Partie III : Vers un outil d’analyse de risques en co-développement avec les fournisseurs141
Chapitre 6 . Une analyse des risques en co-développement fondée sur l’AMDEC
2. Le choix de l’AMDEC comme cadre de référence pour notre étude
Dans cette section, après avoir mis en regard l’AMDEC avec d’autres méthodes de management
des risques, nous en considérerons les avantages et inconvénients afin d’argumenter notre
choix.
2.1. Mise en regard de l’AMDEC avec d’autres méthodes de management des risques
Au Chapitre 2, nous avions différencié quatre types de risques dans un contexte de projet de
développement de produit. Le Tableau 6-2 permet d’identifier des approches proposées dans la
littérature afin de combattre ces différents types de risques en développement de produit et en
co-développement avec les fournisseurs. Nous faisons remarquer que certaines de ces méthodes
ne sont pas propres au développement de produit mais peuvent être appliquées dans cette
configuration en raison de leur cadre général.
Le résultat, suite à une analyse d’AMDEC, est donc un plan d’action dans lequel des actions de
maitrise doivent être définies à partir des évaluations de gravité, d’occurrence et de
détection de chaque mode potentiel de défaillance (Stamatis, 2003). Cet exercice permet de
ne se focaliser que sur les éléments qui représentent le maximum de criticité.
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Tableau 6-2. Approches permettant de traiter les différents types de risques
Approches proposées
Risque produit
AMDEC produit/service/système ou concept
Analyse de risques pour les architectures produit basée sur l'AMDEC (Wagner, 07)
Processus de management des risques (Oehmen, 05)
PDMA ToolBook (PDMA, 04)
Gestion des risques en ingénierie des systèmes (Negele et al., 05)
Matrice d'intégration des fournisseurs (Calvi & Le Dain, 03)
Risque procédé
de fabrication AMDEC process (Stamatis, 03)
Risque projet
AMDEC risques projets (Carbone & Tippett, 04)
Procédure de management des risques pour les projets stratégiques basée sur l'AMDEC
(Sperandino & Girard, 10)
Approche prenant en compte l'ambiguité du risque (présence d'opportunités définies comme
des risques ayant des effets positifs) (PMI, 04, Hillson, 02)
Approche de management des risques au niveau projet (Smith, 03)
Matrice d'intégration des fournisseurs (Calvi & Le Dain, 03)
Risque supply
chain
Gestion des risques en Supply Chain (Ziegenbein & Schnetzler, 05)
Cahier d'exercice d'auto-évaluation pour le management des risques en Supply Chain
(Christopher, 03)
Supply network risk tool (Harland et al., 03)
Approche de management de risques d'Ericsson (Normann & Jansson, 04)
Matrice d'intégration des fournisseurs (Calvi & Le Dain, 03)
En développement de produit, l’AMDEC vise à identifier et réduire les risques durant les
premières phases du développement de produit dans le but d’avoir un produit de meilleure
qualité et plus fiable avant de le lancer en production. L’idée de ce type d’analyse est de s’assurer
que le produit développé peut respecter les exigences des clients. Elle représente une analyse
proactive de risques où les modes potentiels de défaillance sont systématiquement identifiés
avant qu’ils ne se produisent (Lindemann, 2006; McDermott, et al., 1996; Otto & Wood, 2001;
Stamatis, 2003) et plus particulièrement « avant qu’il ne soit trop tard pour faire quoi que ce
soit»
22(Baxter, 1995)(p194). Cela fournit une manière systématique d’identifier, de prioriser et
d’agir sur les dysfonctionnements potentiels ou déjà connus dans le développement produit
pour éviter les changements de conception non nécessaires et d’autant plus difficiles à gérer
qu’ils apparaissent tard dans le processus de développement. Il s’agit d’une méthode
systématique qui propose d’anticiper les problèmes plutôt que de subir leurs conséquences.
Cette méthode, en analysant les procédés et processus, vise à prévenir les risques et à maximiser
les gains en termes de temps, coûts et qualité (Mili, 2009). Wagner (2007) propose une
approche pour adresser et manager les risques des architectures produit concernant les
spécifications non satisfaites. Pour cela, cet auteur développe une adaptation de l’outil d’AMDEC
appliqué à la phase de définition des spécifications. Dans sa revue de littérature propre aux
techniques de management des risques en développement de produit, cet auteur mentionne
également les travaux de nombreux auteurs autour du management des risques. Dans notre
Tableau 6-2, sa revue de littérature nous a servi de référence pour beaucoup des approches que
nous mentionnons. Tout d’abord, Wagner (2007) mentionne les travaux de (Oehmen, 2005)
autour d’un processus de management des risques qui a unifié les approches existantes de
management des risques en développement de produit en un cadre général mais également ceux
autour du «PDMA Tool book » (PDMA, 2002) qui est une approche de management des risques
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en développement de produit en 10 étapes pour anticiper les menaces, prendre des décisions
pour les prioriser et appliquer des mesures adaptées pour effectivement éviter ou réduire le
risque d’apparition. Enfin, Wagner (2007) mentionne également les travaux de (Negele, et al.,
2005) autour de la gestion des risques en ingénierie des systèmes. Pour l’AMDEC process, les
travaux de (Stamatis, 2003) sont cités.
