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Afin d'apprécier les conséquences paysagères des conversions forestières, une double approche doit être retenue qui puisse rendre compte à la fois de la globalité d'une lame de fond et des évolutions concrètes, localement induites. L'ampleur des transformations forestières ne peut être en effet pleinement saisie à travers quelques études de cas, quelques éclairages, forcément partiels, réducteurs à un fragment du paysage lorrain. Analysés finement mais ponctuellement, les changements forestiers perdent de leur sens : l'examen local masque la force d'un phénomène partagé par l'ensemble des forêts d'un terroir, d'une région naturelle ou d'une région administrative.

Quelles répétitions marquent l'organisation des forêts du Grand Plateau Lorrain ? Comment les conversions se sont-elles mises en place dans la région ? Comment s'illustrent-elles au sein du paysage rural ? Etant donné que la conversion rabat la hauteur des peuplements forestiers, elle introduit une discontinuité du couvert végétal : les peuplements mûrs alternent avec les régénérations. Semis, fourrés, gaulis et bas-perchis correspondent aux stades les plus précoces du cycle de futaie régulière. Arrivés au stade du haut-perchis, les peuplements ont quasiment atteint leur hauteur de maturité. L'estimation de l'importance en surface des jeunes peuplements apparaît

comme un terme essentiel de l'analyse structurale des conversions forestières.

Si la transformation des Taillis-sous-Futaie a des conséquences sur le volume des unités paysagères sylvicoles, des géofaciès forestiers, elle peut également modifier leur couleur. Le passage d'une parcelle de Taillis-sous-Futaie en futaie résineuse par plantation se traduit à la fois par une discordance des coloris de feuillages et par la discontinuité des hauteurs de peuplements. Même s'il est peu étendu en surface, l'enrésinement d'une seule parcelle, d'un seul géofaciès forestier peut générer un contraste sensible dans la perception visuelle globale d'un observateur. Bien sûr, la palette des couleurs naturelles de la forêt est très vaste, marquée par une infinité de nuances. Tout au long de l'année, la gamme des coloris se développe. Dénudée pendant l'hiver, la forêt feuillue offre quelques touches de soleil au début du printemps : les saules et les aulnes qui fleurissent, les noisetiers qui débourrent, ouvrent la voie aux floraisons des charmes, des hêtres puis des chênes. Une marée verte monte alors, conquiert progressivement la sylve et la couvre l'été venu. Puis vient l'automne avec son cortège de feuillages rouges, jaunes ou orangés qui précède le calme blanc de l'hiver. Comment parler des couleurs d'un tableau forestier aussi changant si ce n'est en retenant la permanence de ses contrastes les plus forts à défaut de pouvoir montrer la richesse de ses nuances et de ses cycles. Globalement invariant, le houppier des peuplements de conifères laissent son empreinte permanente dans le paysage rural. La couleur vert foncée de son feuillage tranche avec la nudité des branches feuillues hivernales, avec le vert clair de leur habit d'été et avec la diversité de leurs costumes d'automne. Les peuplements résineux apparaissent ainsi comme une composante à part entière du géosystème forestier.

A l'analyse structurale du paysage de la conversion, en terme de volume et de couleur, doit évidemment s'adjoindre l'étude plus locale de paysages forestiers réels, sensibles au regard. La décomposition simplifiée des peuplements forestiers selon leur dominante feuillue-résineuse et leurs classes de hauteur fait porter l'attention sur des facteurs essentiels, mais comment s'agencent-ils ? Comment sont-ils perçus au bout du compte ? L'analyse des géofaciès n'est qu'un élément de compréhension du géosystème forestier. Située en périphérie de massif, une faible surface de peuplements résineux peut donner le ton du paysage63. Comment percevoir une zone de régénération si les jeunes parcelles sont concentrées au coeur du bois, abritées du regard par d'épais peuplements ? Le paysage forestier vu de l'extérieur n'est pas forcément représentatif de l'évolution forestière qui couve. Par définition étroites, superficielles, les lisières peuvent jouer comme des paravents aux mutations profondes de la forêt ou bien au contraire comme des amplificateurs. L'étude de la composition des conversions forestières doit à l'évidence être suivie d'une analyse de la répartition des éléments du tableau. Ici, l'approche au cas par cas s'impose.

