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Partie III : Vers un outil d’analyse de risques en co-développement avec les fournisseurs141

Chapitre 6 . Une analyse des risques en co-développement fondée sur l’AMDEC

1. Présentation de l’AMDEC

Cette section permet d’avoir une vision de la démarche d’AMDEC et de sa mise en place.

1.1. Les différents types d’AMDEC

Selon la revue de littérature faite par Gericke (2011), plusieurs méthodes sont proposées pour

supporter les différentes phases du management des risques. Beaucoup de ces méthodes sont

applicables de manière générale et non spécifiquement pour le management des risques projets.

La plus connue et la plus utilisée est l’AMDEC (Analyse des Modes de Défaillance, de leurs Effets

et de leur Criticité) (Lough, et al., 2007; Wagner, 2007). Cette méthode a la particularité de

pouvoir accompagner toutes les phases du management des risques à savoir l’identification des

risques, leur évaluation ainsi que leur traitement. D’après Gericke (2011), l’AMDEC est

davantage une méthodologie qu’une méthode. En effet, les autres méthodes telles que le

brainstorming ou les arbres de défaillance pour l’identification des risques, les interviews

d’experts pour l’évaluation des risques ou encore l’analyse Pareto pour le traitement des risques

sont incluses dans la démarche d’AMDEC pour en supporter les différentes étapes.

L’utilisation de l’AMDEC n’est pas restreinte à un domaine d’étude précis. En effet, dans le

processus de développement de produit et de production, différents systèmes peuvent être

analysés (Otto & Wood, 2001; Stamatis, 2003). Il existe donc différentes variantes de l’AMDEC.

Les plus courantes sont l’AMDEC produit et l’AMDEC process. (Stamatis, 2003)(p40) distingue

quatre formes d’AMDEC :

L’AMDEC produit qui permet d’analyser un produit avant son lancement en production.

Ce type d’analyse se focalise sur les modes de défaillance causés par des défauts en

conception.

L’AMDEC process analyse les processus de production et d’assemblage en se focalisant

sur les modes de défaillance causés par des défauts de processus ou d’assemblage.

L’AMDEC système ou concept analyse les systèmes et sous-systèmes dans les premières

phases du développement. Les dysfonctionnements potentiels, causés par des défauts

système, des différentes fonctions sont identifiés.

L’AMDEC service étudie les services avant leur utilisation par le client final. Cela permet

d’identifier les modes de défaillance causés par le système ou des défauts dans le

processus.

Cette technique date de la procédure militaire des Etats-Unis MIL-P-1629

(United-States-Military-Procedure_MIL-P-1629, November 9, 1949), il y a environ 60 ans, qui avait l’objectif

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d’identifier différents modes de défaillance des composants systèmes, d’évaluer leur effet sur le

système et de proposer des mesures adaptées pour les éviter. Actuellement, l’AMDEC fait partie

intégrante des normes ISO-9000 et QS-9000 pour les niveaux de certification qualité. Dans les

domaines de l’automobile, de l’aéronautique ou militaire, l’AMDEC constitue même une exigence

client (Lodgaard, et al., 2011).

Ainsi, les données d’entrée de cet exercice sont obtenues via la sollicitation d’un large groupe

d’experts en conception, tests, qualité, industrialisation, marketing, production mais également

le client pour s’assurer que la majorité des modes potentiels de défaillance sont identifiés

(Carbone & Tippett, 2004). Ensuite, les résultats sont utilisés durant le déploiement du produit,

du service, du processus pour de la résolution de problème ou la mise en place d’actions

correctives (Carbone & Tippett, 2004).

Dans un contexte projet de manière générale, plusieurs stratégies existent pour le traitement

des risques (Gourc, 2006). La Figure 6-1 illustre ces différentes stratégies selon cet auteur. Un

des objectifs du projet est de maintenir la meilleure trajectoire possible. Le dysfonctionnement

(ou élément perturbateur) fait dévier la trajectoire prévue du projet. Gourc (2006) dénombre

quatre stratégies possibles face à ce phénomène : (1) des actions correctives qui réduisent la

gravité de l’impact et qui sont mises en place après l’occurrence de l’événement, (2) des actions

préventives déclenchées avant l’apparition de l’événement et qui vont en réduire ou en

augmenter l’effet en cas d’occurrence, (3) des actions préventives déclenchées également avant

l’apparition de l’événement pour en éviter ou éventuellement en favoriser son occurrence, (4)

aucune action.

Figure 6-1. Traitement des risques : plusieurs stratégies possibles selon Gourc (2006)

Une AMDEC est conduite par une équipe multi fonctionnelle constituée de membres de

différents domaines dont l’expérience permet d’inclure tous les sujets qui doivent être pris

en compte dans l’analyse. Durant une AMDEC, l’équipe identifie les modes de défaillance et

les actions qui peuvent réduire ou éliminer les dysfonctionnements potentiels.

