'étend ici à l'échelle d'un ou deux siècles. Une transition aussi lente mérite bien un arrêt sur image, un bilan, surtout lorque l'empreinte d'un jeune peuplement dure presque une génération d'homme et qu'elle revient en tour lorsque le peuplement issu de franc-pied est exploité. La révolution de futaie une fois bouclée revient à son origine : la vieille futaie est régénérée au terme de son âge optimum d'exploitabilité44. Forcément lente, à vrai dire laborieuse, la transformation des Taillis-sous-Futaie n'implique pas la stabilité apparente des massifs convertis. Au contraire, elle introduit un cycle de production forestière indéfiniment visible au sein de l'espace rural : le décor forestier change pour de bon. La conversion en futaie régulière affecte et continuera d'affecter a priori sur le très long terme les paysages ruraux français. Le regard que nous portons aujourd'hui sur le paysage des conversions n'a pas seulement l'intérêt d'une observation ponctuelle dans le temps. L'avance ou le retard initial de la première conversion se réitère théoriquement à la révolution forestière suivante et permet ainsi une anticipation des répétitions temporelles de la composante boisée des paysages ruraux.

Bien sûr, à l'échelle des siècles peu compatible avec celle des hommes et de leurs volontés, le traitement des forêts demeure rarement identique. L'adéquation pérenne entre l'état des forêts et la demande sociale semble une utopie. Faute du don de prévision des besoins et des attentes à venir, nous considérerons a priori que la conversion continuera de se développer et que

44A titre d'exemple, une futaie régulière de chênes sessiles (Quercus petraea) s'exploite aux alentours de 180 ans. Une futaie de hêtres (Fagus silvatica) atteint son optimum d'exploitabilité économique vers 120 ans.

le cycle de futaie régulière sera perpétué. Ce n'est qu'une hypothèse de travail.

La conversion : une évolution des paysages forestiers du pays lorrain

Si l'étude des conversions de Lorraine nous renseigne sur le développement et les conséquences géographiques de la politique et de la gestion forestière publique dans la plus importante aire de production de bois feuillus en France, elle intéresse également l'observateur de l'espace rural régional soucieux de comprendre, si ce n'est maîtriser, l'évolution de son patrimoine paysager. Comme elles imprègnent profondément le territoire, les forêts lorraines, domaniales ou communales pour l'essentiel, participent en effet à l'identité de la région.

L'intérêt pour les paysages issus de la conversion forestière recouvre donc un double enjeu à la fois heuristique et patrimonial. A la question d'ordre scientifique de savoir comment la transformation des structures forestières se développe en Lorraine à travers l'observation du paysage, peut se substituer celle plus sensible de savoir comment la conversion affecte le caractère du paysage rural régional. La frontière est ténue entre les deux interrogations. L'engagement du géographe dans une problématique de paysage implique a priori une finalité humaniste. Comme Yves Lacoste l'a montré, la question esthétique du paysage est au coeur de l'analyse géographique moderne45. Consciente de la dimension patrimoniale de la forêt en Lorraine, notre recherche demeure cependant fondamentalement orientée

vers la compréhension de l'espace forestier, c'est-à-dire des systèmes producteurs de paysage. Alors que le paysagiste appréhende le visible et sa qualité esthétique comme une fin en soi, le géographe aborde le paysage comme un moyen d'étudier les interactions de l'homme avec son milieu.

Afin de cerner l'état et l'évolution de l'espace forestier du Grand Plateau Lorrain, nous nous appuyons sur un ensemble d'outils et d'approches : cartes aux différentes échelles (du 1/1000000° pour la perception régionale jusqu'au 1/5000° pour le niveau parcellaire), statistiques du territoire et observations de terrain participent à notre travail. Entre échelles macroscopiques et microscopiques, espaces abstraits et concrets, le géographe tourne et retourne l'objet forestier tridimensionnel pour finalement dévoiler les structures sous-jacentes à la construction du paysage.

Acquis bibliographiques sur les forêts lorraines en