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4. HYPOTHÈSES RELATIVES À LA PLAUSIBILITÉ QUE LA MALADIE DE LYME SOIT À

4.1.3. Présence d’infections concomitantes

La maladie de Lyme est une infection dont l’agent étiologique est transmis par la tique à pattes noires. Or, il est connu que ces tiques transportent divers micro-organismes (bactéries, virus, parasites), dont certains sont pathogènes pour l’humain et peuvent causer des symptômes qui s’apparentent à ceux de la maladie de Lyme [Garcia-Monco et Benach, 2019; Stinco et Bergamo, 2016].

Dans cette section, le terme « infection concomitante » a été préféré au terme « co-infection », puisqu’il tient compte des co-infections opportunistes et du fait que plus d’une piqûre de tique peut être à l’origine de manifestations cliniques. Une infection

opportuniste est due à un micro-organisme qui, habituellement, est peu susceptible d'entraîner une maladie chez une personne en bonne santé. Elle est généralement

immunodéprimées ou dont la flore bactérienne est affaiblie ou perturbée à cause de la prise d’antibiotiques. À titre d’exemple, le déficit immunitaire provoqué par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) augmente de manière importante les risques de sarcome de Kaposi chez les patients porteurs de l’herpèsvirus humain 85. L’angiomatose bacillaire provoquée par Bartonella quitana et B. henselae est une autre infection

opportuniste associée à un déficit immunitaire, dont celui induit par le VIH [Aubry, 2019]6. État des connaissances scientifiques

Des cas d’infection concomitante par les bactéries du complexe B. burgdorferi s.l. et d’autres agents pathogènes sont décrits dans la littérature, notamment des infections par des micro-organismes du genre Babesia, Anaplasma et Bartonella [Garcia-Monco et Benach, 2019; Di Domenico et al., 2018; Stinco et Bergamo, 2016]. Des infections par plus de deux agents pathogènes sont rarement rapportées [Stinco et Bergamo, 2016].

Les connaissances sur l’impact clinique de la présence des autres agents pathogènes sur le cours de la maladie de Lyme sont toutefois limitées. Il a été suggéré que certaines infections concomitantes pourraient exacerber les symptômes, brouiller le tableau

clinique et même changer le cours de la maladie [Garcia-Monco et Benach, 2019; Locke, 2019; Di Domenico et al., 2018; Stinco et Bergamo, 2016].

Une revue systématique de la littérature publiée en 2014 et qui avait comme objectif d’évaluer différents aspects de la pratique relativement aux infections concomitantes est arrivée aux conclusions suivantes :

• il n’existe pas de preuve que l’anaplasmose peut devenir une infection chronique;

• la babésiose persistante ou récidivante est accompagnée de fièvre et d’une parasitémie;

• il y a peu de preuves qui appuient la théorie de la transmission des bactéries du genre Bartonella par les tiques ou une infection concomitante avec les bactéries du complexe B. burgdorferi s.l. [Lantos et Wormser, 2014].

Les auteurs ont cependant souligné que les infections concomitantes par des bactéries du complexe B. burgdorferi s.l. et les agents pathogènes du genre Babesia ou

Anaplasma sont habituellement accompagnées de signes objectifs d’une infection active.

À la lumière de leurs résultats, les auteurs ont conclu que la littérature ne soutenait pas le diagnostic d’infection chronique ou d’infection concomitante chez les patients

présentant un tableau clinique atypique de la maladie de Lyme et des symptômes persistants [Lantos et Wormser, 2014]. Toutefois, les résultats de cette revue

systématique sont remis en question en raison de la publication ultérieure de plusieurs

5 Société canadienne du cancer. Sarcome de Kaposi [site Web], disponible à : https://www.cancer.ca/fr-ca/cancer-

information/cancer-type/soft-tissue-sarcoma/soft-tissue-sarcoma/types-of-soft-tissue-sarcoma/kaposi-sarcoma/?region=qc ; Manuel Merck. Sarcome de Kaposi [site Web], disponible à :

https://www.merckmanuals.com/fr-ca/professional/troubles-dermatologiques/cancers-cutanés/sarcome-de-kaposi.

6 Manuel Merck. Angiomatose bacillaire [site Web], disponible à :

https://www.merckmanuals.com/fr-rapports de cas et séries de cas qui ont rapporté des infections concomitantes à celle associée à des bactéries du complexe B. burgdorferi s.l. Selon Stinco et Bergamo [2016], ces études suggèrent que les infections concomitantes pourraient engendrer une

maladie plus sévère ou servir de déclencheur dans le tableau clinique.

Une étude récente a évalué l’implication des infections concomitantes chez des patients atteints de maladies transmises par les tiques à différents stades [Garg et al., 2018].