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1.2. La mise en œuvre d’une AMDEC

Lors d’un exercice d’AMDEC, nous avons vu que les données d’entrée sont tirées d’un large

groupe d’experts mobilisés afin de s’assurer que les dysfonctionnements potentiels sont

identifiés de la manière la plus exhaustive possible. L’AMDEC est donc conduite par une équipe

multi fonctionnelle et la réunion est au préalable préparée et menée par un modérateur

(Wagner, 2007). Il est très bénéfique d’avoir un modérateur familier avec la méthode d’AMDEC

pour mener l’analyse de façon pertinente et répondre aux questions de la façon requise par la

procédure. En outre, le modérateur gère les discussions et aide à résoudre les conflits.

Une AMDEC doit être conduite selon une procédure particulière qui nécessite d’être rigoureuse

et méthodique. Cette procédure reprend les différentes étapes d’une procédure de management

des risques présentées au Chapitre 2 : initialisation, identification des risques, évaluation des

risques et priorisation, gestion des risques et contrôle des risques. Ainsi, durant sa procédure,

l’AMDEC s’intéresse à (Dyadem-Press, 2003) :

L’identification et l’évaluation des dysfonctionnements potentiels et leurs effets

L’identification et la priorisation des actions correctives

La documentation de ces activités d’identification, évaluation et atténuation

Gericke (2011), qui a mené un projet de recherche sur le management des risques projet donne

sa vision de ces étapes. Il considère la phase d’identification des risques comme un challenge en

raison de l’exhaustivité souhaitée et du fait que ce sont ces risques qui vont être adressés par la

suite et la phase d’évaluation comme largement documentées par les nombreuses recherches et

méthodes qui leur sont consacrées. Concernant la phase de traitement des risques, cet auteur

précise qu’elle relève davantage de l’expérience du spécialiste en management des risques.

La première étape d’une AMDEC est de resituer précisément l’objet d’analyse (projet, produit,

processus…) et de s’assurer que tous les membres de l’équipe partagent une vision commune de

cet objet d’analyse. Cette étape peut être conduite à l’aide de plans, schémas ou tout autre moyen

permettant de partager la vision de l’objet d’analyse. La seconde étape consiste à identifier les

modes potentiels de défaillance qui peuvent ensuite être regroupés en catégories. Les

techniques utilisées pour cette étape sont généralement le brainstorming, les interviews ou

encore l’analyse d’arbres de défaillance. Pour une revue détaillée de ces méthodes, il est

conseillé de consulter les travaux de Oehmen (2005)(table 4-2). Les causes de ces modes de

défaillance sont aussi discutées et analysées. Ensuite, les effets de chaque mode de défaillance

sont identifiés en considérant également l’impact sur l’objet d’analyse, l’environnement,

l’utilisateur…

Puis, le processus standard d’AMDEC évalue les dysfonctionnements potentiels via la probabilité

d’occurrence, la gravité et la probabilité que le dysfonctionnement soit détecté avant que

l’impact de l’effet ne soit réalisé (Lodgaard, et al., 2011) :

La démarche d’AMDEC se situe davantage dans une logique de prévention. En effet, l’AMDEC

traite le sujet des risques alors que « le monde des pannes réelles » (défaillances) est lui

traité par des méthodes de maintenance (Hubac & Zamaï, 2013).

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La gravité est définie comme le résultat de l’effet d’un dysfonctionnement

L’occurrence définit la cause d’un dysfonctionnement et sa probabilité de fréquence

d’apparition

La détection définit les mesures de contrôle et leur efficacité

La plupart des auteurs suggèrent une cotation de 1 à 10 pour ces trois évaluations (Baxter, 1995;

Lindemann, 2006; McDermott, Mikulak, & Beauregard, 1996; Otto & Wood, 2001; Stamatis,

2003). D’autres échelles peuvent être utilisées mais il est important que les trois évaluations (G,

O et D) suivent la même plage de cotation. Les échelles de cotation peuvent être définies à partir

de données concernant des dysfonctionnements déjà rencontrés (McDermott, et al., 1996)(p27)

afin de proposer des scenarii explicites et compréhensibles par tous. Selon Sperandino & Girard

(2010), les critères d’évaluation relèvent de l’expertise des managers, analystes et opérateurs,

sur la base de l’expérience. Il s’agit de réfléchir aux effets des dysfonctionnements potentiels et

d’évaluer leur gravité puis de réfléchir aux causes des dysfonctionnements et d’en évaluer

l’occurrence puis de réfléchir aux actions préventives et d’évaluer la détection des

dysfonctionnements (Hubac & Zamaï, 2013). Des exemples d’échelles selon Otto & Wood (2001)

sont présentés Tableau 6-1. La multiplication de ces valeurs donne ce qui est connu comme le

«risk priority number » (RPN). Le RPN permet de prioriser les dysfonctionnements et de

déterminer un plan d’action. Il s’agit de la criticité du dysfonctionnement.