Carbone & Tippett (2004) ont quant à eux proposé une adaptation de l’AMDEC à un contexte
projet. Selon ces auteurs, il existe des différences fondamentales entre des produits et des
projets, ce qui requiert une reconsidération conceptuelle. En ce sens, leur AMDEC projet (Project
Risk FMEA : RFMEA) utilise une terminologie différente et ajoute des éléments différents
permettant de prendre en compte le contexte projet. Ils définissent une seconde évaluation en
plus de celle de l’AMDEC classique afin de pouvoir prioriser plus finement les actions pour éviter
les risques. Wagner (2007) cite deux autres approches de management des risques dans les
projets. La première est une méthode qui considère l’ambigüité du risque à savoir qu’il ne faut
pas seulement considérer le management des menaces mais également des opportunités
définies comme des risques ayant des effets positifs (Hilson, 2002; PMI, 2004). La seconde
propose une distinction entre la probabilité d’occurrence d’un risque, la probabilité que l’impact
se réalise et la perte totale en jours de travail dans le pire des cas qui permet de réaliser une
priorisation des risques par les pertes attendues (Smith, 2003).
Toujours concernant le management des risques projet, Sperandino & Girard (2010) proposent
une adaptation de l’AMDEC au contexte du management stratégique. Le management
stratégique peut être décrit selon ces auteurs comme un processus pour spécifier les objectifs de
l’organisation, développer les lignes directrices, vérifier les plans d’actions pour atteindre ces
objectifs et allouer les ressources pour mettre en place les actions avec succès. Ces auteurs ont
souhaité établir une procédure de management des risques pour les projets stratégiques afin de
faciliter la prise de décision des managers et améliorer les performances des entreprises. Ils ont
choisi pour cela la méthodologie d’AMDEC qui fournit un outil relativement aisé pour
déterminer les risques les plus conséquents nécessitant des actions pour prévenir les problèmes
avant qu’ils n’arrivent (Sperandino & Girard, 2010). Leur méthode est ensuite appliquée au cas
d’une entreprise fabriquant des crèmes glacées et souhaitant introduire une glace au yaourt.
Deux aspects stratégiques sont alors analysés : le changement du fournisseur et le changement
du processus de production lié au remplacement de la crème par du yaourt.
Dans sa revue de littérature, Wagner (2007) mentionne également les travaux sur le
management des risques liés à la chaine logistique de (Ziegenbein & Schnetzler, 2005) qui
utilisent la « Supply Chain Operations Reference » (SCOR) mais également ceux de (Christopher,
2003) qui considère que les risques visibles peuvent être managés et donc que les risques
invisibles sont de loin les plus dangereux. Cet auteur identifie cinq catégories de risques
priorisés selon le coût induit: la demande, l’approvisionnement, le processus, le contrôle et les
risques environnementaux et préconise aux entreprise d’avoir un cahier d’exercice dans lequel
les différentes chaines logistiques de l’entreprise sont décrites. Le travail de (Harland, et al.,
2003) autour d’un outil de management des risques liés à l’approvisionnement et celui de
(Norrman & Jansson, 2004) rapportant l’approche adoptée par Ericsson après une sérieuse
interruption de leur composant clé sont également cités par (Wagner, 2007) dans sa revue de
littérature sur les approches de management des risques.
Dans le Tableau 6-2, nous avons également considéré les approches liées au co-développement
avec les fournisseurs. A notre connaissance, seuls (Calvi & Le Dain, 2003) traitent le sujet du
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management des risques dans ce contexte en faisant une analyse du risque de développement
du produit délégué au fournisseur. Ce risque est évalué essentiellement en termes d’impact sur
le produit final et sur les performances du projet de développement. Sur la base de cette analyse,
les auteurs donnent des recommandations d’actions de maitrise de ces risques.
Cependant, leur matrice a pour objectif de définir une catégorisation des situations intégrant des
fournisseurs en conception, elle est fondée sur deux dimensions (le niveau de responsabilité du
fournisseur et le risque de développement) mais ne constitue pas une analyse de risques en
co-développement.
Les conclusions de cette étude sont doubles :
Tout d’abord, malgré la richesse des méthodes portant sur le management des risques en
développement de produit et plus particulièrement sur l’AMDEC produit/process, il n’y a
pas de méthode complète permettant de manager les risques dans un projet de
co-développement avec un fournisseur. En effet, même si (Calvi & Le Dain, 2003) ont
adressé le risque de développement du produit délégué au fournisseur, ils ne réalisent
pas une analyse de risques en co-développement. Leur matrice permet d’identifier le
type de collaboration que les équipes projets souhaitent mettre en œuvre avec le
fournisseur.