La réponse immunitaire contre 20 agents pathogènes7 transmis par les tiques ou

opportunistes a donc été évaluée sur 432 sérums qui ont été subdivisés en 7 catégories selon les résultats de la sérologie à deux volets pour la maladie de Lyme, les définitions nosologiques de la maladie de Lyme des Centers for Disease Control and Prevention et la définition du syndrome post-traitement de la maladie de Lyme donnée en 2006 par l’Infectious Diseases Society of America. Au total, 65 % des sérums provenant de

patients atteints d’une maladie transmise par les tiques avaient des IgG positifs contre au moins deux agents pathogènes. Parmi les sérums IgG positifs pour une des bactéries du complexe B. burgdorferi s.l. testée, 12 % avaient des anticorps seulement contre cet agent pathogène alors que 61 % avaient des anticorps contre d’autres agents

pathogènes testés. Les auteurs ont mentionné que leur méthodologie leur permettait de discriminer des formes spiralée et persistante de bactéries du complexe

B. burgdorferi s.l. et ils ont constaté que les sérums qui étaient IgG positifs pour des formes persistantes étaient aussi positifs pour un plus grand nombre d’agents

pathogènes transmis par les tiques ou opportunistes. Ils ont calculé qu’il y avait 85 % de risque qu’un patient sélectionné au hasard et atteint d’une maladie transmise par les tiques ait des anticorps pour une bactérie du complexe B. burgdorferi s.l. en plus

d’anticorps contre d’autres agents pathogènes transmis par les tiques ou opportunistes.

Les auteurs ont précisé que ce pourcentage de risque d’infections concomitantes était plus élevé que celui indiqué dans plusieurs études épidémiologiques (de 4 % à 60 % selon les études) parce qu’ils avaient basé la recherche sur des sérums correspondant à différents stades de la maladie de Lyme et pas seulement à un stade précis, par exemple le stade localisé. Ces auteurs ont conclu que les infections chez les personnes atteintes de maladies transmises par les tiques ne suivent pas la théorie microbienne « un microbe une maladie ». Cette étude a toutefois une limite importante. En effet, comme l’histoire clinique des patients n’est pas connue, la présence des anticorps contre les agents pathogènes témoigne seulement de l’exposition à ceux-ci et non d’infections qui auraient induit des symptômes [Garg et al., 2018].

La possibilité que des infections concomitantes soient à l’origine de la persistance des symptômes chez certaines personnes a aussi été démontrée par une étude qui avait comme objectif d’évaluer la fréquence des infections concomitantes par des bactéries du complexe B. burgdorferi s.l. avec A. phagocytophilum et B. henselae chez 161 personnes atteintes de la maladie de Lyme et pour qui l’antibiothérapie n’avait été que partiellement

7 Borrelia burgdorferi sensu stricto, Borrelia afzelii, Borrelia garinii, Borrelia burgdorferi sensu stricto persistent form, Borrelia afzelii persistent form, Borrelia garinii persistent form, Babesia microti, Bartonella henselae, Brucella abortus, Ehrlichia chaffeensis, Rickettsia akari, Tick-borne encephalitis virus (TBEV), Chlamydia pneumoniae, Chlamydia trachomatis, Coxsackievirus A16 (CVA16), Cytomegalovirus (CMV), Epstein-Barr virus (EBV), Mycoplasma pneumoniae, Mycoplasma fermentans, and Human parvovirus B19 (HB19V).

efficace (traitement par une bêta-lactamine) [Christmann, 2015]. Les patients avaient une persistance de manifestations cliniques articulaires, neurologiques, musculaires ou

oculaires qui peuvent être observées à l’occasion de l’infection par l’un ou l’autre des trois agents pathogènes étudiés. Parmi les 161 patients, 129 (80 %) avaient seulement une infection par les bactéries du complexe B. burgdorferi s.l. et 32 (20 %) avaient des

infections concomitantes. Parmi ces derniers, 13 (8 %) patients avaient un test positif pour B. henselae, 11 (7 %) pour A. phagocytophilum et 8 (5 %) pour les trois agents

pathogènes. Les auteurs ont conclu que, même si la maladie de Lyme reste prépondérante chez les personnes qui présentent des symptômes persistants,

A. phagocytophilum et B. henselae peuvent être à l’origine d’une infection concomitante qui entraîne une symptomatologie voisine. Ainsi, selon eux, la présence d’un tableau clinique atypique de la maladie de Lyme avec, notamment, l’inefficacité d’un traitement par une bêta-lactamine, nécessite l’évaluation de la présence d’autres infections au moyen d’analyses complémentaires [Christmann, 2015].

Étant donné les limites méthodologiques des études et le fait qu’elles ne permettent pas d’apprécier convenablement l’effet que pourrait avoir la présence d’infections

concomitantes sur le cours de la maladie de Lyme ainsi que leur rôle dans la symptomatologie, le niveau de preuve scientifique a été jugé insuffisant.

Perspective et recommandations des sociétés savantes et des agences d’évaluation des technologies

L’Infectious Diseases Society of America (IDSA) reconnaît que les tiques à pattes noires peuvent transmettre six autres organismes infectieux capables de provoquer

simultanément une infection chez l’humain : A. phagocytophilum et B. microti,

B. miyamotoi, B. mayonii8, Ehrlichia muris eauclairensis et le virus de Powassan. Selon la société savante, les deux co-infections les plus fréquentes seraient celles par

A. phagrocytophilum et B. microti. Alors qu’une infection concomitante par Babesia pourrait exacerber les symptômes et les faire durer plus longtemps, l’impact de l’infection concomitante par Anaplasma serait incertain. L’IDSA précise qu’il n’y a pas de preuve de la transmission de Bartonella des tiques à l’humain [Lantos et al., 2021].

