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2. INTRODUCTION

2.3 Traitement taxonomique du genre Detarium Juss

2.3.3 Confusions botaniques

2.3.3.1 Présentation de la problématique et causes

D. macrocarpum Harms étant une espèce au statut accepté sans équivoque, et n’ayant pas été investiguée dans ce travail, elle ne sera pas traitée ici. Par contre, les rangs taxonomiques de D. microcarpum Guill. et Perr., D. senegalense J.F. Gmel. et D. heudelotianum Baill. ne sont pas très clairs, comme constaté dans le Tableau 2.1. Dans les bases de données GBIF et ILDIS, la situation est relativement explicite : il est dit, à propos de D. senegalense J.F. Gmel., que c’est un nom accepté, mais également qu’il est employé à tort pour désigner D. microcarpum Guill. et Perr. En ce qui concerne D. heudelotianum Baill., il est considéré comme synonyme de D. senegalense J.F. Gmel. Pour les bases de données GRIN et W3TROPICOS, D. microcarpum Guill. et Perr. et D. senegalense J.F. Gmel. sont des taxons acceptés. Dans l’IPNI, base de données souvent considérée comme étant la référence en botanique, le problème rencontré est que D. senegalense J.F. Gmel., en plus d’être accepté comme taxon, est employé comme nom validé de D. microcarpum Guill. et Perr., et de D. heudelotianum Baill. Ceci pose problème car cela signifierait que D. microcarpum Guill. et Perr. et D. heudelotianum Baill. sont par extension des synonymes, fait improbable car dans toute la littérature consultée, le D. heudelotianum est un taxon employé pour désigner systématiquement un arbre portant des fruits toxiques, tandis que les fruits de D. microcarpum sont toujours considérés comme comestibles. Dès lors, lorsque dans la littérature, il est question de D. senegalense, s’agit-il du « vrai » D. senegalense J.F. Gmel., du D. microcarpum Guill. et Perr. ou du D. heudelotianum Baill.?

Dans le but de clarifier la position taxonomique de D. microcarpum Guill. et Perr., D. senegalense J.F. Gmel. et D. heudelotianum Baill., nous devons revenir aux descriptions originales des espèces. Elles sont présentées dans le Tableau 2.2. Notons que lors de sa description de D. heudelotianum, Baillon (1865-1866) estimait que cette plante pourrait être a priori considérée comme une espèce distincte de D. senegalense à cause de ses différences morphologiques, mais qu’il préfère la considérer comme une forme de D. senegalense, cette plante présentant une grande variabilité au niveau de ses caractères morphologiques. La description de D. heudelotianum Baill. est toutefois reportée ici, car nous verrons dans la suite de ce travail que certains auteurs estiment qu’il s’agit d’une espèce distincte de D. senegalense.

Tableau 2.2 – Descriptions botaniques de D. microcarpum (Guillemin et al., 1830-1833), D. senegalense

(Gmelin, 1791) et D. heudelotianum (Baillon, 1865-1866)

D. microcarpum Guill. et Perr. D. senegalense J.F. Gmel. D. heudelotianum Baill.

Lieu de récolte

marché de Gorée - -

Arbre - port droit, à rameaux peu nombreux, légèrement dressés

- - arbre haut de 15 m, tronc

droit, rameaux étalés

Bois - - - bois dur et de couleur rouge

Rameau - - - jeunes rameaux pubescents

Feuille - plus grande que celle de D.

senegalense, toujours échancrée

- - composée ;

- 8 à 10 folioles (5 cm de long), ovales et légèrement émarginées aux extrémités ; - minces, membraneuses ; - jeunes folioles pubescentes

Inflorescence - - 4 sépales, apétale, étamines

alternes

- ramifiées ;

- fleur : 4 sépales, 10 étamines (5 longues et 5 courtes)

Fruit - beaucoup plus petit que celui de

D. senegalense, parfaitement

orbiculaire, comprimé ; - pulpe beaucoup plus douce et plus agréable au goût que celle de

D. senegalense

- drupe orbiculaire à pulpe farineuse ; graine desquelles partent de nombreuses fibres.

