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La révision de la littérature concernant les espèces du genre Detarium (Fabaceae - Caesalpinioideae) a permis de détecter des facteurs responsables de la confusion botanique dans le genre. Parmi ceux-ci, relevons qu’un lot de D. microcarpum Guill. et Perr. avait été séparé en 2 lots, l’un appelé D. microcarpum et l’autre D. senegalense ; et que la même erreur s’était produite pour D. senegalense J.F. Gmel : un lot ayant été nommé correctement, et l’autre D. heudelotianum Baill. L’analyse détaillée des données de la littérature a permis de clarifier la situation botanique. Ainsi, D. microcarpum Guill. et Perr. est une espèce au statut accepté, qui produit des fruits comestibles. D. heudelotianum Baill. n’est pas à considérer comme une espèce. D. senegalense J.F. Gmel. peut produire, quant à lui, des fruits comestibles ou toxiques. Cette forme toxique était (et est encore quelquefois) appelée D. heudelotianum Baill. La question de la position taxonomique des arbres produisant des fruits comestibles, et de ceux produisant des fruits toxiques reste d’actualité. Certains chercheurs estiment, en effet, qu’il s’agit simplement de deux formes différentes, en raison de l’absence de caractères morphologiques distincts, tandis que d’autres considèrent qu’il s’agit de deux variétés différentes. Pour notre part, nous rejoignons cette dernière opinion, en raison de l’observation de différences morphologiques entre les deux formes d’arbres.

Un criblage biochimique et biologique de 16 extraits de plantes a permis de relever le caractère prometteur des trois fruits du genre Detarium testés : D. microcarpum, ainsi que les formes comestibles et toxiques des fruits de D. senegalense. Une inhibition du champignon phytopathogène Cladosporium cucumerinum a été relevée pour les trois extraits dichlorométhaniques. Celui de D. microcarpum présentait de plus une inhibition marquée de l’acétylcholinestérase, enzyme impliquée dans la maladie d’Alzheimer. Ainsi, c’est cet extrait qu’il a été choisi d’investiguer. Six composés purs ont pu être isolés par fractionnement bioguidé, puis identifiés comme diterpènes. Les composés A à E sont de type clérodane, tandis que le composé F est de type labdane. Le composé A (acide 3β,4β-époxy-5β,10β-cis-17β,20α- ent-clérod-13E-èn-15-oïque) est un cis-clérodane original (Figure 4.1). Le composé C a été identifié comme étant l’acide 2-oxo-3-èn-5β,10α-trans-17β,20β-ent-clérod-13E-èn-15-oïque, déjà isolé des feuilles et de l’écorce de D. microcarpum (Aquino et al., 1992; Lajide et al., 1995). L’analyse par diffraction aux rayons X des cristaux du composé B a montré qu’il s’agissait d’un diastéréomère de ce dernier. Il diffère de C par une jonction cis entre les cycles, et une relation trans entre les groupements méthyliques CH3-17 et CH3-20. Ainsi, ce composé

est appelé acide 2-oxo-3-èn-5β,10β-cis-17β,20α-ent-clérod-13E-èn-15-oïque; il présente une configuration relative nouvelle. Les composés D et E sont également des cis-clérodanes,

diastéréomères l’un de l’autre. La configuration de D a pu être déterminée par diffraction aux rayons X, tandis que celle de E l’a été par l’analyse de corrélations spatiales homonucléaires 1H-

1H. D et E se nomment respectivement acide 3α,4β-dihydroxy-5β,10β-cis-17β,20α-ent-clérod-

13E-èn-15-oïque et acide 3α,4α-dihydroxy-5β,10β-cis-17β,20α-ent-clérod-13Z-èn-15-oïque. E diffère donc de D par une orientation Z de la double liaison, et une orientation cis des deux groupements hydroxyles. Relevons que cette orientation cis des deux groupements hydroxyles est plus rarement observée qu’une orientation trans diaxiale. Quand au composé F, il s’agit du (-) acide copalique, déjà isolé de l’écorce de D. microcarpum (Ikhiri and Ilagouma, 1995). F est le seul composé pour lequel il a été possible de déterminer la configuration absolue, par mesure de son pouvoir rotatoire et comparaison avec les données de la littérature.