Selon Lough, et al. (2007), l’évaluation des risques dépend beaucoup du contexte. Une définition

des échelles n’élimine pas la subjectivité numérique mais vise à la réduire en proposant des

définitions complètes pour chaque critère d’évaluation. La subjectivité du dysfonctionnement

potentiel (ou risque) et de son évaluation de criticité est confirmée par Gourc (2006). En effet,

cet auteur précise que la complexité de l’évaluation du risque est liée non seulement à son

caractère multi dimensionnel mais également au facteur humain. En effet, l’évaluation du risque

ne peut être dissociée de la subjectivité humaine qui fait que chaque personne aura un regard

précis sur ce risque. De plus, cet auteur précise également que la perception humaine du risque

est influencée par de nombreux facteurs tels que des phénomènes culturels, l’aversion au risque,

l’expérience dans le domaine concerné, l’analyse individuelle ou en groupe… Par ailleurs, il est

conseillé d’appliquer l’AMDEC en équipe, entre différents services ou même entreprises. Cela

permet d’établir un langage commun, de fournir des moyens de communication et de réduire les

problèmes de compréhension (Wagner, 2007).

Tableau 6-1. Exemple d'échelles d'évaluation d'AMDEC selon Otto & Wood (2001 p567)

Evaluation de la gravité (G)

1 Aucun effet

2 Très mineure (seulement remarqué par les clients perspicaces)

3 Mineure (affecte très faiblement le système; remarqué par le client moyen)

4/5/6 Modérée (la plupart des clients sont ennuyés)

7/8 Haute (cause une perte de fonction primaire; les clients ne sont pas satisfaits)

9/10 Très haute et dangereuse (le produit devient afonctionnel; les clients sont en

colère; le dysfonctionnement peut générer des opérations dangereuses et

d’éventuelles blessures)

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Evaluation de l’occurrence (O)

1 Aucun effet

2/3 Faible (relativement peu de dysfonctionnements)

4/5/6 Modérée (dysfonctionnements occasionnels)

7/8 Haute (dysfonctionnements récurrents)

9/10 Très haute (le dysfonctionnement est presque innévitable)

Evaluation de la détection (D)

1 Presque certaine

2 Haute

3 Modérée

4/5/6 Modérée (la plupart des clients sont ennuyés)

7/8 Faible

9/10 Très irrégulière voire absolument incertaine

Suite à cette évaluation de la criticité, les modes de défaillance sont hiérarchisés. L’étape

suivante est la réflexion autour des actions préventives. Les dysfonctionnements potentiels qui

ont la plus forte criticité doivent être considérés en priorité. Cette priorisation reste à la

discrétion de l’équipe car cela reste très dépendant du contexte d’analyse. Néanmoins, dans tous

les cas de figure, les actions préventives adressent au moins l’une de ces trois intentions selon

Wagner (2007) :

La réduction de l’occurrence d’un dysfonctionnement

La réduction de l’impact des conséquences d’un dysfonctionnement

L’augmentation de l’efficacité des mesures de détection

Chaque action préventive doit être assignée à un acteur. Il s’agit de définir un plan d’action fondé

sur les risques et leur criticité avec des actions assignées à des fonctions métiers selon un

planning partagé. Ensuite, durant le projet, la criticité est à nouveau calculée afin de déterminer

l’efficacité des actions mises en place. Le document d’AMDEC devient alors un document de

référence évoluant au cours du projet et des actions mises en œuvre avec un temps dédié de

mise en place.

Concernant la priorisation des dysfonctionnements qui se fait selon le calcul du RPN, Carbone &

Tippett (2004) déplorent le fait que des sous-produits peuvent se retrouver masqués par le

calcul global du RPN issu de la multiplication de trois éléments. Ainsi, ces auteurs ajoutent un

sous-produit qu’ils nomment le « risk score » qui multiplie l’occurrence et la gravité et isole la

détection. En effet, la priorité des dysfonctionnements à traiter dépend selon ces auteurs de la

détection. Ainsi, si le risk score est élevé mais que la détection est faible, les actions de

prévention peuvent être reportées. En revanche, sans avoir isolé le risk score, le produit global

du RPN aurait été élevé et ce type de dysfonctionnement jugé comme prioritaire. Cela permet de

prendre davantage en compte le contexte du projet et de se focaliser dans un premier temps sur

les dysfonctionnements nécessitant le plus d’attention.

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L’AMDEC doit également être un document d’échange selon Hubac & Zamaï (2013) et faire

prendre conscience des enjeux des autres métiers car chaque acteur métier aura ses propres

enjeux et aura tendance à ne pas percevoir ceux des autres. Cela permet d’avoir un produit, un

processus, un service… plus robuste, une réduction des actions correctives tardives et des

changements nécessaires en temps de crise (McDermott, et al., 1996; Stamatis, 2003). En effet,

l’AMDEC permet d’identifier les dysfonctionnements potentiels avant que le problème ne

survienne, d’évaluer le risque associé puis d’identifier et de mener des actions afin d’adresser les

problèmes les plus critiques (Sperandino & Girard, 2010).

La suite de ce chapitre expose les raisons de notre choix de l’AMDEC comme cadre de référence

pour notre étude.