-

Le nombre de caractères morphologiques décrits étant restreint, les descriptions botaniques effectuées ultérieurement ont été consultées pour pouvoir disposer d’une description plus précise de ces arbres. Cependant, certaines incohérences ont pu être remarquées. En effet, la comparaison des caractéristiques morphologiques décrites par chaque auteur pour chacun des organes de D. microcarpum et D. senegalense, montre que certaines d’entre elles sont inversées d’un auteur à l’autre, quand bien même tous les autres organes sont décrits de la même manière. Il ne s’agit donc pas d’une inversion des descriptions botaniques entre D. microcarpum et D. senegalense, mais bien d’une inversion au niveau d’un organe en particulier. A cela s’ajoute le fait que certains auteurs les décrivent à partir de noms vernaculaires, et que d’autres considèrent D. heudelotianum Baill. comme une espèce distincte, ce qui ne simplifie pas les choses.

Facteurs responsables de la confusion botanique

Les raisons ayant conduit à une telle situation botanique sont principalement la grande variation morphologique intra-spécifique, ainsi que le nombre important de noms vernaculaires employés pour désigner un arbre.

La confusion botanique dans le genre Detarium est certainement due entre autres à la vaste répartition géographique des espèces de ce genre. En effet, l’immense étendue du territoire et donc les fluctuations édaphiques et climatiques qui en résultent, impliquent de grandes variations morphologiques intra-spécifiques. La diversité morphologique de l’espèce de D. senegalense avait déjà été constatée en 1865 par Baillon, comme mentionné précédemment. En 1995, Burkill observe, quant à lui, que les fruits des arbres de D. senegalense J.F. Gmel. poussant en forêt sont légèrement plus grands que ceux poussant dans la savane. Des variations morphologiques importantes ont également été remarquées pour l’espèce D. microcarpum (Kouyaté et Van Damme, 2002). Cette étude sera présentée en détail dans le chapitre 2.4.1. Cependant, son existence à elle seule permet de montrer la complexité de la problématique quant à l’affirmation de l’existence d’espèces différentes, de sous-espèces, de variétés ou de simples variations morphologiques au sein d’un même taxon, et cela, surtout lorsque sa répartition est aussi vaste.

Une autre hypothèse pouvant expliquer cet imbroglio botanique est le nombre considérable de noms vernaculaires désignant les arbres du genre Detarium. Des dizaines d’ethnies occupant le territoire du Sénégal au Soudan, chacune a nommé ces arbres dans son propre dialecte. La traduction des noms vernaculaires en noms latins est une tâche ardue, et cela pour différentes raisons. La première d'entre elles tient au fait qu'à une espèce végétale donnée (et donc à un nom scientifique), s'appliquent en général différents noms vernaculaires dans une langue donnée. La réciprocité est également vraie, puisqu’un même nom tribal peut être employé pour désigner plusieurs espèces botaniques, le plus souvent en raison de l’emploi identique des plantes qu’en fait l’ethnie. De plus, il arrive que des noms différents soient donnés aux divers organes d’une même plante, en fonction de leur importance médicinale ou culturelle. A cela s’ajoute le fait qu’il faut non seulement être botaniste, mais également maîtriser les cinq ou six langues principales du pays pour réaliser ces traductions avec rigueur (Carrière, 2002). De manière à mettre en évidence cette problématique, un tableau regroupant quelques noms vernaculaires de D. microcarpum et D. senegalense a été établi (Tableau 2.3). Notons que certaines ethnies distinguent D. senegalense à fruits comestibles et à fruits toxiques, par le fait qu’elles leur

attribuent deux noms différents. Comme les cas d’intoxications survenus suite à l’ingestion de fruits toxiques de Detarium ont été étudiés surtout au Sénégal, ce sont les dialectes principaux de ce pays qui sont reportés.

Tableau 2.3 – Principaux noms vernaculaires de D. microcarpum et D. senegalense Dialecte D. microcarpum Guill.

et Perr.

D. senegalense J.F. Gmel.

à fruits comestibles

D. senegalense J.F. Gmel.

à fruits toxiques

Balante sara wonko(4) bloundi(3), blundi pok, blâdi(4), blundi(4,5), blanti(5) Bambara tamba(1,2), tamba guélou,

tamba coumbla(2) , tamba dala(4,5), sahahonko(5)

bodo(4,6), taba, tambakumba, tamba, dabapumba(5), ntamankunda(6)

Bassari ata rej(4), o tagèz, a tarédé(5)

-

Diola boulébében, boulélébeul,

foulibében(3), bu pokotin(5)

bu gagund, bu bunkut, bu

gahund(5) bu fulunkat

(5)

Foula pompondogo, bodo(5) kérènduta(5)