Méthode d'approche globale du paysage des conversions forestières

La part des résineux dans l'espace forestier

L'importance des peuplements résineux peut être facilement appréciée grâce aux données de l'inventaire forestier national. Le taux de futaie résineuse peut être estimé pour les différentes régions naturelles composant notre domaine d'étude. L'incertitude statistique sur les surfaces annoncées est calculée sur la base de l'équation (7) donnée au chapitre premier.

Si la proportion de futaie résineuse est facile à déterminer, son interprétation est en revanche délicate. L'enrésinement n'est pas une conséquence univoque de la conversion des Taillis-sous-Futaie. Avec le boisement des pâquis communaux réalisé à la fin du XIX° siècle, une partie de la futaie résineuse lorraine s'est formée en dehors d'une dynamique purement forestière64. De même, le reboisement de la Zone rouge effectué entre 1921 et 1930 apparaît comme une création forestière ex nihilo considérable65. S'il est relativement facile d'exclure de notre domaine d'étude ce secteur66, il est en revanche impossible de faire la part entre l'enrésinement des pâquis communaux et la conversion des Taillis-sous-Futaie par plantation. La faible ampleur des reboisements communaux lorrains conduit cependant à négliger leur part dans les taux de futaie résineuse calculés en 1990. Nous pourrons a priori considérer que la conversion est le phénomène explicatif essentiel des enrésinements dans les forêts bénéficiant du régime

64J.P.Husson, 1987. Les hommes et la forêt lorraine, Op.Cit..

65J.P.Amat, 1995. La forêt, composante de l'organisation défensive du territoire, 1871-1914 - Exemple lorrain, Op.Cit..

66Rappelons que, jusqu'au deuxième cycle de l'inventaire, l'I.F.N. distingue une région naturelle "Zone rouge".

forestier. Evidemment, un faible taux de futaie résineuse n'exclut pas un fort retentissement paysager. La répartition spatiale des géofaciès forestiers enrésinés amplifie ou atténue sensiblement leur impact. Négligés compte tenu de leur faible étendue, les boisements de pâquis ont ainsi une importance paysagère de premier plan. Généralement situés en périphérie des bois communaux, ces peuplements apparaissent en première ligne du regard. A ce titre c'est l'impact paysager des conversions résineuses qui pourrait être reconnu comme secondaire dans le paysage rural lorrain, notamment sur les fronts de côte où les futaies de pins noirs ou pins sylvestres sont très présentes.

La part des jeunes peuplements dans les forêts lorraines

Dans le cadre des forêts publiques, les jeunes peuplements sont une conséquence univoque de la conversion. L'analyse globale de leur étendue et de leur répartition spatiale locale constitue l'essentiel de notre bilan paysager des conversions forestières.

L'estimation de l'importance des surfaces de jeunes bois pose des problèmes méthodologiques délicats. Ni l'I.F.N., ni l'O.N.F. ne sont en mesure aujourd'hui de donner la distribution générale des différents types de peuplement de futaie : il n'existe pas de super histogramme des classes d'âge de peuplement. La surface des peuplements du stade semis à bas-perchis, qui correspondent à peu près à la fourchette d'âge 0-30 ans pour les principales essences feuillues du Grand Plateau Lorrain, doit par conséquent être appréciée par une méthode indirecte.