Comme l’IDSA, les sociétés suisses d’infectiologie et de neurologie reconnaissent que des infections concomitantes peuvent survenir après une piqûre de tique (p. ex. virus de l'encéphalite à tiques [TBE de l’anglais tick-borne encephalitis], A. phagocytophilum, B. microti) et nécessitent, le cas échéant, un traitement antimicrobien spécifique. De plus, elles précisent qu’aucune relation causale entre les infections concomitantes et le syndrome post-traitement de la maladie de Lyme n'a été établie [Nemeth et al., 2016].

Selon le groupe de travail de la Haute Autorité de Santé, la présence de fièvre et d’un syndrome inflammatoire est peu évocatrice de l’entité clinique qu’elle nomme

symptomatologie/syndrome persistant(e) polymorphe après une possible piqûre de tique et elle doit faire penser à rechercher d’autres maladies infectieuses, dont les autres maladies à transmission vectorielle. Les tiques sont, selon les régions/pays, porteuses

de plusieurs agents pathogènes potentiels : Babesia, Anaplasma, virus TBE,

B. miyamotoi et autres Borrelia causant la fièvre récurrente ainsi que Bartonella. Il est précisé que la transmission des Bartonella par les tiques à l’humain n’est pas démontrée et que ce genre de bactéries peuvent être à l’origine de complications chroniques. Bien que la responsabilité de ces agents pathogènes en termes d’infection chez l’humain soit encore mal connue, la HAS décrit, pour plusieurs d’entre eux, leur éventuelle implication comme diagnostic différentiel de la maladie de Lyme ou comme diagnostic associé à une aggravation des symptômes ou à leur durée [HAS, 2018b].

Selon l’International Lyme and Associated Diseases Society, les infections

concomitantes et plusieurs autres conditions peuvent avoir des manifestations cliniques semblables à celles de la maladie de Lyme et expliquer la récidive ou la progression des symptômes chez certaines personnes. Selon cette organisation, la présence d’infections concomitantes transmises par les tiques peut complexifier le diagnostic, les analyses sérologiques ainsi que le traitement. De plus, elles seraient des facteurs aggravants de la maladie de Lyme, qui pourraient augmenter la morbidité et retarder le rétablissement des personnes atteintes [Cameron et al., 2014].

En résumé, certaines études portant sur l’humain tendent à démontrer que les infections concomitantes à celle par les bactéries du complexe B. burgdorferi s.l. pourraient avoir un rôle à jouer dans l’étiologie des symptômes persistants chez certaines personnes, mais un plus grand nombre d’études seraient nécessaires pour comprendre l’implication clinique de ces infections concomitantes dans la symptomatologie.

De façon générale, les organisations qui publient des recommandations reconnaissent que des infections concomitantes peuvent survenir.

Cependant, alors que plusieurs associent ces infections à une

présentation aigüe, d’autres sont d’avis qu’elles peuvent être à l’origine de la persistance des symptômes chez certaines personnes qui ont un antécédent de maladie de Lyme avérée.

Étiologie des symptômes persistants chez les personnes qui ont un antécédent de maladie de Lyme avérée : que retenir?

Les données scientifiques disponibles sont insuffisantes pour confirmer ou infirmer un rôle direct ou indirect des bactéries du complexe

B. burgdorferi s.l. dans l’étiologie des symptômes persistants chez les personnes qui ont un antécédent de maladie de Lyme avérée.

L’incertitude scientifique au regard de l’état de santé des personnes se reflète dans les prises de position divergentes des organisations qui publient des recommandations. Outre le besoin de poursuivre les efforts de recherche sur l’étiologie des symptômes, aucune conclusion n’a pu être tirée.

Étiologie des symptômes persistants chez les personnes sans antécédent de maladie de Lyme avérée

Parmi les hypothèses évoquées pour expliquer un sous-diagnostic de la maladie de Lyme chez les personnes qui présentent des symptômes persistants et n’ont pas d’antécédent de maladie de Lyme avérée, cinq ont été documentées dans le cadre des présents travaux. De celles-ci, trois sont en lien avec un résultat négatif de la sérologie, une avec un risque faible ou absent d’exposition aux tiques et la dernière avec une présentation clinique atypique. Plus précisément, les hypothèses documentées sont les suivantes :

• l’interférence des bactéries du complexe B. burgdorferi s.l. avec la production d’anticorps;

• l’évasion des bactéries du complexe B. burgdorferi s.l. du système immunitaire;

• l’infection par des bactéries du genre Borrelia, qui suscite une réponse d’anticorps non détectable avec les tests actuels;

• la transmission des bactéries du complexe B. burgdorferi s.l. autrement que par une piqûre de tique;

• la présence d’infections concomitantes qui contribueraient à la symptomatologie et affecteraient le cours de la maladie.

4.2.1. Interférence avec la réponse immunitaire humorale