Français petit détar(6) grand détar(6,7)

Hausa - taura(7)

Malinké tamba(1,2), tamba guélou, tamba coumbla(2), tâbâ (4),

tambo, vonko, tamba gélu, boro, venko(5)

tamba(1), bodo(2,4), talo(5) bodo(1,2,4,5) (a)

Mandingue sara wonko(3,5), tâbo, sararwôke, saraôko,

woko(4)

mamboda(2,3,5), mabodo(c), mâboda(4) (b), mambodo,

saroko, tali dima(5)

manbodo(2,3), mabodo(3,4)(b), mâboda(4) (b)

Peul (Sénégal) dôli, ndôli(5) mobodey(4), mbodèy, datékéhi, dolé, bodo(5) Fula-Poular

(Guinée)

- botoboruré, botomel(7), boto(7,8)

Sérer rahn(2), dâk, dâg, rân(4),

ndanh(5) ndoy

(2,4), ndoroy(4) Wolof dan, dank(1,2,5), dâk, dâx,

dâha(4), danha(5) detah,

(1-3), ditah(5) detah(1-3), ditaq, détax, döta, hul, holi(4) dita yu ney(4,5)

(1)(Paris et Moyse-Mignon, 1947), (2)(Aubréville, 1950), (3)(Kerharo et Adam, 1962), (4)(Kerharo et Adam, 1974),

(5)(Berhaut, 1975), (6)(Malgras, 1992), (7)(Burkill, 1995), (8)(Flore de Guinée)

(a) Le « bodo » des Malinkés est nommé D. heudelotianum Baill. (Paris et Moyse-Mignon, 1947; Aubréville, 1950). (b) Selon Kerharo et Adam (1974), il semblerait que les fruits toxiques sont plus fréquemment désignés par « mâbodo » et les fruits comestibles par « mâboda », sans pourtant qu’il y ait de règle à ce sujet.

Ce tableau donne un aperçu de la complexité du problème. En dialecte bambara notamment, « tamba » désigne les trois arbres, tandis qu’en malinké, il désigne uniquement la forme comestible de D. senegalense et D. microcarpum. Quant au « bodo », dans les deux langues il se rapporte aux deux formes de D. senegalense, tandis qu’en dialecte foula, il correspond uniquement à D. microcarpum.

Le troisième facteur est de nature historique. Lorsque, au XVIIIème siècle, l’Europe s’est intéressée de manière plus systématique à la flore africaine, naturalistes et botanistes issus des différentes puissances coloniales sont allés étudier la flore des pays colonisés par leur gouvernement respectif. Au vu de l’immensité de la tâche, d’une certaine compétition entre les puissances étrangères et du peu de moyens financiers, ces botanistes répertoriaient fréquemment plus d’une centaine d’espèces par jour. De plus, leur principal instrument de travail était l’œil, outil subjectif. Dès lors, les récoltes de plantes, l’étude des herbiers, les descriptions botaniques et la taxonomie ont été réalisées en des temps record, desquelles pouvaient alors résulter certaines imprécisions. A cela s’ajoute le fait qu’il arrivait fréquemment qu’une même plante soit nommée de deux manières différentes, car décrite simultanément par deux auteurs. Ceci explique en partie la présence du nombre de synonymes quelquefois important pour une espèce, ainsi que les confusions d’ordre botanique pouvant survenir.

Compte tenu des données actuelles, les questions suivantes peuvent être posées : D. senegalense produit-il des fruits comestibles et/ou toxiques ? S’il produit des fruits toxiques, sont-ils confondus en une seule et même espèce avec ceux de D. heudelotianum, ce qui expliquerait pourquoi ce dernier est dans certains cas considéré comme un synonyme de D. senegalense ? Et comment cela se fait-il que D. senegalense puisse être employé comme synonyme de D. microcarpum, étant donné que ce sont deux espèces distinctes selon la plupart des auteurs ? La Figure 2.4 résume cette problématique :

Figure 2.4 – Schématisation de la confusion botanique

D. heudelotianum Baill. D. microcarpum Guill. et Perr. D. senegalense J.F. Gmel.

Fruit comestible Fruit comestible Fruit toxique Fruit toxique

? ? ? = ? = D. heudelotianum Baill. D. microcarpum Guill. et Perr. D. senegalense J.F. Gmel.

Fruit comestible Fruit comestible Fruit toxique Fruit toxique

? ?

? = ?