Ensuite, nous reprenons une des conclusions de la revue de littérature de (Wagner,
2007) qui a conduit une étude détaillée concernant l’AMDEC et l’analyse de risques en
général et qui a aussi développé un outil de management des risques en suivant le
modèle de l’AMDEC. Ainsi, bien que l’AMDEC soit au départ focalisée sur la conception,
elle suit la même procédure que les différents cadres du management de risque en
développement de produit, en management de projet et en management de la supply
chain. En effet, toutes les méthodes de management des risques considérées dans l’étude
de (Wagner, 2007), tout comme celles que nous avons considérées, suivent les mêmes
phases que celles de l’AMDEC. En ce sens, l’adaptation à notre contexte est envisageable.
De plus, l’AMDEC est une technique générique et analytique qui a été utilisée en
ingénierie depuis plus de 40 ans. Il s’agit d’une méthode mature qui a été développée et
optimisée au cours des années. Cette idée est reprise par Hubac & Zamaï (2013) qui
affirment que l’intégration de la notion de risque sous la forme d’AMDEC dans la gestion
de projet a largement fait ses preuves au niveau coûts et performance.
Afin de conforter notre intuition, nous allons maintenant en considérer les avantages et
inconvénients.
2.2. Les avantages et inconvénients de l’AMDEC
Une des forces majeures de l’AMDEC est qu’il s’agit d’une méthode structurée qui permet d’avoir
une vue d’ensemble relativement complète du produit ou du système en termes d’exigences, des
risques potentiels et des problèmes qui sont sous contrôle. Cela fournit une vision rapide et
Ainsi, l’AMDEC a déjà été utilisée comme cadre de référence pour des adaptations à des
contextes spécifiques comme le montrent les travaux de Wagner (2007), Carbone & Tippett
(2004) ou encore ceux de Sperandino & Girard (2010). Il semble que l’AMDEC soit la
méthode la plus adaptée pour notre volonté de développer un outil de management des
risques en co-développement avec un fournisseur.
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aisée d’où il est nécessaire d’approfondir les actions pour obtenir ce qui est désiré et dans les
conditions de qualité désirées (Lodgaard, et al., 2011). L’AMDEC permet également de réaliser
les activités nécessaires dans une démarche de management des risques (Oehmen & Rebentisch,
2010).
Si l’AMDEC est utilisée de manière systématique, elle permet de bénéficier d’une chaine de
preuves et d’un lien fort entre la théorie et la connaissance empirique. Cela permet d’encourager
la réutilisation des connaissances dans la mesure où les solutions aux problèmes identifiés sont
documentées et utilisées comme données d’entrées pour les nouveaux projets. Ce genre
d’exercice a également l’avantage de permettre des discussions et échanges d’informations sur
des sujets et de permettre une meilleure visibilité des sujets qu’il faut adresser. L’AMDEC est un
document évolutif qui doit être mis à jour tout au long du processus de développement si l’on
souhaite obtenir les effets escomptés (Lodgaard, et al., 2011). De plus, l’AMDEC permet d’établir
un langage commun et d’être utilisé entre différentes équipes ou même différentes organisations
de par la standardisation de son utilisation.
Toutefois, il est évident et reconnu qu’une AMDEC est un exercice qui demande du temps ainsi
qu’une équipe complète et hétérogène avec un niveau d’expertise élevé. De plus, il est nécessaire
que l’équipe conduisant cet exercice soit dotée de bonnes compétences afin de rendre la
démarche et ses résultats pertinents et utiles. Une autre difficulté réside dans la subjectivité de
cette méthode et la difficulté à ne pas être redondant et à faire évoluer les données. De plus,
cette approche est coûteuse pour l’industriel qui doit y dédier des ressources. Réaliser une
AMDEC représente donc certaines difficultés. Cela nécessite une expertise, de l’expérience et de
bonnes compétences au sein de l’équipe (Dyadem-Press, 2003). En cas de systèmes complexes,
l’analyse peut s’avérer difficile, longue et parfois coûteuse (Wagner, 2007).
Cependant, l’AMDEC fait partie d’une démarche d’amélioration continue et permet de refléter
l’état d’un système de production ou d’un produit (Chrysler, 2008). Les bénéfices de ces analyses
de risques dans le processus de décision ont d’ailleurs été mis en évidence dès les années 80 par
Mazur (1985) et sont désormais approuvés par tous. L’AMDEC fournit un moyen de standardiser
l’analyse des modes de défaillance des produits et des processus et d’établir un langage
commun. Cela n’optimise pas seulement le processus au sein d’une entreprise mais également
entre les entreprises (McDermott, et al., 1996)(p3). En ce sens, le côté fastidieux de la méthode
est compensé.
Nous allons maintenant voir comment il est envisageable d’adresser ces éléments dans notre
contexte afin d’adapter la démarche d’AMDEC à notre contexte.
Dans le document
La conception collaborative avec les fournisseurs : proposition d'une méthode d'analyse par les dysfonctionnements
(Page 149-153)