H O OH O E H 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 20 19 18 A F B H OH O H E O C H OH O H O E D H OH O H E HO HO E H H HO HO O HO Z OH O H H E H 1 13 17 10 5 19 18 16 15 14 11 20

Bien que les labdanes et les clérodanes soient largement répandus au sein du règne végétal, il existe un manque certain de données détaillées concernant leur détermination structurale, d’une part, et leur voie de biosynthèse, d’autre part. Cette affirmation touche particulièrement les clérodanes, moins étudiés encore. Relevons que ce travail présente pour la première fois une élucidation structurale complète de l’acide copalique, pourtant isolé à plusieurs reprises. Nos recherches ont donc contribué à la connaissance de la configuration relative d’un labdane connu, en plus d’avoir permis de découvrir de nouvelles configurations relatives de cis-clérodanes. Il est intéressant de relever que les six composés isolés sont issus de la même voie biogénétique, puisque que les clérodanes sont des produits de réarrangements des labdanes.

En ce qui concerne les activités biologiques et biochimiques observées pour les composés A – F, le composé B inhibe faiblement la croissance du champignon Cladosporium cucumerinum, tandis que les composés A et E ont révélé une plus forte inhibition à 10 μg. Ces deux composés ont également montré lors du test sur plaque une activité inhibitrice modérée de l’enzyme acétylcholinestérase. Le composé B a présenté lors du test en solution une activité inhibitrice moyenne de cette enzyme. Les diterpènes étant une classe de composés présentant fréquemment des activités biologiques, il serait intéressant d’évaluer leur potentiel biologique et biochimique sur d’autres cibles.

L’objectif de découvrir le ou les composés responsables des intoxications dans le fruit D. senegalense forme toxique n’était pas dépourvu d’ambition ! En effet, le manque de spécificité des symptômes observés lors de ces intoxications, et leurs variations d’un patient à l’autre rendent la détermination du ou des sites d’action du composé toxique très complexe. Par conséquent, le choix d’un test in vitro approprié s’est avéré impossible, et notre but devait donc être mené par le biais de méthodes chimiques uniquement.

L’analyse de la comparaison des extraits des fruits toxiques et comestibles, par UPLC®/ESI/TOF-MS, a permis de relever la présence de cinq composés majoritaires dans l’extrait MeOH sans sucre (s.s.) du fruit toxique, et absents du fruit comestible et de D. microcarpum. Parmi ces composés, notre choix d’isolement s’est porté sur le composé G, largement majoritaire dans l’extrait, et présentant une masse moléculaire impaire, suggérant alors la présence d’atome(s) d’azote. Le composé G isolé (Figure 4.2) s’est avéré être le 6’-O- galloyl-(R)-épihétérodendrine, un dérivé de glucoside cyanogénétique. C’est la première fois que ce composé est décrit dans la littérature.

O HO HO OH O O H C N O OH OH HO 1 4' 3' 2’ 1' 3 4 2 R 5 3'' 2'' 7'' 6' 5' 6’’ 5'' 4'' 1''

Figure 4.2 – Structure du composé G

La présence d’un dérivé de glucoside cyanogénétique dans le fruit toxique permet de présumer fortement de sa responsabilité dans les intoxications dues à l’ingestion de ce fruit. Cette hypothèse est corroborée par le fait que les symptômes observés lors d’une intoxication aux fruits toxiques de D. senegalense sont très similaires avec ceux survenant dans le cas d’une intoxication au cyanure. De plus, plusieurs éléments de la littérature mentionnés à propos de ces intoxications, semblent confirmer cette hypothèse. Cependant, aucun test biologique n’a pu être effectué pour le prouver, ce qui constitue l’une des premières perspectives de ce travail. Dans un deuxième temps, et dans le cas où G présente une toxicité, son dosage dans le fruit devrait être effectué. Il serait de plus intéressant d’identifier les quatre autres composés présents dans le fruit toxique et absents du fruit comestible.

D’un point de vue chimiotaxonomique, la comparaison des profils chromatographiques par UPLC®/ESI/TOF-MS des extraits DCM et MeOH s.s. des deux formes de fruits, renforcent notre opinion préalable fondée sur les données de la littérature, de les considérer comme deux variétés différentes. Nous estimons donc qu’il existe deux variétés de D. senegalense, différentes morphologiquement, l’une produisant des fruits comestibles, et l’autre des fruits toxiques. Une hypothèse permettant d’expliquer la production de fruits toxiques par un arbre morphologiquement identique à celui générant des fruits comestibles, est la survenue d’un phénomène de xénie, comme suggéré par D’Almeida (1984) et Adam et al. (1991). La mise en évidence, dans ce travail, d’un dérivé de glucoside cyanogénétique (G) dans la forme toxique du fruit de D. senegalense corrobore cette hypothèse, puisqu’un tel phénomène survient notamment dans la variété dulcis de Prunus amygdalus Batsch. (Rosaceae).