Etant donné que le premier cycle de l'I.F.N. a été réalisé pour les quatre départements lorrain entre 1964 à 1974, nous avons approximativement la surface forestière convertie à la fin des années soixante. Grâce aux résultats du troisième cycle de l'inventaire, nous disposons par ailleurs de l'actualisation de cette surface pour l'année 1990. Entre les deux inventaires environ vingt ans se sont écoulés pendant lesquels l'érosion des surfaces de Taillis-sous-Futaie s'est forcément traduite par l'apparition de jeunes peuplements de futaie. Au sein des forêts soumises au régime forestier, nous pouvons en effet considérer que la surface forestière totale est demeurée stable et que seuls des transferts entre les peuplements issus de souches et ceux issus de graine ont pu avoir lieu. Par différence des surfaces de futaie entre 1990 et de 1970, nous pouvons finalement déduire l'importance des jeunes peuplements âgés de 0 à 20 ans. La surface ainsi estimée est un minorant des surfaces de jeunes peuplements âgés de 0 à 30 ans : la forêt traitée en futaie régulière se comporte comme un accumulateur historique.

Il est important de souligner la relativement faible précision statistique d'une telle approche. L'estimation du taux de jeune peuplement implique en effet le calcul d'un différentiel de surface sur une période relativement courte de la vie d'un ensemble forestier. L'incertitude sur la différence calculée intègre à la fois l'imprécision des données du premier et du troisième cycle de l'I.F.N.. On peut estimer l'erreur statistique autour du taux de jeunes peuplements.

Soit Jp(%), le taux de jeunes peuplements :

Jp Scv Scv Stotale

(%)  3 1

3

Où Scv représente la surface convertie au premier ou au troisième cycle et Stotale la surface forestière de production totale.

Soit Cv.Jp(%), le coefficient de variation de Jp :

Cv Jp Cv Scv Scv Cv Scv Scv Scv Scv . (%) ( ) ( ) 3 3 1 1 3 1 100 (10)

Où Cv(Scv) représente le coefficient de variation des surfaces converties estimées aux différents cycles de l'inventaire forestier national et défini par l'équation (7) du chapitre premier.

A l'échelle d'une région naturelle, l'incertitude pesant sur le taux de jeune peuplement est en général très grande. Ainsi dans les forêts domaniales de Woëvre (54), Jp atteint 23% et se trouve affecté d'une imprécision de 145%. En 1969, les futaies représentent 100 ha et les Taillis-sous-Futaie 1446 ha. En 1990, les futaies couvrent 172 ha et les Taillis-sous-Futaie 1148 ha. A une petite échelle géographique et sur une vingtaine d'années, on constate que les +72 ha de futaie ne correspondent pas au -298 ha de Taillis-sous-Futaie perdus. Dans la petite région naturelle du Warndt, entre 1974 et 1990, la surface des Taillis-sous-Futaie domaniaux passe de 0 à 154 ha. Dans le même temps, la futaie régresse de 3950 ha à 3192 ha, soit 758 ha. Evidemment, l'incertitude de notre mesure est atténuée sur de grandes régions naturelles comme par exemple le Plateau lorrain mosellan : avec un taux de jeune peuplement de 49%, l'erreur statistique atteint seulement 9%. Dans l'ensemble des régions naturelles de notre domaine d'étude, c'est le cas le plus favorable à l'estimation précise de Jp(%).

Afin d'apprécier la part des jeunes peuplements dans les forêts traitées en futaie régulière, nous devrons donc rester au niveau départemental où les tendances apparaissent relativement solides.

En marge de ces questions statistiques, un problème se pose concernant l'hétérogénéité des données d'inventaire du premier cycle et l'évolution des variables suivies par l'I.F.N. depuis sa création.

Contrairement aux deux derniers inventaires de l'I.F.N., qui ont été réalisés de façon assez groupée pour les trois départements lorrains étudiés, les données du premier cycle ne sont pas du tout concomitantes : environ dix années séparent la fin de l'inventaire forestier de la Meuse et celui de la Moselle ; les deux campagnes de photographie aérienne commencent respectivement en 1957 et en 1967. Sans trop pouvoir nous attacher au détail des résultats, c'est avant tout l'ordre de grandeur du taux de jeune peuplement qu'il faudra retenir dans l'appréciation globale des surfaces de jeunes peuplements.

En Meuse, les surfaces de peuplements annoncées lors du premier inventaire ne correspondent pas à des structures forestières mais à des traitements ! Nous n'avons pas la répartition réelle entre boisements issus du régime de futaie et ceux issus du régime de taillis : nous disposons seulement de la répartition entre surfaces aménagées en futaie, en conversion ou en Taillis-sous-Futaie. L'ambiguité du terme de conversion sur laquelle nous avons déjà beaucoup insisté se révèle ici concrétement. Dans la phase initiale de leur mise en place les services de l'I.F.N. eux-mêmes font la confusion entre traitement et régime. A cause de cette mauvaise application,

heureusement très localisée, des méthodes de l'inventaire forestier national, nous devrons faire l'hypothèse que vers 1960, dans le département de la Meuse, les surfaces gérées en conversion correspondent à des peuplements de Taillis-Futaie restant entièrement à convertir. Par ce biais, nous sous-estimons l'importance des conversions meusiennes réalisées avant les années soixante.

En Meurthe-et-Moselle, nous ne disposons pas de la ventilation des surfaces de peuplements entre forêts domaniales et bois communaux pour le premier cycle de l'inventaire. Afin de réaliser nos estimations de jeunes peuplements nous devrons donc poser des hypothèses sur la répartition des futaies et des Taillis-sous-Futaie : compte tenu de la volonté politique très tardive de convertir les bois communaux, nous considérerons en première approximation que la surface des futaies communales est quasiment nulle dans ce département à la fin des années soixante (Cf. Chapitre I - Importance et variabilité géographique des conversions-).

Méthode d'approche locale des paysages forestiers issus de la conversion

Si l'étude de la composition des géofaciès forestiers peut être menée de façon systématique grâce à des analyses de type statistique, il n'en va évidemment pas de même pour appréhender la globalité des paysages de conversion. Dans cette partie, nous procéderons nécessairement par éclairages, par exemples, afin de comprendre comment s'ordonnent les transformations forestières au sein du paysage rural.

A défaut d'être systématique, exhaustive, notre approche des forêts en conversion procédera par échantillonnage. Comme nous l'avons vu en introduction générale, les forêts du Grand Plateau Lorrain ne sont pas réparties au hasard et la distribution géographique des grands types de propriété n'est pas aléatoire : les bois communaux dominent sur les fronts de côte ; en plaine, les massifs forestiers sont en général constitués d'un noyau de forêt domaniale entouré par des bois de collectivité ; en Moselle, la propriété de l'Etat est prédominante67. Afin d'éclairer notre étude d'exemples significatifs, nous choisirons donc d'approcher la réalité paysagère des conversions dans des contextes géographiques variés, représentatifs des grands traits forestiers régionaux.

Nous nous intéresserons tout d'abord à la conversion d'un massif à dominante communale formé de quatre bois sis sur les Côtes de Meuse : il s'agit du massif de Meine, à la limite de la Meurthe-et-Moselle et de la Meuse, et des bois communaux de Vannes-le-Châtel, d'Allamps, de Bulligny et d'Uruffe. Nous aborderons ensuite le cas de massifs composés de forêts domaniales et communales en nous appuyant sur les exemples des massifs de Haye (Côtes de Moselle 54), de Parroy (Plateau lorrain 54), de Duvau (Côtes de Meuse 55) et de Puvenelle (Côtes de Moselle 54). Nous analyserons enfin le cas mosellan à partir des exemples de conversion fournis par la forêt domaniale du Romersberg (Plateau lorrain 57) et la forêt domaniale de Saint-Avold (Warndt 57).

67En Moselle, la forêt domaniale prédomine : elle couvre 60% de la surface des massifs soumis au régime forestier. Dans le reste de la Lorraine en revanche, la propriété

forestière communale s'impose avec 68% de la surface boisée publique (Source : I.F.N., troisième cycle).

La conversion : un phénomène en plein essor, une réalité